En février 2024, la tenue du Sommet national contre le vol de véhicules avait créé des attentes chez les assureurs. « J’avais dit à l’époque : j’espère que ça ne sera pas juste des paroles et qu’il y aura des résultats. Je dois admettre que je suis très surpris et impressionné des résultats qui ont été obtenus à la suite du Sommet », indique Jacques Lamontagne.
Directeur des enquêtes chez Équité Association pour le Québec et les Maritimes, M. Lamontagne prend sa retraite le 2 mai 2025. Le Portail de l’assurance a pu s’entretenir avec lui avant son départ, de même qu’avec celui qui reprendra ses tâches, Dominic Monchamp.
Les deux hommes ont des profils similaires, ayant notamment travaillé aux enquêtes au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Jacques Lamontagne y a commencé comme policier en 1989, avant de devenir détective une dizaine d’années plus tard. Après 30 ans de service, il est devenu enquêteur pour le Québec au Bureau d’assurance du Canada (BAC) en 2019. Il s’est joint à Équité Association à l’automne 2021 quand son service a été transféré dans cette organisation.
Dominic Monchamp a commencé comme patrouilleur en 1994 avant de devenir enquêteur quelques années plus tard. Il a notamment été superviseur des enquêtes de l’équipe intégrée de lutte contre le proxénétisme durant quatre ans et demi, et ce, jusqu’à l’automne 2021.
Avant de se joindre à Équité Association en mars 2025, il était chef des enquêtes criminelles dans l’Est de Montréal, ce qui inclut les installations du port de Montréal, un endroit familier pour les enquêteurs en raison de la place centrale que joue cette infrastructure dans l’exportation de véhicules volés.
Sans avoir travaillé ensemble, les deux ex-policiers ont eu l’occasion de se croiser à plusieurs reprises. « Nos parcours ont été un peu parallèles », indique M. Monchamp. « On a énormément de respect l’un pour l’autre, on a la même vision sur la façon de travailler, le partenariat et le respect envers ceux avec qui on travaille. Quand Jacques m’a approché, j’ai été très honoré qu’il pense à moi », ajoute-t-il.
« J’ai de grandes chaussures à porter », note M. Monchamp. À la fin de son mandat au SPVM, comme responsable du port de Montréal, il a pu voir comment son prédécesseur chez Équité Association a contribué à mieux organiser le travail des différents corps policiers. « Il a fait un travail exceptionnel », dit-il.
Après plusieurs années à enquêter sur les crimes contre la personne, Dominic Monchamp se retrouve à examiner le crime contre la propriété. Il utilise son expérience de collaboration avec différents partenaires dans des enquêtes sur la traite de personnes. « On travaille ici avec des partenaires de partout, dans les autres provinces et à l’international », note M. Monchamp.
Crime contre la propriété
« La fraude à l’assurance, le vol de véhicules, il n’y a personne qui saigne. Il n’y a pas d’urgence ou la vie est en danger », indique Jacques Lamontagne en parlant de l’adaptation que vivra son collègue dans ses nouvelles fonctions.
L’autre différence avec le travail policier est que l’enquêteur d’Équité Association « n’a pas les mêmes pouvoirs. On ne peut pas faire les mêmes choses. On doit s’en remettre à des contacts, à des façons alternatives de trouver de l’information ».
De plus, l’organisme ne dirige pas les enquêtes et ne dépose pas les accusations, mais il est là en appui au travail des corps policiers, qui pourront déposer des accusations de méfait public ou de fraude, et des assureurs, qui pourront refuser la réclamation suspecte.
Équité Association s’occupe aussi de la formation des corps policiers. En septembre dernier au port de Montréal, à la demande d’Interpol, l’organisme a accueilli quelque 60 experts en identification des véhicules dans les corps policiers de tout le pays, de Vancouver à Halifax. « On a pu les instruire la manière d’identifier un véhicule à première vue, que ça soit de la machinerie lourde ou que ça soit des véhicules comme tels ou même des bateaux qui ont été ciblés, tout en recevant du port de Montréal des informations sur leur façon de travailler », raconte Jacques Lamontagne.
La fraude en papier
Parmi les changements réclamés qui ont été obtenus à la suite du Sommet national, M. Lamontagne souligne l’accès à la liste des véhicules exportés et qui ont été déclarés volés par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).
