La Cour d’appel du Québec rejette l’appel de Promutuel Vallée du Saint-Laurent dans un litige relié à une chicane de voisinage.
En mars 2023, par l’entremise d’une requête de type Wellington accueillie par la Cour supérieure, le tribunal avait ordonné à la mutuelle d’assurer la défense de ses assurés pour l’ensemble du litige.
Les motifs du jugement de la Cour d’appel, rendu le 18 avril dernier, ont été rédigés par le juge Benoît Moore, dont l’analyse est partagée par ses collègues Suzanne Gagné et Mark Schrager.
Les assurés et défendeurs dans cette affaire sont Nelly Noyrigat-Gleye et Guilhem Labertrande. Ils sont poursuivis par leur voisin, Guy Bélanger, pour avoir coupé des arbres qui seraient situés sur sa propriété en plus d’avoir construit un mur de soutènement qui empiète sur son terrain.
Malgré la douzaine d’arbres qui ont été replantés, le déplacement des installations septiques et la démolition d’une partie du mur de soutènement par les défendeurs, le demandeur Bélanger n’est pas satisfait.
Les dommages
Il leur réclame la somme de 45 598 $ en dommages-intérêts compensatoires pour la perte de ses arbres de même que pour ses troubles et inconvénients.
Dans sa poursuite, M. Bélanger demande aussi des dommages punitifs de 24 200 $ en vertu de la Loi sur la protection des arbres, pour les 121 arbres dits matures coupés. Il réclame aussi une injonction permanente pour forcer ses voisins à démanteler le mur de soutènement et remettre le terrain dans son état initial.
La Cour d’appel souligne que l’analyse de la responsabilité des défendeurs tournera autour de la ligne de démarcation exacte entre les deux propriétés. Les défendeurs seront tenus responsables seulement si les dommages ont eu lieu sur la propriété du demandeur.
L’assureur accepte de prendre en charge la défense pour les dommages compensatoires pour les arbres, mais elle refuse d’assumer les frais de défense à l’encontre de la demande en injonction et les dommages punitifs.
La société mutuelle d’assurance générale refuse aussi de payer les frais nécessaires à l’établissement de la ligne de division entre les propriétés, parce que cette procédure n’est pas de la nature d’un produit couvert par la police d’assurance responsabilité des défendeurs.
La police comprend une exclusion qui précise que seuls les dommages de nature compensatoires sont couverts et que l’assureur ne couvre pas les dommages punitifs ou exemplaires, les amendes et les pénalités.
En conséquence, les assurés ont présenté une demande de type Wellington pour forcer leur assureur à assumer l’entièreté de la défense.
En première instance
Le 20 mars 2023, le juge Pierre Nollet, du district de Terrebonne de la Cour supérieure, rappelle que l’obligation de défendre son assuré est exécutoire sans égard à la question de savoir si l’assureur sera effectivement tenu d’indemniser son assuré.
Selon le juge Nollet, M. Bélanger veut être indemnisé pour ce qu’il lui en coûtera de faire exécuter lui-même les travaux de remise en état, si les voisins ne le font pas. La demande d’injonction ne constitue qu’une façon de mettre les dommages reliés à l’érection du mur à la charge des défendeurs.
Le tribunal estime que la valeur des travaux de remise en état constitue un dommage matériel compensatoire. Il existe donc une possibilité que cette partie de la réclamation de Bélanger soit couverte au même titre que les dommages compensatoires réclamés pour les arbres coupés. La demande d’injonction ne change rien à la nature de ces dommages.
Si l’assureur veut réclamer la partie des honoraires reliés aux dommages punitifs, qui sont exclus de la garantie, il devra prouver qu’il est possible de séparer le travail accompli pour défendre l’assurée dans le cadre des réclamations couvertes de celui nécessaire pour celles non couvertes. Ce partage des frais pourra se faire après la tenue de l’enquête au fond.
Le tribunal de première instance estime que le dossier n’est pas si complexe. La défense des allégations couvertes et non couvertes soulève les mêmes questions et les mêmes moyens de preuve pour y répondre. Il accueille la demande Wellington et ordonne à l’assureur de défendre les assurés.
En appel
En Cour d’appel, le juge Moore analyse les deux motifs d’appel de l’assureur concernant les conclusions du tribunal qui distingue la question de l’injonction de celle des dommages punitifs.
Selon Promutuel, le juge Nollet erre en concluant que l’injonction constitue un recours en dommages compensatoires. Le tribunal se serait ainsi livré à une « interprétation fantaisiste » en appliquant le test de la nature véritable du litige et en transformant une action en exécution en nature en une réclamation de dommages, prétend l’assureur.
Si les intimés ne se conforment pas à l’injonction demandée, transformant ce remède en dommages pécuniaires, le juge pourrait conclure à un outrage, ce qui est une faute intentionnelle qui n’est pas couverte par la police, ajoute Promutuel.
Le juge Moore rappelle que, pour conclure à l’inexistence de l’obligation de défendre, il faudra qu’il ressorte clairement des allégations de la demande que l’assuré n’est pas couvert. Il ajoute que l’assureur déforme le jugement initial.
Le juge Nollet se limite à affirmer qu’il n’est « pas déraisonnable de conclure » ou « qu’il existe une possibilité » que la nature du litige consiste dans la compensation d’un dommage matériel. C’est le critère qu’il devait appliquer, conclut la Cour d’appel.
Il est vrai que l’injonction est le véhicule procédural afin d’obtenir l’exécution en nature d’une obligation, ajoute la Cour d’appel. Mais dans le présent dossier, l’injonction vise l’exécution d’une obligation d’indemniser un préjudice passé qui porte sur les mêmes faits que la réclamation en dommages et ne demande pas une défense spécifique.
Comme il n’y a pas de preuve claire que la réclamation visée par l’injonction n’est pas couverte, le juge n’a pas commis d’erreur et ce premier moyen d’appel est rejeté.
Quant aux dommages punitifs, ils sont exclus de la police et les intimés, dans leur mémoire d’appel, présentent un argument qui ne résiste pas à l’analyse. L’appel vise plutôt à savoir si l’exclusion empêchait le tribunal d’ordonner à l’assureur de défendre les assurés en fonction du principe de proportionnalité et du principe de l’unicité de la représentation, quitte à ce qu’il y ait partage des frais par la suite.
La Cour d’appel analyse ensuite la doctrine et les auteurs sont divisés au sujet du partage des frais à la suite d’un litige où l’assureur est tenu de défendre l’assuré pour une partie non couverte. La tendance suggère que le partage des frais doit se faire a posteriori, et non de manière prospective.
Pour accorder une exception au principe de l’unicité de la représentation, les questions en litige doivent être complexes et les parties doivent avoir des intérêts exclusifs, selon la Cour d’appel. L’intérêt du tiers demandeur doit aussi être considéré afin d’éviter d’alourdir le dossier par la présence d’un autre avocat aux côtés du défendeur.
Le juge Nollet a pris en compte les circonstances pertinentes et sa conclusion est raisonnable. La Cour d’appel ne juge pas utile d’intervenir sur cet aspect.
« La réclamation des dommages punitifs est marginale eu égard à l’ensemble du dossier et elle ne soulève ni question complexe ni preuve particulière. » Au terme du dossier, il pourra y avoir un partage des coûts.