Le projet de loi 141 a fait l’objet d’un tir groupé de la part de plusieurs organismes et individus qui ont exigé son retrait pur et simple, lundi. La première salve est venue tôt en après-midi de la part de trois groupes engagés dans la protection des consommateurs, la Coalition des associations de consommateurs du Québec, Option consommateurs et l’Union des consommateurs. Ils ont réclamé l’abandon du projet de loi et ont invité tous les intervenants qui partagent leurs préoccupations à se joindre à leur demande, lors d’une conférence de presse à laquelle le Journal de l’assurance a assisté.

« Nous nous dirigeons vers l’adoption précipitée d’un projet de loi qui nuirait aux consommateurs et qui risque aussi d’avoir des répercussions négatives sur l’ensemble du secteur financier et de l’économie du Québec », a alors soutenu le président de l’Union des consommateurs, François Décary.

« Ça nous apparait impossible et certainement pas souhaitable de tenter d’examiner ce qui n’a pas encore été vu dans le peu de temps qui reste. Ça va donner de mauvais résultats et une recette pour des échecs annoncés », a ajouté Jacques St-Amant, analyste à la Coalition des associations de consommateurs du Québec.

Un message entendu

Le message a été entendu et repris. Dans les heures qui ont suivi, les plus importantes firmes de courtage indépendant en assurances de la province, l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), les anciens ministres Rosaire Bertrand et Alain Paquet, la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD) et la Chambre de sécurité financière (CSF) ont réclamé tour à tour le retrait de cette volumineuse pièce législative controversée.

Les firmes de courtage en assurance et en placements ont joint leur voix à celle des opposants. On compte le Groupe financier Horizons, le Groupe financier Multi Courtage, Mérici Services Financiers et les cabinets de services financiers MICA. Dans un communiqué conjoint, ils prétendent que le projet de loi 141 donnera davantage de pouvoirs aux institutions financières et réduira au silence les 33 000 conseillers professionnels membres de la Chambre. Ils répètent aussi que le projet de loi sera néfaste pour les groupes de courtage indépendants qui servent la moitié de la population du Québec.

Trop peu de temps pour les consultations

Comme l’ont prétendu la Coalition des associations de consommateurs du Québec, Option consommateurs et l’Union des consommateurs, les firmes de courtage et l’APSCF estiment que les consultations menées par le ministre des Finances Carlos J. Leitão ont été trop courtes et trop limitées. Des intervenants majeurs concernés n’ont pu s’exprimer, ce qu’ils dénoncent encore aujourd’hui.

« Malgré qu’elle représente 12 000 professionnels, l’APCSF n’a même pas eu le droit de prendre part aux brèves consultations sur invitation qui ont suivi le dépôt du projet de loi, malgré des demandes répétées. Quelques groupes seulement ont pu bénéficier d’une plage de 10 minutes pour donner leur opinion. C’est trop peu », a rappelé à son tour Flavio Vani, président de l’association.

Tous ces groupes reconnaissent la nécessité de moderniser le secteur financier, mais ils croient que la hâte et la pression avec lesquelles le gouvernement cherche à réaliser cette opération se feront au détriment des consommateurs et d’acteurs importants de l’industrie.

Précipité

Devant des membres de la Tribune de la presse à Québec, François Décary a rappelé que le projet de loi 141 contient plus de 2 000 articles et touche une soixantaine de lois, dont une douzaine sont remaniées en profondeur ou carrément remplacées. Selon lui, le calendrier parlementaire est déjà trop serré pour avaler un morceau aussi gros.

Alors que la Commission des finances publiques a examiné à peine le cinquième du projet de loi, près de 80 amendements ont déjà été effectués à ce jour et les élus n’ont pas encore abordé les questions les plus complexes et les plus délicates alors qu’il reste à peine six semaines avant l’ajournement estival et que la même Commission devrait en principe étudier d’autres projets de loi que le 141.

Le temps manque

« Il nous apparait clairement impossible d’examiner attentivement tous les enjeux soulevés par le projet de loi dans ce calendrier et de prendre de bonnes décisions à l’égard des centaines d’articles qui restent à examiner », juge M. Décary.

