Les courtiers d’assurance pourraient-ils être plus présents en assurance des entreprises? Oui, croient divers assureurs interrogés par le Journal de l’assurance. La tâche n’est toutefois pas facile pour le courtier qui décide d’investir ce segment. Plusieurs fondamentaux font en sorte que le courtier doit bien se préparer pour y réussir.
Pourquoi les courtiers ne font pas plus d’assurance aux entreprises? Daniel Richard, vice-président régional pour le Québec à La Garantie, compagnie d’assurance de l’Amérique du Nord, ne cache pas que les liens que les courtiers peuvent avoir avec des assureurs en assurance des particuliers peuvent exacerber le phénomène.
« Ils sont très forts en assurance des particuliers. Ils ont bâti un modèle d’efficience qui fait en sorte qu’ils sont bien dans ce segment. Pour nous, comme assureur spécialisé, ça devient plus difficile de se démarquer. On doit trouver des courtiers prêts à se spécialiser en entreprises ou prêts à faire du haut de gamme », dit-il.
Il ajoute que les petits cabinets uniquement présents en assurance des particuliers auraient intérêt à bien réfléchir à leur plan de croissance. « Ceux qui se sont concentrés dans des niches vont mieux durer. Il est vrai que le marché de l’assurance des particuliers est plus spécialisé, donc plus facile. En assurance des entreprises, ça prend une spécialisation. C’est moins évident de se démarquer », dit M. Richard.
En plus de l’expertise à aller chercher, le courtier doit avoir les bons contacts pour entrer dans les industries qu’il a ciblées. « C’est là qu’ils vont réussir à se démarquer des autres courtiers. On en voit qui se spécialise du côté pharmaceutique, ou encore de la biotechnologie. Ils deviennent pointus et ont quelque chose à offrir au client versus le concurrent qui y touche de façon sporadique », dit le vice-président de La Garantie.
Cette expertise demeure difficile à aller chercher, prévient toutefois M. Richard. Les grands assureurs donnent plus d’accès du côté des particuliers. Comme tout y est automatisé, ça ne demande pas beaucoup de temps. L’assurance des entreprises demande plus de temps.
Jean-François Béliveau, vice-président régional, Québec, chez Northbridge, considère que les courtiers ont bien investi le marché de l’assurance des entreprises, si on compare les ratios des cabinets avec ceux des primes de l’industrie. Pour lui, la difficulté de percer le marché de l’assurance des entreprises repose sur deux bases.
Concurrencer un autre courtier
La première est que le marché commercial est concentré chez un petit nombre de courtiers, environ 80 selon ses estimations. Ce qui explique la deuxième source du problème : le courtier qui veut percer le marché des entreprises devra concurrencer un autre courtier.
« L’assurance aux entreprises est un segment où il faut donner plus de conseils au client. C’est moins transactionnel. Le courtier doit donc s’assurer d’avoir une structure. Il lui faut une équipe concurrentielle, avec des courtiers spécialisés en entreprises, qui ont établi des contacts sur plusieurs années avec celles-ci », dit-il.
En plus, s’il sollicite une nouvelle entreprise qui a un courtier de longue date, c’est tout un défi que de prendre sa place, dit M. Béliveau. « Ce n’est pas impossible de le faire, mais le courtier doit se bâtir un argumentaire. La valeur ajoutée est déjà là, car l’entreprise fait déjà affaire avec un courtier. C’est à lui d’avoir une approche démontrant qu’il peut bien servir ses intérêts », dit-il.
Alain Lessard, premier vice-président en assurance des entreprises chez Intact Assurance, dit lui aussi que le volume d’assurance aux entreprises est concentré chez un plus petit nombre de courtiers. Pour le volume d’Intact en assurance des entreprises au Québec, il estime que 20 % des courtiers possèdent 80 % du volume.
« L’expertise que ces cabinets ont acquis entre en ligne de compte. On n’a qu’à penser aux grands cabinets que sont Marsh, AON, Lussier Dale Parizeau, Ostiguy Gendron, GPL Assurance, BFL Canada, EGR ou encore au Groupe Verrier. Viennent ensuite les moyens et petits cabinets qui en font, mais dans un marché ciblé », dit-il.
Investissement en temps et en argent
M. Lessard ajoute que dans le marché commercial, il ne suffit pas de connaitre uniquement les produits d’assurance, il faut aussi avoir l’expertise du secteur. « On voit des courtiers se spécialisés dans le marché de la construction, dans le transport, en maritime, en divertissement ou encore du côté agricole. Quand tu rencontres le client, tu dois parler son langage. Il y a une relation de confiance à établir autour de ça », dit-il.
M. Lessard ajoute qu’il est obligatoire pour le courtier qui veut investir le marché de l’assurance des entreprises d’avoir établi son positionnement. « Ça demande tout d’abord un investissement important en temps. Il doit tout d’abord voir s’il est bien localisé géographiquement pour réussir. Ce ne sont pas toutes les villes qui ont des parcs industriels », dit-il.
