La Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation soumise par Intact Compagnie d’assurance qui désirait faire appel de la décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans un litige qui l’opposait à Roma Capital. Le règlement de sinistre à la suite d’un incendie était au cœur de l’affaire. 

Le rejet de la demande par la Cour suprême a été annoncé le 12 octobre 2023. La décision de la Cour d’appel avait été rendue le 7 mars 2023. La décision n’était pas unanime. 

La Cour d’appel a ainsi infirmé un jugement rendu le 16 novembre 2020 en Cour supérieure. Le juge Pierre Nolet, du district de Joliette, avait rejeté la réclamation de Roma Capital contre l’assureur et aussi rejeté la demande incidente d’Intact contre Guylaine Mireault, intimée incidente et défenderesse en garantie. 

En février 2017, celle-ci avait reçu un prêt de 220 000 $ de Roma Capital en vue d’acheter un immeuble à Berthierville. Le contrat de prêt nécessitait une police d’assurance habitation afin que l’intérêt du prêteur dans l’immeuble soit également assuré. 

L’immeuble assuré par Intact a été détruit par un incendie le 16 mai 2017. L’immeuble était vacant au moment du sinistre. L’assurée devait rénover l’immeuble et un avenant avait été ajouté à cet effet à la police. 

Après enquête par l’expert en sinistre, l’assureur a refusé d’indemniser l’assurée et son prêteur. En octobre 2017, Roma Capital intente un recours contre Intact pour obtenir une indemnité d’assurance correspondant au solde du prêt hypothécaire.

Mme Mireault fait de même en avril 2018 et réclame une indemnité pour les dommages assurés. La Cour supérieure a tenu le procès en septembre 2020. 

En première instance 

En Cour supérieure, le juge Nolet donne raison à Intact concernant l’absence d’intérêt assurable de la part de Mme Mireault, laquelle agissait comme prête-nom. Par conséquent, la police d’assurance est nulle à son égard. Cette conclusion ne concerne pas le prêteur, lequel a un contrat distinct avec l’assureur. 

L’incendie résulte d’un geste intentionnel et fautif et cet acte de vandalisme entraîne l’application d’une exclusion prévue à la police d’assurance. 

Le créancier hypothécaire allègue que la cause du sinistre n’est pas le vandalisme, mais la faute intentionnelle de l’assurée. Le juge Nolet n’est pas convaincu que l’assurée est l’auteure du vandalisme et il estime que l’exclusion est opposable au prêteur. 

Le juge analyse néanmoins le solde du montant hypothécaire indemnisable et conclut qu’il est surévalué. Il ajoute que si la réclamation de Roma Capital avait été accueillie, il faudrait déduire la somme de 60 000 $ qui a été prêtée à la compagnie chargée de rénover l’immeuble après le sinistre. 

Le juge conclut que si la faute intentionnelle de l’assurée avait été établie et si la réclamation du prêteur était accueillie, l’assureur aurait eu un recours subrogatoire contre l’assurée, à concurrence des sommes payées au prêteur. 

En appel 

Durant la procédure en appel, le prêteur soumet quatre motifs d’appel. Dans son appel incident contre l’intimée Mireault, l’assureur soutient que si la cour en vient à la conclusion que le sinistre résulte d’un geste intentionnel de l’assurée et qu’il y a donc lieu d’accueillir l’appel principal, la cour doit aussi accueillir l’appel en garantie. 

Le jugement de la Cour d’appel a été rendu à deux voix contre une. La juge Marie-Josée Hogue et son collègue Michel Beaupré ont donné raison au prêteur et infirmé le jugement de première instance. 

Le juge Peter Kalichman aurait rejeté l’appel et ses motifs sont d’ailleurs expliqués dès le début du jugement. Selon lui, le vandalisme dans un immeuble vacant représente une exclusion opposable au créancier hypothécaire. 

Les décisions soumises par le prêteur pour soutenir sa réclamation ne suffisent pas à convaincre le juge Kalichman. Roma Capital fait valoir que l’exclusion de la vacance ne lui est pas opposable, comme l’avait conclu la Cour suprême dans un arrêt de 2005 sur un litige opposant une banque à un assureur.

Contrairement à la situation en l’espèce, la vacance n’était pas autorisée par l’assureur dans le litige Banque Royale c. State Farm. Cela constitue une violation à la police qui crée un risque accru pour l’assureur, selon le juge Kalichman. Ce dernier estime que l’exclusion pour vandalisme n’entre tout simplement pas en conflit avec les termes de la clause de garantie hypothécaire. 

