La Cour d’appel du Québec rejette l’appel d’un entrepreneur qui tentait d’éviter de se porter garant dans un dossier de cautionnement impliquant Intact Compagnie d’assurance

Le Groupe ITR, qui comprend plusieurs sociétés affiliées, faisait appel du jugement rendu en juin 2021 par la juge Marie-France Vincent, du district de Québec de la Cour supérieure. L’assureur a obtenu gain de cause et les sociétés intimées ont été condamnées solidairement à rembourser plus de 5,1 M$ à l’assureur. 

En première instance, le tribunal avait aussi rejeté la demande des firmes impliquées qui réclamaient des dommages de la part de l’assureur en alléguant le caractère abusif des procédures. 

Dans son jugement livré le 4 avril dernier, la Cour d’appel rejette les deux recours en maintenant la condamnation et en rejetant la demande concernant le caractère abusif de la procédure de l’assureur. 

La source du litige 

Le Groupe ITR chapeaute plusieurs sociétés actives dans le secteur de la construction. En janvier 2005, la firme avait signé avec AXA Assurances (maintenant Intact) la convention d’indemnisation qui offre une garantie de cautionnement.

Aux termes de cette convention, les garants s’engagent à indemniser la caution en entier pour toute perte ou tout dommage qu’elle pourrait subir. En septembre 2006, un avenant est ajouté à la convention, à la demande de Groupe ITR, pour ajouter la société Limestone Development à titre de débiteur principal. D’autres sociétés affiliées au Groupe ITR seront ajoutées par la suite. 

Comme AXA n’était pas autorisée à émettre des contrats de cautionnement aux États-Unis, elle a recours à la compagnie Hartford Fire Insurance. En mars 2009, puis en mars 2010, sur instructions d’AXA, Hartford émet des cautionnements au bénéfice de Limestone pour deux projets de construction. 

Le premier se déroule à White River Junction, au Vermont, et l’autre à Fort Smith, en Arkansas. Au printemps 2011, Hartford commence à recevoir des réclamations de sous-traitants impayés par Limestone, d’abord en Arkansas, et ensuite au Vermont. 

De concert avec Hartford, AXA met en place un processus de traitement des réclamations et a de nombreux échanges avec Groupe ITR. Hartford paie le coût d’achèvement des projets et se fait rembourser par AXA en fonction du contrat qui les lie. 

AXA se tourne ensuite contre le Groupe ITR et lui réclame la somme de 5 101 607,84 $ qui couvre les sommes payées à Hartford et ses propres frais de gestion des réclamations.

L’entrepreneur conteste la réclamation et, dès 2013, intente une poursuite à son tour contre l’assureur en lui réclamant 7 millions de dollars (M$). La somme demandée a été réduite à 1,1 M$ au moment du procès. 

En première instance 

Groupe ITR allègue que le contrat intervenu entre AXA et Hartford est un contrat de réassurance, et non pas un contrat de cautionnement.

En première instance, la juge Vincent réfute cet argument en indiquant que le contrat entre les deux assureurs était une « entente commerciale visant l’obtention de cautionnements émis par Hartford aux États-Unis à la demande d’AXA pour Limestone ». 

La Cour supérieure conclut que le droit d’action d’AXA prend sa source dans la convention d’indemnisation, en vertu de laquelle le Groupe ITR s’engageait à rembourser l’assureur en cas de perte causée par des cautionnements émis à sa demande. 

Enfin, le tribunal détermine que le Groupe ITR et son président, Yvan Roy, savaient que l’assureur AXA devait recourir aux services de Hartford pour émettre des cautionnements aux États-Unis. Les intimées ont été avisées de leurs obligations comme garants dès les premiers manquements de Limestone. En conséquence, la juge Vincent déclare abusive la position prise par le Groupe ITR dans le cadre du processus judiciaire. 

En appel 

La juge Suzanne Gagné a rédigé les motifs de la Cour d’appel au nom de ses collègues Robert Mainville et Michel Beaupré. La première partie de son analyse traite des droits et obligations des parties issues de la convention d’indemnisation. 

La définition de « cautionnements » à la clause 4 de la convention est très large et permet d’englober les cautionnements émis par AXA ou par toute autre caution procurée par elle, en l’occurrence Hartford. L’interprétation proposée par le Groupe ITR « irait à l’encontre de l’économie de la convention d’indemnisation », indique la Cour d’appel. 

La juge Gagné conclut que les cautionnements émis par Hartford pour les projets de Limestone au Vermont et en Arkansas sont couverts par la convention, même s’ils n’ont pas été émis par AXA.

Au procès, Yvan Roy a lui-même reconnu que l’ajout de Limestone à la convention visait justement les projets menés aux États-Unis et qu’il était garant de cette société. L’entrepreneur n’a jamais demandé à obtenir les conditions de l’entente entre AXA et Hartford. 

