Les importantes inondations qui ont touché le Québec le 9 août dernier, conséquences de la tempête Debby, ont eu l’effet d’un véritable tsunami sur les assureurs de dommages et amènent des experts à questionner nos façons de bâtir au Québec.  

Certains suggèrent de changer les matériaux afin qu’ils soient moins dommageables à l’eau et d’autres vont jusqu’à proposer l’élimination des sous-sols lors de la construction de nouvelles résidences. 

Pour l’instant, les compagnies d’assurance sont inondées de demandes. Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) indique qu’après une semaine, environ 70 000 réclamations en assurance habitation avaient été reçues par les assureurs du Québec. 

« C’est dix fois le volume habituel et les demandes d’indemnisation continuent d’entrer. Il faut s’attendre à des délais inhabituels pour les réclamations », précise Line Crevier, responsable des affaires techniques et du Centre d’information sur les assurances du BAC, dans le communiqué de presse. 

Le PGAF doit couvrir les refoulements d’égout 

Laval a reçu 175 millimètres de pluie. Son maire, Stéphane Boyer, estime dans un communiqué de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) que malgré les travaux réalisés par les municipalités pour réduire les effets des inondations, il n’y a aucune infrastructure qui pouvait contenir un tel déluge.  

Les sinistrés peuvent réclamer auprès de leur assureur et ils pourront recevoir une aide financière du gouvernement grâce au Programme général d’aide financière (PGAF) régi par le ministère de la Sécurité publique pour les risques qui ne sont pas couverts ou ceux qui ne sont pas assurables. 

Il y a quelques jours, le premier ministre du Québec, François Legault, a fait savoir que le PGAF sera étendu afin de couvrir les dégâts causés par les refoulements d’égout dus à Debby. Toutefois, le site où les modalités du plan sont détaillées indique encore que les refoulements d’égout sont exclus, déplore la CMM. 

Elle réclame que cette disposition soit incluse dans le PGAF pour qu’il reflète la nouvelle réalité climatique et couvre les refoulements d’égout causés par le ruissellement urbain lors d’épisodes de pluie diluvienne. 

Changer nos façons de faire 

L’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) a réagi par voie de communiqué à la suite des inondations et presse l’État ainsi que les compagnies d’assurance de changer les façons de faire dans le domaine de la construction. 

« L’aide aux sinistrés, qu’elle provienne des gouvernements ou des assureurs privés, doit intégrer obligatoirement des stratégies d’adaptation concrètes », exhorte Marco Lasalle, directeur du service technique de l’APCHQ.  

« On ne peut plus simplement nettoyer et refaire à l’identique en attendant le prochain sinistre, insiste-t-il. On doit adapter nos résidences à la recrudescence des aléas climatiques. Ce n’est plus une option, c’est une responsabilité collective. » 

Des changements à entreprendre face aux inondations 

L’APCHQ propose une série de mesures qui pourraient réduire les effets des inondations, ce qui diminuerait la charge financière pour les propriétaires, assureurs et gouvernements à long terme, croit-elle.  

  • L’utilisation de matériaux résistants à l’eau dans les sous-sols et les garages (fibrociment, PVC), des revêtements de sol imperméables (carrelage, vinyle ou époxy), et des isolants résistants à l’eau ou la fibre de roche. L’APCHQ recommande aussi d’éviter les matériaux qui peuvent pourrir, tel que le bois.
  • L’installation de systèmes d’évacuation des eaux de drainage améliorés, incluant des pompes de puisard à batterie de secours et une évacuation d’urgence des eaux à l’extérieur et non au réseau municipal.
  • En matière électrique et mécanique, elle suggère plusieurs gestes : surélever les prises, les tableaux de distribution et les appareils de chauffage ; installer les chauffe-eau et les systèmes HVAC sur des plateformes surélevées ; intégrer du chauffage radiant à l’intérieur des dalles de béton pour accélérer l’assèchement. 
  • La mise en place de barrières anti-inondation amovibles pour les portes et fenêtres des sous-sols.
  • Adapter l’aménagement paysager autour des résidences pour favoriser l’écoulement de l’eau loin des fondations. 

L’APCHQ appelle les gouvernements et les assureurs à faire de ces mesures d’adaptation une condition d’accès aux aides financières pour la reconstruction et la rénovation des propriétés sinistrées. Cette approche, soutient-elle, permettrait non seulement de protéger les citoyens, mais aussi d’optimiser l’utilisation des fonds publics et des primes d’assurance. 

Construire sans sous-sol 

D’autres vont plus loin encore. André Gagné, ancien directeur technique à l’APCHQ, suggère de ne plus construire de sous-sols parce qu’ils sont plus régulièrement dévastés lors de grandes inondations. Il l’a répété en entrevue sur plusieurs chaînes de la télé d’État il y a quelques jours. 

Le sous-sol est pourtant un milieu de vie dans plusieurs résidences. Il comporte souvent une aire de jeux, de télévision ou d’appareils d’entraînement, parfois un atelier, un bureau, des meubles.  

C’est une pièce importante dans une résidence, mais qu’à cela ne tienne, André Gagné recommande de construire sans sous-sol et de compenser l’espace perdu par un 2e étage, ce qui réduirait de beaucoup les dommages aux propriétés lors de grandes crues. 

C’est ce que suggère aussi Bernard Deschamps, étudiant au doctorat en Sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Dans un billet publié sur le site internet The Convervation, il souligne que l’utilisation des sous-sols en espace de vie est devenue une pratique particulièrement populaire au Québec. 

Lors d’un webinaire tenu en 2020 qui était consacré aux indicateurs des dommages aux bâtiments, Bernard Doyon, ingénieur de la Garde côtière canadienne, et Pier-André Bouchard St-Amant, économiste de l’École nationale d’administration publique, avaient révélé que 85 % des indemnités versées sont attribuables à des dommages survenus principalement dans les sous-sols. 

Selon Bernard Deschamps, le principe de reconstruire à l’identique devient une aberration lorsqu’appliqué en contexte de gestion du risque d’inondations.  

« En réglementant l’utilisation des sous-sols, écrit-il, il serait possible de réduire considérablement le coût et les conséquences des dommages. Par exemple, la réglementation pourrait interdire la construction de nouveaux sous-sols dans les zones à haut risque, et prescrire les types de matériaux et de finition dans les zones à risque faible. Entreprendre des travaux de refonte de la réglementation sur l’utilisation des sous-sols est un choix de société que nous ne devrions plus reporter », écrit-il.