Le Groupe SCP Environnement a obtenu gain de cause devant le tribunal en déposant sa requête de type Wellington. La Cour supérieure force les assureurs de deux polices distinctes à prendre sa défense dans une poursuite découlant d’un déversement de carburant survenu à l’aéroport de Salluit en 2017.
SCP est défenderesse en intervention forcée dans le litige intenté par la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec et son assureur, Liberty Mutual Insurance Company. Ceux-ci, qui sont les parties demanderesses dans le recours principal, poursuivent l’Administration régionale Kativik (KRG) et son assureur, Les Souscripteurs du Lloyd’s.
Le sinistre
Le litige concerne un déversement de carburéacteur survenu le 22 décembre 2017 à l’aéroport de Salluit, qui est la propriété du ministère des Transports du Québec (MTQ).
Le préposé de KRG a percuté la valve du réservoir appartenant à la Fédération alors qu’il menait une opération de déneigement. Quelque 8 500 litres du carburant ont été déversés dans l’environnement.
La Fédération retient les services de SCP pour procéder à des travaux d’urgence. En mai 2018, un mandat plus extensif de réhabilitation environnementale est accordé à la même société.
Les demanderesses réclament de KRG et de son assureur des dommages-intérêts de 614 633,07 $ en lien avec les travaux d’urgence et de réhabilitation déjà entrepris.
D’autres travaux additionnels de 8,2 millions $ (M$) sont requis à l’aéroport de Salluit afin de réhabiliter et réparer le dommage à l’environnement. Les demanderesses affirment que KRG, Lloyd’s et le MTQ sont solidairement responsables d’exécuter les travaux et d’en assumer les coûts.
KRG dépose un acte d’intervention forcée où elle allègue que SCP est en partie responsable des dommages environnementaux. Le cas échéant, elle demande au tribunal de déterminer la part de responsabilité de SCP dans la condamnation.
Deux polices
SCP est couvert par deux polices d’assurance. La première est une police responsabilité professionnelle pour erreurs et omissions émise par le cabinet Markel Canada au nom de certains Souscripteurs du Lloyd’s.
Une autre police de responsabilité civile couvrant l’atteinte environnementale est émise par un syndicat d’assureurs par l’entremise de Gestionnaires d’assurances SUM. SCP prétend qu’il existe une possibilité de couverture en vertu des deux polices et qu’aucune exclusion ne s’applique de façon claire et non équivoque.
Les assureurs nient la couverture et invoquent chacun une exclusion en vertu de leur police respective.
La requête
Le 20 novembre dernier, la juge Audrey Boctor du district de Montréal de la Cour supérieure donne raison à SCP et accorde la requête Wellington. L’obligation de défendre est prévue à l’article 2503 du Code civil du Québec.
« L’analyse de l’obligation de défendre se fait à la lumière des allégués de la procédure contre l’assuré qui sont tenus pour avérés et interprétés le plus largement possible », indique le tribunal.
La Cour suprême a établi que l’interprétation des polices d’assurance doit se faire dans l’ordre suivant : la protection, les exclusions et les exceptions. Lorsque la police n’est pas ambiguë, le tribunal doit l’interpréter en donnant effet à son texte en considérant la police dans son ensemble.
Si le libellé de la police est ambigu, les tribunaux utilisent les règles générales d’interprétation des contrats. Si ces règles ne suffisent pas à dissiper l’ambiguïté, celle-ci profite à l’assuré.
Une fois la possibilité de couverture établie, il incombe à l’assureur que la protection soit écartée clairement et sans équivoque par une clause d’exclusion. Si une exception est pertinente, c’est à l’assuré de démontrer qu’elle s’applique. La juge Boctor rappelle que le débat doit demeurer sommaire. Le tribunal doit se garder de faire un procès à l’intérieur du procès.
L’analyse
Dans cette affaire, le syndicat d’assureurs responsable de la deuxième police prétend que l’acte d’intervention forcée de KRG est de la nature d’une mise en cause qui vise à adjoindre SCP à titre de défendeur. En conséquence, le syndicat allègue que l’obligation de défendre se limite à l’analyse des allégations tenues pour avérées dans la demande principale.
Le tribunal ne retient pas cet argument, car la demande principale ne formule aucun reproche à SCP. C’est l’acte d’intervention forcée qui déclenche le sinistre concernant SCP.