Il rejette également les autres motifs d’appel soumis par le créancier hypothécaire, notamment sur l’interprétation de l’article 2485 du Code civil du Québec, qui traite de l’assurance contre l’incendie. Le juge Kalichman rappelle que la cause déterminante du sinistre n’est pas l’incendie, mais le vandalisme, selon le juge de première instance. 

La majorité 

La juge Hogue est d’accord avec l’exposé des faits de son collègue et la norme d’intervention qu’il utilise, mais elle ne partage pas son avis sur le caractère applicable de l’exclusion découlant du vandalisme. 

La police, qui désigne le prêteur comme créancier hypothécaire de la propriété assurée, inclut la clause type de garantie hypothécaire approuvée par le Bureau d’assurance du Canada. On y énumère la liste des exclusions qui ne sont pas opposables aux créanciers hypothécaires, parmi lesquelles on trouve justement la vacance de l’immeuble. 

La police prévoit que si les conditions sont respectées, le sinistre est payable directement au créancier hypothécaire. « Ainsi, en faisant abstraction de la clause de garantie hypothécaire, on comprend que le vandalisme est un risque couvert par la police, à moins qu’il ne survienne pendant une vacance, auquel cas les dommages qui en découlent ne sont pas couverts et l’assuré n’a droit à aucune indemnité à ce titre », écrit la juge Hogue. 

Il est bien établi que les conditions du contrat d’assurance qui sont incompatibles avec la clause de garantie hypothécaire sont inopposables au prêteur. Le contrat hypothécaire est un contrat distinct qui lie l’assureur au créancier hypothécaire et il a préséance sur le contrat d’assurance. 

L’exception ne s’applique pas 

« La question à trancher est donc celle de savoir si l’exception sur laquelle s’appuie l’assureur pour refuser de couvrir le sinistre et d’indemniser le prêteur est compatible avec la clause de garantie hypothécaire », ajoute la juge Hogue. 

L’assureur se fonde sur les dispositions du contrat excluant la couverture des dommages causés par le vandalisme alors que l’immeuble est vacant, et non sur celles excluant les dommages découlant d’un sinistre survenant pendant une vacance de plus de 30 jours consécutifs. 

Selon la juge Hogue, rien ne distingue les deux exclusions, car dans les deux cas, l’immeuble est vacant. Or, la clause de garantie hypothécaire prévoit que cette exclusion n’est pas opposable au créancier. L’acte du propriétaire en ce qui concerne la vacance est justement prévu dans la clause de garantie hypothécaire. 

L’assureur qui invoque cette exclusion se trouve à opposer au prêteur un acte de l’assuré qui concerne la vacance. La juge Hogue exprime son désaccord avec le juge Kalichman sur l’exception pour vandalisme. « Je ne crois pas qu’il soit possible d’ignorer le fait que le refus de l’assureur d’indemniser la perte du prêteur découle en premier lieu du fait que l’immeuble était vacant lorsqu’il a été vandalisé », lit-on au paragraphe 74 du jugement. 

Si le prêteur est au fait des exclusions, il est aussi conscient de la clause de garantie hypothécaire qui interdit à l’assureur de lui opposer tout acte de l’assuré qui concerne la vacance. Le prêteur a donc raison de croire que sa créance est protégée même dans l’éventualité où la perte de l’immeuble devait découler du vandalisme. 

Selon la majorité du tribunal d’appel, si l’on accepte que l’exclusion répétée dans l’avenant à la police d’assurance puisse être opposée au prêteur, cela revient à le mettre dans une moins bonne position quand la vacance est autorisée par l’assureur, ce qui semble incongru. 

De toute manière, la clause de garantie hypothécaire prévaut sur toutes les dispositions du contrat d’assurance, ce qui inclut la police et les avenants. Le contrat d’assurance conclu entre l’assureur et le prêteur est ambigu. La jurisprudence a plusieurs fois établi que les dispositions d’un contrat doivent être interprétées de manière large lorsqu’elles sont reliées à la garantie et étroitement lorsqu’elles établissent des exclusions. 

L’assurée devait 186 800 $ au prêteur, et le créancier a récupéré 30 000 $ provenant de la vente en justice de l’immeuble, ce qui laisse un solde de 156 800 $. La Cour d’appel condamne l’assureur à verser cette somme à Roma Capital, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle.