L’entrée en vigueur, mardi, des tarifs douaniers décrétés par le président américain Donald Trump plus tôt cette année, influencera assurément les assurances collectives canadiennes, soutiennent plusieurs experts.
Réunis au Palais des congrès de Montréal le 27 février dernier dans le cadre du Congrès Collectif des Éditions du Journal de l’assurance, ceux-ci ont fait le point sur la situation, alors qu’on ignorait si le commandant en chef des États-Unis allait finalement mettre sa menace à exécution.
« Le premier impact, qui est déjà bien concret, c’est l’incertitude et l’inquiétude que ce bruit-là génère sur nos groupes », a souligné d’emblée Marie-France Amyot, vice-présidente Assurance et Épargne collectives chez Desjardins Assurances, à propos des tergiversations et de l’anticipation des derniers mois sur les tarifs.
Les médicaments seront-ils épargnés ?
Le coût des médicaments pourrait être affecté par la guerre tarifaire avec nos voisins du Sud, ont soutenu les panélistes.
« Ce n’est pas fou quand on pense que les molécules, quand elles arrivent dans les pharmacies du Québec, ont franchi plusieurs frontières, rappelle Mme Amyot. Les matières premières viennent de l’Asie — de la Chine ou de l’Inde — et [les médicaments] sont fabriqués par des pharmaceutiques en Europe ou aux États-Unis. Donc, quand ça arrive ici, l’application de tarifs [douaniers] pourrait initier une spirale inflationniste. »
Éric Trudel, vice-président exécutif et leader, Assurance collective pour Beneva, est du même avis. « Environ 40 % des médicaments qu’on consomme au Canada proviennent des États-Unis selon nos statistiques, précise-t-il. Et environ 30 % de ce que les pharmaceutiques américaines utilisent pour leurs médicaments viennent de l’extérieur. En principe, les États-Unis ont imposé un tarif de 10 % sur ce qui provient d’Asie, donc en partant ça fait grimper le prix d’environ 3 %, plus l’impact de taux de change, parce que notre dollar est moins bon. Donc seulement ça, ça pourrait expliquer 5 % d’inflation des médicaments qui arrivent au Canada. [Suite à un décret signé ce lundi 3 mars 2025 par M.Trump, le tarif imposé à la Chine est désormais de 20 %, NDLR] »
Cette augmentation pourrait être supérieure si le Canada réplique avec ses propres tarifs, prévient M. Trudel. « Advenant que le Canada décidait d’imposer un tarif de 25 % sur ce qui arrive des États-Unis, là, ça serait 40 % de nos médicaments qui absorberaient 25 % de tarifs, plus le 5 % dont je viens de parler. On espère que ça n’ira pas là. »
Marie-France Amyot estime que « comme assureurs, la situation impose un devoir de rigueur ».
« Le coût des médicaments est relativement prévisible, mais nous devons nous assurer que des contrôles sont en place. Il faut avoir de bonnes ententes avec les compagnies pharmaceutiques et s’assurer qu’on donne la bonne molécule au bon patient dans les bonnes conditions, tout en étant proactifs face aux autres médicaments qui arrivent sur le marché. »
Plus cher chez le dentiste ?
De la même manière, comme une grande partie de l’équipement utilisé par les dentistes, orthodontistes et chirurgiens-dentistes est fabriqué en Europe et aux États-Unis, il n’est pas exclu qu’une part de la hausse des coûts associée aux droits de douane soit laissée aux patients, et donc à leur assureur pour ceux dont les soins dentaires sont couverts.
« Historiquement, les frais pour les soins dentaires augmentaient selon l’indice de la Régie des rentes du Québec (RRQ), précise Éric Trudel. Maintenant, on le voit, c’est l’indice des rentes, plus un autre pourcentage. »
Il donne pour exemple l’Association des chirurgiens dentistes du Québec, qui a majoré ses tarifs de 4 % en janvier dernier alors que l’indice de la RRQ était en hausse de 2,6 %.
« En Ontario, les tarifs ont augmenté de 2 % : c’est comme s’ils étaient revenus à une hausse similaire à l’inflation, constate M. Trudel. Au Québec, on semble avoir un tarif qui augmente plus vite. »
Des effets sur l’assurance invalidité
Les panélistes ne semblaient pas s’entendre sur les retombées des tarifs sur les demandes de prestation en assurance invalidité.
« En période d’incertitude économique, les employés ont tendance à rester davantage en poste, voire à s’y accrocher, même s’ils vivent un stress accru et que leur charge de travail est plus élevée, parce que leur employeur procède à des mises à pied », suppose Marie-France Amyot.
