Quand les sinistrés ne s’entendent pas avec leur assureur sur quelque chose qui semble évident, comme la définition d’une « résidence entièrement détruite », le règlement du sinistre peut traîner en longueur. Si le tribunal doit régler le litige, le résultat final n’est pas toujours au goût des parties. 

Le 23 avril dernier, le juge Babak Barin, de la Cour supérieure du Québec, a rendu sa décision concernant une demande d’indemnisation d’assurance impliquant l’assureur Royal & Sun Alliance du Canada (RSA, maintenant intégré dans Intact).

Les demandeurs, Yves Meloche et Lyne St-Amant, sont propriétaires d’une résidence à Sainte-Thérèse. Le 12 janvier 2018, alors qu’ils séjournent au Mexique, l’incendie se déclenche dans le garage de leur maison, causant de très lourds dommages. La défaillance d’une chaufferette accrochée à l’un des murs du garage en serait la cause et une poursuite est en cours contre le manufacturier de l’appareil. 

Dès le 13 mars 2018, le règlement du sinistre sera l’objet de l’insatisfaction des demandeurs, qui réclament la somme supplémentaire de 622 111,79 $. Au moment du procès commencé en janvier 2023, l’assureur a déjà indemnisé les demandeurs de 561 198,07 $.

En sus, les demandeurs ont vendu leur résidence pour une somme de 260 000 $ sans avoir procédé à aucun travail de réparation à la suite de l’incendie. 

« Face aux agissements et demandes parfois démesurés de ses assurés, la réponse de RSA a été forte, parfois, même un peu trop peut-être », écrit le juge Barin. Son jugement de 60 pages donne partiellement raison aux assurés, mais pour une somme nettement inférieure à leur réclamation, soit 8,3 % de ce qu’ils demandaient. 

Le contexte 

Après l’incendie, l’assureur retient immédiatement les services d’un cabinet d’expertise en règlement de sinistres pour gérer la réclamation. Les services d’une firme de restauration après sinistre et d’une firme de construction sont aussi requis pour réaliser les travaux d’urgence nécessaires à la protection de l’immeuble. 

Vu l’ampleur du sinistre et comme l’immeuble est inhabitable, l’expert en sinistre suggère aux assurés de ne pas rentrer immédiatement au Canada. Avec l’approbation de ces derniers, l’assureur et ses représentants s’occupent des suites du sinistre. Les assurés seront logés temporairement pour quatre mois à un coût de 2 600 $ par mois. 

Une firme spécialisée vient sur les lieux le 24 janvier 2018 pour inspecter l’immeuble et estimer les dommages. Les deux professionnels de la firme rencontrent les assurés cinq jours plus tard, en compagnie de l’expert en sinistre mandaté par l’assureur. Selon eux, la démolition complète ne s’avère pas nécessaire. 

Deux jours plus tard, les demandeurs acceptent de retenir les services de la firme de construction pour réaliser les travaux de remise en état. Les travaux commencent dès le 1er février 2018. L’assureur verse un chèque de 10 000 $ à M. Meloche à titre de frais de subsistance. 

Un rapport préliminaire de 229 pages est transmis aux assurés le 28 février 2018 par l’expert en sinistre, avec l’estimation des dommages s’élevant à 305 537,96 $. Le lendemain, les parties discutent de l’échéancier des travaux de reconstruction. 

Un autre expert 

Le 5 mars 2018, après avoir entamé des démarches auprès d’un autre cabinet d’expertise en sinistre, M. Meloche fait part de son insatisfaction quant au traitement de son dossier. Assez rapidement, les représentants de RSA quittent le chantier alors que la démolition sélective est pratiquement terminée. Les travaux de reconstruction ne sont pas encore entamés. 

Dès le 19 mars 2018, les demandeurs informent l’assureur de leur intention de ne pas procéder aux travaux de réparation de l’immeuble. L’assureur n’aura plus accès à la résidence avant le 18 juillet 2018, à la demande du nouvel expert en sinistre mandaté par les demandeurs.

Entretemps, un chèque de 257 710,13 $ est remis aux assurés le 2 mai. Après avoir obtenu une expertise technique d’une autre firme et les plans d’un architecte pour une construction neuve, l’expert en sinistre des assurés réclame la somme de près de 1,3 million de dollars à RSA. Dans cette lettre du 19 juin 2019, il fait valoir la couverture « valeur à neuf » des assurés.

Deux jours plus tard, une autre lettre est envoyée à RSA pour se plaindre de la qualité du travail de remise en état des biens, lesquels n’auraient pas été correctement nettoyés, selon les prétentions des demandeurs. 

Le 9 août 2018, l’assureur accepte de bonifier son estimation initiale des dommages à 423 249,20 $. L’assureur prévoit toujours une durée estimée des travaux de 12 à 14 semaines, avec une date anticipée de fin du chantier au plus tard dans la deuxième semaine de novembre. 

Une offre de règlement additionnelle est faite aux demandeurs, mais elle comprend un certain nombre d’items pour lesquels l’assureur demande des preuves justificatives. 

Le 17 janvier 2019, les demandeurs vendent leur résidence. Les acquéreurs ont procédé à la rénovation de l’immeuble à partir du printemps 2019. L’un des acquéreurs habite même la maison rénovée durant 18 mois. 