Selon Groupe ITR, le contrat de réassurance liant AXA à Hartford n’a d’effet qu’entre l’assureur et le réassureur, comme le prévoit l’article 2397 du Code civil du Québec. De l’avis de l’entrepreneur, cette disposition empêche tout recours subrogatoire du réassureur, en l’occurrence AXA, contre l’auteur du préjudice. En première instance, cet argument a été rejeté et la Cour d’appel qualifie cette question de « superfétatoire ». 

La Cour d’appel prend soin d’expliquer l’article 2397 et confirme qu’un contrat de réassurance ne peut avoir pour cause un contrat de cautionnement. Cependant, l’entente entre Hartford et AXA est similaire au contrat primaire d’assurance et vise à transférer au réassureur les risques associés à des cautionnements.

« En droit civil québécois, le contrat de cautionnement et le contrat d’assurance sont distincts et ne répondent pas aux mêmes règles ; Groupe ITR en convient. Le seul fait que des compagnies de garantie recourent à la réassurance pour limiter leurs risques ne fait pas en sorte que l’article 2397 du Code s’applique en matière de cautionnement », indique la Cour d’appel au paragraphe 48. 

La juge Gagné partage l’opinion de la juge de première instance en déterminant qu’AXA n’est pas le réassureur de Hartford au sens où on l’entend en droit des assurances. 

Contrairement à ce que plaidait Groupe ITR, AXA n’avait pas les mains liées par son contrat de réassurance avec Hartford et a fait preuve de diligence dans le traitement des réclamations.

Dès les premières réclamations à l’encontre de Limestone, un mandataire a été rapidement nommé pour s’assurer que toute somme payée par Hartford était conforme aux cautionnements émis. L’entrepreneur a été informé dès le mois de juin 2011 de ses obligations comme garant. 

Enfin, Yvan Roy a prétendu au procès ne pas connaître la présence de Hartford pour l’émission des cautionnements aux États-Unis, « alors que l’ensemble de la preuve démontre le contraire », indiquait la Cour supérieure.

Le Groupe ITR menait des activités aux États-Unis depuis 1996 et il avait fait affaire avec deux autres assureurs avant AXA. Dans les deux cas, l’assureur canadien a eu un intermédiaire américain pour émettre des cautionnements aux États-Unis. Les deux assureurs ont par la suite été acquis par AXA, elle-même avalée par Intact en 2010. 

Le Groupe ITR a même contesté jusqu’au procès la reprise d’instance par Intact, alors que le nom de cet assureur apparaissait déjà dans les échanges entre les parties en septembre 2011. 

L’entrepreneur sait depuis le début que le Groupe ITR s’est engagé comme garant des cautionnements émis au bénéfice de Limestone. La conclusion de la juge Vincent n’est entachée d’aucune erreur manifeste et déterminante, selon la Cour d’appel.

Aucun dommage 

Enfin, concernant la réclamation de 1,1 M$ faite par le Groupe ITR pour abus de procédure, la Cour supérieure indique qu’aucune preuve n’a été soumise des inconvénients subis par Yvan Roy et ses sociétés.

« Une faute doit être prouvée. Des dommages doivent être démontrés. Un lien de causalité doit être établi. Rien n’a été fait en l’espèce », écrit la juge Vincent.

Yvan Roy prétend qu’AXA est responsable des dommages et inconvénients qu’a subis le Groupe ITR. Une personne morale ne peut réclamer des dommages à titre de troubles, dommages et inconvénients. Une personne qui ne respecte pas ses obligations contractuelles est responsable des inconvénients subis, selon la Cour supérieure. 

Comme l’appelant ne démontre ni faiblesse apparente ni risque d’injustice dans le jugement du tribunal de première instance, sa demande de permission d’appeler du rejet de sa réclamation est rejetée. 

En première instance, la juge Vincent souligne que l’affaire durait depuis 10 ans. « Il y a lieu de mettre fin à cette saga », écrit-elle en estimant que la réclamation initiale de 7 M$ du Groupe ITR s’apparentait à de l’intimidation. L’entrepreneur a tout fait pour ne pas rembourser AXA. 

Le tribunal juge abusive la position prise par le Groupe ITR. Les sociétés défenderesses sont condamnées à payer solidairement quatre réclamations prenant effet à des dates distinctes, plus les intérêts au taux préférentiel de la Banque du Canada majoré de 2 %. 

Dès le 4 avril 2016, l’entrepreneur en construction s’était engagé à ce que l’ensemble des compagnies signataires de la convention d’indemnisation maintiennent une valeur nette tangible de 5 M$, et ce, jusqu’au jugement sur le fond. Le maintien à jour de cet engagement a été produit au procès, qui s’est déroulé de novembre 2020 à mars 2021.