En cours de route, la demande principale a évolué. Au départ, les travaux à réaliser incluaient la décontamination du terrain de baseball utilisé par SCP pour entreposer des matériaux contaminés. Depuis, les demanderesses ont confirmé qu’il n’y a pas de lien avec le sinistre du 22 décembre 2017. La responsabilité de SCP n’est donc plus recherchée à propos de la réhabilitation du terrain de baseball.
Markel-Lloyd’s soulèvent deux motifs pour nier la couverture. Premièrement, la réclamation vise à obtenir le remboursement des honoraires facturés par SCP et ceux-ci ne sont pas des dommages-intérêts au sens de la police.
Le tribunal ne retient pas cet argument en rappelant que les honoraires de SCP ont été payés par la Fédération, laquelle ne formule aucun reproche à la firme de consultants. Aucune partie ne demande à SCP de rembourser ses honoraires. La possibilité de protection a été établie par SCP.
Deuxièmement, Markel-Lloyd’s soulèvent une exclusion sur les services de remédiation qui s’applique à l’affaire. Le tribunal estime que, comme il n’est pas possible de conclure que l’exclusion s’applique de manière « claire et sans équivoque », l’assureur doit défendre l’assuré.
SCP concède que la couverture pour les travaux réalisés en urgence dans les jours suivant le déversement est exclue. Son travail de supervision environnementale est couvert par la police couvrant la responsabilité environnementale.
Concernant les travaux réalisés à partir de mai 2018, la preuve au dossier n’est pas concluante. Le tribunal n’a pas à examiner la défense de SCP, mais la demande elle-même afin de déterminer si l’obligation de défendre est enclenchée.
Les multiples possibilités soulevées par Markel-Lloyd’s mettent en évidence qu’un examen complet du dossier et de la preuve est nécessaire avant de conclure que l’exclusion s’applique à l’affaire. Comme la couverture est possible, l’assureur doit défendre l’assuré.
Concernant la police d’assurance environnementale souscrite par l’entremise de SUM auprès du syndicat d’assureurs, l’exclusion no 15 soustrait de la couverture les erreurs et omissions ou faute de nature professionnelle. Le syndicat renvoie donc cet aspect de la réclamation à l’autre police souscrite par SCP.
Le tribunal ne retient pas l’argument du syndicat et considère que la possibilité d’une couverture a été prouvée. La juge rappelle que dans son acte d’intervention forcée, KRG reproche à SCP une intervention déficiente qui aurait aggravé le dommage environnemental et engendré des coûts additionnels. Les allégations ne se limitent donc pas au déversement du 22 décembre 2017.
Concernant l’exclusion no 15, le tribunal « est d’avis qu’il n’est pas clair et non équivoque » qu’elle s’applique. Les positions opposées des assureurs ne font que mettre en relief pourquoi le tribunal saisi d’une demande de type Wellington doit se garder de trancher des débats factuels ayant une incidence sur le fond du litige.
« Cette tâche appartient au juge saisi du fond. Les assureurs auront, en temps et lieu, l’occasion de faire valoir leurs positions respectives quant à l’impact des conclusions factuelles sur leurs obligations respectives, le cas échéant », indique le tribunal.
Choix de l’avocat
SCP demandait au tribunal de lui réserver la possibilité de mandater elle-même les avocats de son choix en l’instance. La défenderesse souligne que les Lloyd’s sont à la fois l’assureur de KRG, l’assureur en vertu de la police d’assurance responsabilité et l’assureur principal (40 %) au sein du syndicat. SCP note aussi que Liberty est à la fois l’assureur de la Fédération ainsi qu’un assureur participant (10 %) au sein du syndicat.
Markel-Lloyd’s et le Syndicat contestent cette demande. Markel-Lloyd’s confirment que s’ils sont tenus de défendre SCP, ils acceptent que les procureurs actuels de la défenderesse continuent à la représenter.
Le tribunal rejette la demande de SCP. Dès décembre 2022, le syndicat a cessé de diriger la défense dans le présent dossier et d’en acquitter les frais. « Si, à présent, SCP n’a pas changé d’avocats, et ne souhaite toujours pas le faire en date de l’audition devant le Tribunal, le risque d’intérêts divergents n’est qu’appréhendé et non pas réel », souligne la juge Boctor.
Comme l’acte d’intervention forcée ne distingue pas entre les interventions de SCP entre le 23 et le 27 décembre 2017 et celles à partir du printemps 2018. Aucune preuve n’a été administrée, ni argument présenté, qui permettrait au tribunal d’allouer des frais de défense aux travaux d’urgence. La répartition égale des frais de défense entre les assureurs qui couvrent les deux polices est ordonnée.