« On ne s’attend pas à un changement au niveau de l’incidence des invalidités à court terme », avance pour sa part Charles St-Laurent, vice-président régional, Développement des affaires à la Croix Bleue Medavie.
« C’est plus à moyen terme, s’il y a un ralentissement économique, qu’on va voir un stress toucher les employés et une incidence sur les invalidités, de la même façon que quand un employeur annonce des mises à pied dans les trois prochains mois : surveillez les réclamations en invalidité, il y en a qui vont essayer de profiter de la situation pour éviter d’être mis à pied. Vous savez, le mal d’épaule qui dure depuis plusieurs mois, il est peut-être rendu moins endurable et c’est là qu’il y aura une demande d’invalidité. »
Éric Trudel ne partage pas cet avis. « Peut-être que ce sera ça dans les plus grandes entreprises, mais dans les PME, je pense plutôt que le mal d’épaule, certains vont l’endurer en raison de l’incertitude pour éviter de faire partie de ceux qui perdent leur emploi », indique-t-il.
En entrant en vigueur, les tarifs douaniers auront aussi pour effet d’entraîner des coupures de postes ; du même souffle, il y aura moins de cotisants pour les régimes d’assurance collective au sein des organisations.
« Il demeure des frais fixes qui, avec moins de primes payées, mettront une pression sur le régime, sans compter le coût des médicaments et d’autres facteurs », relativise Éric Trudel, qui insiste également sur l’importance de la prévention.
L’actuaire Jean-Guy Gauthier, expert-conseil en assurance, gestion de risques et avantages sociaux pour son cabinet CQFD Actuariat, s’est montré le plus optimiste de tous les panélistes.
En réaction aux tarifs douaniers américains, des entreprises canadiennes reverront leur offre, quitte à la recentrer ou au contraire, à l’élargir. « Il y aura des employeurs qui recruteront et de nouvelles opportunités de marché, ici », prévient-il.
Il s’agit là d’une occasion à saisir, surtout que « les avantages sociaux valent parfois plus que le salaire aux yeux des employés, ajoute l’actuaire. Avoir un bon programme d’avantages sociaux et en faire la promotion sera important. »
Et l’assurance voyage dans tout cela ?
Brièvement abordée, la question de l’impact des tarifs sur l’assurance voyage a divisé les panélistes.
« J’ai eu une rencontre avec mes équipes qui disent que ça va être épouvantable, parce que nos assisteurs ont de moins bons escomptes à l’extérieur des États-Unis », fait valoir Éric Trudel.
Ces assisteurs devront œuvrer pour obtenir de meilleures ententes pour les voyages hors Amérique du Nord, soutient-il. Néanmoins, le vice-président pour Beneva prédit que le fait que bon nombre de touristes d’ici décident de bouder les États-Unis pour voyager au Canada pourrait avoir un effet nul à court terme sur le coût des assurances voyage.
Certains transporteurs aériens ont d’ailleurs revu leur offre de vols à destination des États-Unis en raison d’un boycott anticipé, a souligné M. Gauthier.
Aux assureurs de prendre les devants
Dans tous les cas, selon Marie-France Amyot, il reviendra, une fois de plus, aux assureurs de bien gérer leurs opérations pour minimiser les impacts de la guerre tarifaire sur la facture des cotisants. « C’est ce que nos groupes attendent de nous : que l’on contrôle bien les coûts pour assurer la pérennité des régimes », élabore-t-elle. « Ils doivent voir leur assureur comme un partenaire avec qui établir une relation à long terme et avec qui explorer des solutions ensemble. »
Charles St-Laurent estime pour sa part que les assureurs doivent agir en bons partenaires des employeurs. « Comme durant la pandémie, où on avait des clients très touchés, les assureurs ont fait preuve d’une grande flexibilité : prolongement de garanties, des délais supplémentaires pour le paiement des primes, énumère-t-il. Beaucoup d’accommodements ont été faits pour soutenir les employeurs. Je crois qu’on est encore dans une situation où on a un rôle à jouer. »
Jean-Guy Gauthier abonde en ce sens. « Comme conseillers, je pense que l’important, à ce point-ci, est de bien connaître notre client : comment sera-t-il impacté, quels seront ses contraintes de coûts ? Il est possible qu’il me demande de renégocier agressivement son renouvellement ou qu’il ait besoin d’entendre un message positif », illustre-t-il.
« Le premier mentor que j’ai eu dans ma carrière m’a dit que la première chose qu’un conseiller devrait détester, c’est la stabilité, poursuit l’actuaire, parce que les changements amènent des occasions de montrer à nos clients comment les aider et les soutenir. »