Bon nombre de ces véhicules déclarés volés ont été acquis grâce à de faux papiers ou par l’entremise d’un prête-nom. Dans plusieurs cas, le vol n’est déclaré à l’assureur que plusieurs semaines après l’exportation. Avec l’accès rapide à la liste des véhicules exportés par leur numéro d’identification (NIV), Équité Association est en mesure de fournir les renseignements qui permettent à l’assureur de ne pas indemniser trop vite la présumée victime du vol, souvent complice du réseau criminel.
Durant l’été 2023, soit six mois avant la tenue du Sommet, les corps policiers ont été sensibilisés à l’importance du vol de véhicules comme outil de financement des réseaux criminels, selon Dominic Monchamp. Le SPVM a ainsi réalloué des ressources aux enquêtes pour démanteler des réseaux, au lieu de simplement arrêter les malfaiteurs au volant d’un véhicule volé.
« Il y a eu une association très forte qui a été faite entre la violence armée à Montréal et le vol de véhicule. On se retrouvait souvent avec les mêmes types d’individus, les mêmes gangs au volant de véhicules volés que ceux qu’on retrouvait dans les affrontements avec de la violence armée », explique-t-il. Les tribunaux ont graduellement imposé des sentences plus sévères aux auteurs de ce crime contre la propriété.
Selon M. Lamontagne, l’augmentation du nombre de vols de véhicules a eu un impact sur tous les assurés, car les primes ont été ajustées à la hausse ces dernières années. Les consommateurs en ont parlé à leurs élus, qui ont à leur tour mis de la pression sur les autorités chargées de contrer le crime. La violence en hausse dans le crime organisé a contribué à forcer tout le monde à prendre la situation au sérieux.
Le vol de cargo
À force de se concentrer sur le vol de véhicules, n’y a-t-il pas un risque que les réseaux criminels se consacrent à d’autres activités, comme le vol de cargaison ? Jacques Lamontagne ne le croit pas. Historiquement, près de la moitié des vols de camions-remorques ont lieu dans un périmètre de quelques dizaines de kilomètres autour des parcs industriels de Mississauga (Ontario), et les autres points chauds sont les parcs industriels de la région de Montréal situés à Saint-Laurent et Anjou.
« Les réseaux spécialisés dans le vol de cargo sont bien établis et bien huilés, explique M. Lamontagne. Quand je faisais des enquêtes dans la décennie 2000, les perquisitions qu’on faisait à Montréal, c’était du stock volé en Ontario. Nos collègues dans la région de Toronto retrouvaient des cargaisons volées à Montréal. C’est encore comme ça. »
Équité Association n’a pas les mêmes ressources pour contrer le vol de cargaisons, car c’est encore une fois un crime sans victime. « Les entreprises qui sont assurées ne déclarent que trop peu fréquemment le vol », indique Jacques Lamontagne.
Les montants de franchise prévus dans la police peuvent être très élevés. « Le transporteur préfère assumer la perte. C’est l’angle mort du vol de cargo », précise-t-il.
Les systèmes antivol
Les élections fédérales ont retardé la modification de la norme ULC 338 concernant les systèmes antivol sur les véhicules automobiles, qui devait être annoncée au printemps 2025 par Transports Canada. Jacques Lamontagne dit s’attendre à ce que le changement soit à l’automne 2025.
« Les constructeurs ont développé plus de 200 brevets acceptés au Canada ou aux États-Unis qui leur permettraient de rehausser leur niveau de sécurité au niveau du vol de véhicule. C’est à eux de les mettre en place », indique M. Lamontagne.
Les constructeurs ne feront rien si le gouvernement canadien ne leur impose pas une nouvelle norme, selon lui. Quand on a rapporté une baisse du nombre de vols de véhicules au pays au premier semestre de 2024, la première réaction des fabricants a été de dire que la solution au problème passait par les assureurs et les corps policiers, et non pas par les manufacturiers automobiles.
Les systèmes à double et à triple identification qui passent par l’entremise du téléphone sans fil sont désormais courants. Implanter le système équivalent pour le démarrage du véhicule ne devrait pas être si complexe. La reconnaissance vocale ou faciale est désormais accessible, poursuit M. Lamontagne.