Autre aspect : le démarchage de clients ne se fait pas au téléphone. « Le courtier doit rencontrer le client, dit M. Lessard. C’est un secteur où la livraison de contrats se fait encore de main à main. Nous sommes loin du processus d’optimisation des processus qu’on retrouve en assurance des particuliers. »
Arnaud Collinet, vice-président, assurance des entreprises, Québec, d’Intact, dit que la mécanique y diffère par rapport à celle à laquelle les courtiers sont habitués du côté des particuliers. « Le cabinet devra avoir un courtier sur la route pour rencontrer les clients, mais devra aussi avoir un producteur à l’interne pour souscrire le risque. La structure est donc plus couteuse », dit-il.
M. Lessard ajoute qu’un autre facteur jour : les valeurs ne sont pas les mêmes pour le client. « En assurance des particuliers, il est reconnu que le client appartient au propriétaire. En assurance des entreprises, il est plus souvent rattaché au producteur. C’est avec lui que le lien se développe et c’est le producteur qui développe la confiance avec le client. Il y a d’ailleurs un partage de commission qui se fait moitié-moitié entre le cabinet et son producteur. Les propriétaires de cabinets sont donc plus à la merci de leurs producteurs, malgré les clauses de non-concurrence qu’ils peuvent signer », dit-il.
Encore dix ans
J.-Sébastien Lagarde, vice-président régional pour le bureau de Montréal d’Optimum Général, s’attend à ce que l’assurance des entreprises prenne plus de place dans les livres des courtiers dans le futur. Il croit toutefois qu’il faudra encore une dizaine d’années avant de voir le ratio du portefeuille des courtiers passer de 50 % de leurs affaires en assurance des entreprises, comparativement aux 40 % qu’ils présentent pour plusieurs d’entre eux.
« Plusieurs courtiers concentrent avec des assureurs en assurance des particuliers, ce qui leur amène une économie d’échelle, mais aussi de processus. Même chose pour les courtiers qui ont deux ou trois assureurs. Ils en viennent à développer des procédures. L’appétit des assureurs varie toutefois. Ceux qui n’ont que deux ou trois assureurs dans leurs livres en entreprises vont trouver cela difficile. Il est vrai qu’ils peuvent passer par des grossistes, mais c’est moins intéressant pour eux », dit-il.
M. Lagarde souligne qu’une option est de signer des contrats d’agence pour les marchés qu’ils veulent viser. « Ils doivent aussi avoir les bons courtiers producteurs qui peuvent dénicher des comptes. Ça demande toutefois plus de travail. La gestion des dépenses n’est pas la même », dit-il.
Option pour la relève
Mario Cusson, président et chef de l’exploitation de L’Unique assurances générales, souligne comme ses concurrents que le marché de l’assurance des entreprises est plus complexe. Il ajoute une nuance, indiquant qu’il est plus facile pour un jeune courtier de débuter en assurance des particuliers, ce qui peut causer un problème de relève. « Les courtiers sont toutefois de plus en plus conscients que la valeur ajoutée qu’ils apportent est plus présente en assurance des entreprises. On voit que les cabinets de taille moyenne investissent ce segment de plus en plus. Ils auront plus de facilité à y maintenir leurs parts de marché à moyen terme que du côté des particuliers », dit-il.
L’Unique vient d’ailleurs de terminer la révision de son plan stratégique des cinq prochaines années. L’assureur voit de la croissance dans le segment de l’entreprise. « Nous avons des plans pour aider les jeunes courtiers à s’y développer », a-t-il révélé au Journal de l’assurance.
Acquérir des connaissances
Une des difficultés que rencontrent les courtiers qui développent le marché de l’entreprise est leur besoin d’acquérir des connaissances. « En assurance automobile, un courtier n’a pas besoin de connaitre tous les modèles de véhicules pour être performant. En entreprises, c’est plus pointu. Les responsabilités professionnelles ne sont pas les mêmes. La notion de locataire ou propriétaire peut amener beaucoup de nuances. La notoriété et la crédibilité du courtier y sont très importantes. Ça prend une stratégie pour y réussir », dit-il.
Alain Lessard dit aussi entendre de plus en plus de courtiers se dire intéressés à développer leur volume en entreprises. Il dit aussi y voir plus de jeunes intéressés à y devenir des producteurs. Il donne notamment l’exemple de Geneviève Morin, courtier chez MP2B et récente récipiendaire du Prix Distinction Relève du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ). « Les producteurs avancent en âge. On commence à voir des jeunes entrer dans le marché commercial. C’est très positif pour les cabinets », dit-il.
Arnaud Collinet croit qu’il y aura plusieurs occasions pour les jeunes courtiers dans le marché de l’assurance des entreprises dans le futur. « Bien souvent, un producteur a l’âge de ses clients. Plusieurs vont vendre au cours des prochaines années. De gros volumes seront disponibles sur le marché. Pour les jeunes, il y aura de la belle business à faire », dit-il.