Le 14 août 2019, soit près de 19 mois après l’incendie, sans preuve des dommages additionnels fournie par les demandeurs, RSA et son expert en sinistre ferme le dossier. Le procès débute le 9 janvier 2023 et le dossier sera pris en délibéré le 22 janvier 2024. 

Les dommages réclamés 

Les demandeurs réclament la somme de plus de 522 000 $, incluant les dommages pour le bâtiment (65 %), le contenu (27 %) et des frais de subsistance supplémentaires. Ils demandent aussi 100 000 $ en dommages moraux et punitifs.

Le tribunal n’accorde qu’une très mince partie de la réclamation, soit le montant touchant les frais de logement temporaires et le montant concernant les frais d’entrepreneurs chargés de la gestion des biens meubles. 

À partir du paragraphe 50 du jugement qui en compte 294, le tribunal tranche chacun des éléments de la réclamation des demandeurs. Les parties ont transmis plus d’une centaine de pièces totalisant 2 500 pages. 

Une partie du jugement porte sur l’argument des demandeurs qui plaident que l’assureur leur a injustement nié la possibilité de recourir à deux des quatre options d’indemnisation prévues au contrat et leur a imposé l’indemnisation selon la valeur au jour du sinistre. 

Les demandeurs soutiennent que l’expression « entièrement détruit » ne fait l’objet d’aucune définition dans la police et que la définition « vague et ambiguë » fournie par l’assureur doit être interprétée de manière large et libérale contre RSA. 

Le tribunal rappelle que sur la base de la preuve soumise, le bâtiment n’est pas entièrement détruit. La charpente en bois, la dalle de béton sous la partie habitable de la résidence, certaines composantes de la tuyauterie et de la plomberie, l’électricité et certaines fenêtres sont récupérables et utilisables. 

Le juge se dit d’accord avec l’assureur concernant l’avenant 15058 du contrat, lequel ne s’applique pas dans la présente affaire. Selon l’assureur, le coût effectif de reconstruction ne permet pas d’outrepasser le caractère indemnitaire de l’assurance et ne donne pas droit à des sommes visant la reconstruction d’éléments non endommagés par le sinistre. 

Autres réclamations 

Concernant les travaux d’aménagement paysager, autre réclamation rejetée par le tribunal, un des rapports d’expert fournis par les demandeurs est basé sur la prémisse que les fondations de l’immeuble seront éventuellement remplacées, ce qui n’a jamais été le cas. La professionnelle qui l’a soumis a été fortement influencée par l’expert en sinistre appelé en renfort par les demandeurs. 

La réclamation de 108 023,22 $ pour le contenu est aussi rejetée. L’assureur a déjà payé les frais de nettoyage et d’entreposage. Les demandeurs ont énuméré 769 items comme étant « perdus pour eux ». L’assureur allègue que les demandeurs n’ont fourni aucune preuve attestant de tels dommages au contenu. La preuve montre plutôt que les assurés n’ont jamais eu l’intention de récupérer leurs biens nettoyés, tant les vêtements que les meubles. 

Des factures d’entrepreneurs pour une somme de 46 247,13 $ sont réclamées, dont une partie, soit 33 422,43 $, n’a pas été payée par l’assureur. Le tribunal accepte cette réclamation, en précisant la date du calcul des intérêts pour chacune des factures impayées. Une facture de plus de 22 000 $ soumise par l’expert en sinistre des demandeurs et qui concernait des travaux n’ayant jamais été faits a été rayée de la réclamation finale. 

Le juge Barin n’accorde pas l’indemnité additionnelle dans ce dossier, en raison du caractère nettement exagéré de la réclamation des demandeurs. Les frais de subsistance réclamés par les demandeurs sont rejetés.

Le tribunal ordonne à RSA de rembourser la somme de 18 200 $ pour le logement temporaire couvrant la période de juin à décembre 2018. L’assureur avait cessé de payer le loyer après avoir arbitrairement déterminé que la résidence allait être remise en état et habitable dès le 1er juillet 2018.

Comme les négociations avec les demandeurs ont continué jusqu’en septembre 2018, et en fonction de la preuve, le tribunal estime que l’assureur était responsable de fournir ce logement temporaire jusqu’en décembre 2018, soit sept mois de plus que les quatre mois prévus au départ. 

Pas de faute 

La réclamation de dommages moraux est aussi rejetée. La preuve ne démontre pas un comportement fautif de la part de l’assureur justifiant qu’il soit tenu responsable à titre extracontractuel pour des troubles, ennuis et inconvénients.

À propos des dommages punitifs, le tribunal estime que si l’assureur a réagi fortement à l’occasion, notamment sur les frais de logement temporaires, il n’y a pas eu preuve de mauvaise foi de sa part. 

Compte tenu du résultat mitigé de l’instance, les frais d’expert de 24 016 $ réclamés par les demandeurs ne seront pas remboursés. « Il aurait été préférable que les parties parviennent plus tôt et plus efficacement à un compromis sur les différends », conclut le tribunal en soulignant que le comportement de l’expert en sinistre des demandeurs a rendu impossible un règlement du sinistre avant la tenue du procès.