Le virage numérique auquel doit s’attendre de prendre l’industrie de l’assurance de dommages a été au cœur des débats du panel des assureurs tenu dans le cadre du congrès du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec. L’intention d’investir le numérique est claire chez les assureurs. La manière de le faire, tout en impliquant le courtage, reste à déterminer.

Jean-François Desautels, premier vice-président, Québec, d’Intact Assurance, a tenu à rappeler la position de sa compagnie en la matière. Le courtier sera impliqué dans la transaction, qu’elle se fasse par site mobile ou téléphone intelligent. « Pour nous, le rôle-conseil est présent, que ce soit par un numéro de téléphone pour joindre le courtier ou une autre façon », a-t-il dit.

Martin-Éric Tremblay, vice-président principal, région de l’Est, d’Aviva Canada, ce n’est pas impossible pour le courtier d’être visible dans l’univers numérique. Il a indiqué que des courtiers avaient déjà pris de l’avance en la matière. Il donne en exemple le cas de Sharp Insurance en Alberta, qui souscrit 1,5 million de dollars de nouvelles affaires par mois.

« Chez Aviva, nous développons de nouveaux systèmes pour suivre la montée du numérique, car nous étions très en retard. Nous mettons en selle la technologie pour permettre aux courtiers d’aller chercher les clients », a-t-il dit.

C’est dans cette optique qu’Aviva s’est déployée sur le Web en distribution directe. « Nous avons acquis 250 clients depuis aout. C’est excellent, car on en espérait 25. On veut avoir l’intelligence de ce client. Dès qu’un consommateur achète un livre sur Amazon, elle le suit pour la vie et lui fait des offres. En n’étant pas direct, il y a 50 % des consommateurs dont on ne comprenait pas le comportement et ainsi voir pourquoi ils ne traitent pas avec des courtiers », a dit M. Tremblay.

Sylvain Fauchon, chef de la direction du Groupe Promutuel, convient que sa compagnie avait aussi du rattrapage à faire. « Ça ne passera pas par une solution uniforme. On veut donner le choix au client. On ne le forcera pas vers un canal ou un autre. La clé est de comprendre d’où il vient et de lui donner le micro. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, on peut acheter 25 000 actions de Bombardier sans parler à personne », a-t-il dit.

Chez L’Unique assurances générales, le positionnement numérique est à réfléchir, dit son président et chef de l’exploitation Mario Cusson. « Nous avons toujours mis les courtiers au cœur de notre stratégie. Avec Internet, c’est l’assureur que l’on doit mettre de l’avant. C’est facile de faire un site transactionnel. C’est plus difficile d’y faire venir le consommateur », a-t-il dit.

Jean-François Béliveau, premier vice-président, Québec, de Northbridge Assurance, a fait remarquer que les nouveaux consommateurs n’ont pas connu un monde sans Internet et sans Google. Il ajoute que de nouvelles avancées viendront aussi chambouler la donne.

Selon Glen Bates, premier vice-président, Québec, de RSA Canada, la stratégie de son entreprise sera vraiment établie sur la relation qu’a le courtier avec son client. « On veut interfacer avec eux. On est dans ce processus. Nous avons développé des applications pour nos assurés, notamment en assistance routière, mais il faut aller plus loin », a-t-il dit.

Ce à quoi Martin-Éric Tremblay ajoute que les courtiers ne doivent pas avoir peur d’Internet. Il en donne pour exemple le cabinet ontarien Bullfrog Insurance, qui se concentre dans le marché des PME sur le Web. « Ce cabinet est composé de courtiers qui se sont regroupés pour apprendre, mais aussi pour développer le monde numérique », a-t-il précisé.

Mettre la marque de l’avant

Pour Jean-François Desautels, au-delà de la technique qu’apporte Internet, un assureur se doit de mettre de l’argent pour aller chercher les gens. Ce qui passe par des investissements dans la technologie, mais aussi dans la marque.

Il a ensuite été questionné par l’animateur Jean-Luc Mongrain sur le modèle d’Intact de rediriger les appels téléphoniques que l’assureur reçoit et qui les redirige vers les courtiers proches de l’endroit où l’appel a été généré. M. Desautels a assuré que ce modèle était ouvert à tous les courtiers, peu importe qu’il concentre avec Intact ou non ou encore que l’assureur en soit actionnaire ou non. « C’est ouvert à tous les courtiers, mais avec des critères de performance à respecter », a dit M. Desautels.

Sylvain Fauchon a renchéri en disant que son fils de 25 ans ne voulait rien savoir de discuter d’assurance avec quelqu’un par téléphone ou en personne. « Il veut pitonner. Il faut donc s’organiser pour le renseigner. Il y a des moyens de le faire via Internet, mais on ne peut l’obliger dans son choix », dit-il.

Dans ce contexte, les assureurs ont-ils peur pour l’avenir des courtiers? « Nous croyons beaucoup à leur valeur, a répondu Mario Cusson. Une personne qui achète une nouvelle maison aura toujours besoin de conseils. Même chose pour celle qui cherche à assurer son syndicat de copropriété. C’est complexe l’assurance. Il sera aisé pour les courtiers d’aller chercher le produit facile de la personne qu’il a bien conseillée. »

Pour Martin-Éric Tremblay, la principale difficulté, mais aussi inquiétude, que posera le consommateur qui ne veut pas de conseils sera de voir s’il sera bien couvert. « On sait que notre produit est complexe. Le danger est là, soit que le produit ne corresponde pas à son vrai besoin. Si ça arrive, on risque de devoir faire de la souscription après le sinistre, comme en assurance voyage », a-t-il dit.

Jean-François Desautels ajoute que l’offre de produits devra toujours comprendre une composante dans laquelle le client pourra dire s’il veut du conseil. « Il faut trouver des moyens pour joindre le client », a-t-il dit.

Le produit d’assurance gagnerait-il à être simplifié? Pour Jean-François Desautels, la réponse est oui, du moins en assurance habitation. « Il faut penser à simplifier le produit avant de penser à le vendre sur Internet. On peut faire un beau travail en simplifiant le produit. On donne une certaine forme de conseil avec cela », a-t-il dit.

Sylvain Fauchon dit pour sa part que cette simplification ne doit pas se faire de façon uniforme pour tous les produits. « Ce sera impossible de le faire pour certains produits », dit-il.

Sur ce point, Jean-François Desautels dit souhaiter que la loi vienne définir clairement la définition de ce qu’est le conseil. « La loi devra définir quelles sont les obligations liées au conseil, tout en donnant une souplesse pour le donner », a-t-il précisé.

Selon Jean-François Béliveau, le virage numérique se fera via le réseau de distribution. « Le client voudra soit parler en personne au courtier ou soit lui téléphoner. Mais il y a aussi des jeunes qui veulent recevoir leur soumission par message texte », dit-il.

Martin-Éric Tremblay prévient les coutiers qu’ils ne doivent pas voir la vie en gris face à Internet et au numérique. Il a redonné l’exemple de Sharp Insurance, qui a pris ce virage il y a trois ans. « Il ne faut pas avoir peur d’Internet. Les courtiers doivent nous mettre la pression pour les aider », dit-il.

Jean-François Desautels ajoute que les assureurs directs voient qu’ils ont des lacunes dans leurs modèles. « Ils veulent voir comment ils peuvent se rapprocher du client pour copier le courtier. Nous avons tous Desjardins comme adversaire. On doit investir dans nos marques pour y faire face. Où l’on se différencie, c’est par l’entrepreneurship du courtier », a-t-il dit.