« Nous n’avons plus le temps et les enjeux sont trop considérables pour que l’on bâcle le travail. Il est impensable que l’un des plus imposants projets de l’histoire du parlementarisme québécois soit adopté à la hâte. Le retrait du projet de loi s’impose pour qu’on ait le temps de procéder à un examen approfondi de tous les enjeux approfondis qu’il soulève. »

Plusieurs enjeux

Parmi ces enjeux, il y a l’obligation de conseils de la part des représentants certifiés en assurances, le traitement des plaintes, la disparition prévue des deux Chambres et le retour de l’assurance de frais funéraires, abolie il y a une trentaine d’années et dont les associations de consommateurs ne veulent pas.

Elles craignent aussi que les consommateurs qui s’assurent en ligne ne soient pas suffisamment protégés si leur formulaire d’achat n’a pas été correctement rempli. Quand l’industrie aura dépensé des millions pour proposer des solutions technologiques pour vendre de l’assurance en ligne, craint-on, il sera difficile de faire un pas en arrière.

« Adopter le projet de loi 141 tel qu’il est actuellement ferait en sorte que, dans certains cas, on réduise la protection actuelle des consommateurs. Dans d’autres domaines où il faudrait l’augmenter, on ne fait rien », a déploré Jacques St-Amant. Ce dernier a dit trouver malheureux que le projet de loi ait été déposé aussi tard dans le calendrier parlementaire et se questionne sur les appuis dont il profite auprès du gouvernement.

« En examinant la liste des partis en faveur et ceux en défaveur du projet de loi, on remarque que les grandes institutions financières sont toutes en faveur et les organismes préoccupés par l’intérêt du public ont pour la plupart émis des réserves. Il y a peut-être des acteurs qui ont davantage la capacité de faire valoir leur point de vue (auprès du gouvernement) que d’autres. »

Refaire la consultation

Les trois organismes sont conscients que le retrait du projet de loi 141 signifie qu’il mourra au feuilleton et qu’il faudra reprendre le processus avec un nouveau gouvernement après les élections, qui auront lieu l’automne dernier. Ce n’est donc pas avant 2019, voire 2020, qu’une nouvelle mouture pourrait être adoptée et être mise en application.

Ils conviennent pourtant que le projet de loi actuel contient des avancées majeures qui auraient mérité d’être adoptées afin de mieux encadrer certaines pratiques ou certains produits, tels que la vente d’assurance en ligne. Mais, entre l’abandon complet et une adoption précipitée, ils préfèrent encore le retrait et la reprise du processus même s’il entraine un très long délai.

De toute manière, soutiennent-ils, à certains égards, le projet de loi 141 est déjà en retard par rapport aux législations européennes dans le même domaine et ils verraient dans ce report l’occasion pour le gouvernement de refaire ses devoirs.

Une consultation d’ensemble

« On devrait tenir une consultation d’ensemble qui permettrait de définir une réforme cohérente inspirée des meilleures pratiques internationales et qui protègerait adéquatement le public, a ajouté François Décary. Cette consultation n’a pas eu lieu avant le dépôt du projet de loi (…). Il nous apparait donc impératif de reculer d’un pas pour mieux avancer par la suite. »

Même si le projet de loi risque de disparaitre par manque de temps au calendrier avant la relâche estivale, et donc avant les prochaines élections provinciales, les groupes de consommateurs préfèreraient que le ministre le retire lui-même.

Le cas Desjardins

Ils conviennent toutefois qu’un aspect du projet de loi 141 devrait être réglé rapidement.

Les organismes estiment que le volet concernant le Mouvement Desjardins pourrait faire l’objet d’un projet de loi distinct et ciblé pouvant être adopté durant la session parlementaire actuelle, afin que Québec se conforme à l’invitation formulée en 2014 par le Fonds monétaire international. Le texte législatif étant déjà rédigé, il suffirait de l’extraire du projet de loi afin de procéder à son adoption d’ici la suspension des travaux parlementaires à la mi-juin, disent-ils.

En faveur du maintien des Chambres

Interrogés par le Journal de l’assurance, les représentants des trois groupes de consommateurs se sont dits en faveur du maintien de la Chambre de l’assurance de dommages et de la Chambre de sécurité financière. 

« Les associations de consommateurs du Québec ont presque toujours demandé qu’il y ait deux niveaux de vérifications : au niveau des entreprises et des corporations qui offrent ces produits, mais aussi au niveau déontologique, des individus. Donc, nous sommes en faveur du maintien des Chambres », a réagi François Décary.