« Pourquoi le même véhicule vendu au Canada est-il plus difficile à voler au Royaume-Uni ? Parce que le gouvernement britannique impose des normes de sécurité plus sévères. C’est une question de coût. Si les manufacturiers peuvent réduire les coûts en n’installant pas telle ou telle option dans un véhicule, ils vont éviter de le faire », dit-il.
La maison nette
Avant de céder les enquêtes à son successeur, Jacques Lamontagne tente de faire maison nette dans les dossiers. Il y en a un qui lui tient à cœur. « Le principal défi qui implique les assureurs, et Dominic est au courant, c’est d’uniformiser les processus décisionnels en matière de rapatriement des véhicules saisis à l’étranger. Actuellement, c’est le Far West », dit-il.
D’un assureur à l’autre et pour le même véhicule saisi dans le même pays, la même facture peut grimper de 500 à 600 %. En France, l’organisme Argos joue un peu le même rôle qu’Équité Association. Dès qu’un véhicule volé en France est retrouvé à l’étranger, la décision de le rapatrier ou de le vendre est prise par Argos. S’il est rapatrié, les frais sont remboursés à Argos.
Il arrive à Équité Association de recevoir une demande d’un acheteur à l’étranger qui constate, après avoir acheté l’automobile en ligne et pris possession du produit, que le véhicule a été déclaré volé au Canada. « On nous demande de le faire retirer de la banque de données des NIV volés. Ce n’est pas à nous de faire ça. Il faut demander cela aux autorités policières locales, qui communiqueront ensuite avec Interpol, qui nous fera suivre la demande », relate M. Lamontagne.
La surveillance accrue au port de Montréal a effectivement forcé les réseaux criminels à transférer une partie de leur activité d’exportation au port d’Halifax, confirme-t-il. « Montréal demeure le port le plus occupé en exportation de véhicules obtenus frauduleusement ou volés. »
Lors d’une récente saisie, sur les 31 véhicules retrouvés dans des conteneurs au port de Montréal, 16 étaient des véhicules neufs qui avaient été acquis avec de faux papiers pour en faciliter l’exportation. « C’est un type de fraude plus difficile à déceler, parce que le NIV est réel, il n’a pas été maquillé. L’enquête est plus compliquée. Qui est le transporteur ? Qui est le destinataire ? », explique Jacques Lamontagne.
« Les corps policiers aussi travaillent très fort parce qu’ils ont découvert des entrepôts d’exportation à travers leurs enquêtes et ils font beaucoup de ciblage en avisant l’ASFC », dit-il.
Taux de récupération
Le taux de récupération des véhicules volés au Québec est plus bas qu’ailleurs au Canada. « Si vous parlez à des experts en identification de véhicules, ils vous diront que les meilleurs maquilleurs de véhicules volés sont au Québec. On a des premiers de classe », indique M. Lamontagne.
En Alberta, les véhicules les plus souvent volés sont des camions F-250 ou RAM 3500 fabriqués entre 2010 et 2012. « Ils sont volés pour les pièces. On a retrouvé un RAM 3500 2013 dans un conteneur au port de Montréal. L’expert rapporte des pièces volées provenant de sept véhicules distincts. Ça améliore le taux de succès de l’Alberta », dit-il.
Dominic Monchamp ajoute qu’une bonne partie des ressources allouées au vol de véhicules par Équité Association, le SPVM, la Sûreté du Québec et l’ASFC permettent de retrouver les autos au port de Montréal. « Une forte proportion des véhicules récupérés viennent de l’Ontario, des autres provinces ou même des États-Unis », dit-il.
Les ressources ainsi déployées au Québec profitent aux corps policiers des autres provinces. « Nos capacités ne sont pas illimitées », ajoute M. Monchamp.
Maintenant que la collaboration est bien établie entre les organisations vouées à la répression du crime, il ne faut pas cesser de surveiller la situation, souligne Dominic Monchamp. « Si on devient plus efficace, les organisations criminelles s’adaptent et changent leurs méthodes. »
S’il y a moins de véhicules susceptibles d’être volés grâce à de meilleures normes de sécurité, les dépenses d’indemnisation et de rapatriement seront réduites, selon M. Monchamp. Cela baissera le coût du vol de véhicules, dont la facture est payée par les primes de l’ensemble des assurés.