Les dommages causés par les sinistres naturels ont été importants encore en 2021. Plusieurs études récentes montrent l’ampleur des pertes économiques, dont la large part n’est toutefois pas couverte par les assureurs.
Le 18 janvier dernier, le Bureau d’assurance du Canada (BAC) faisait la liste des dix plus importants sinistres climatiques survenus en 2021 au pays (voir carte ci-dessous). Les dommages aux biens assurés attribuables aux phénomènes météorologiques violents ont atteint 2,1 milliards de dollars (G$) en 2021.
L’année 2021 se classe au 6e rang dans la liste des années où les montants en sinistres assurés ont été les plus importants depuis 1983.
La tempête de grêle du 2 juillet à Calgary et les inondations de novembre en Colombie-Britannique ont coûté plus de 500 millions de dollars (M$) en biens assurés.
« Il est temps que le Canada fasse de la résilience au climat une priorité », indique Craig Stewart, vice-président affaires fédérales au BAC. Le gouvernement fédéral devrait prévoir des fonds importants dans son prochain budget pour permettre la mise en œuvre de sa stratégie nationale d’adaptation attendue à l’automne 2022, selon le BAC.
De 1983 à 2008, les assureurs canadiens n’avaient enregistré en moyenne que 422 M$ par année en prestations de sinistres liés à des phénomènes météorologiques violents. « La nouvelle norme pour les sinistres catastrophiques assurés au Canada, dont la plupart sont dus à des dégâts d’eau, est de 2 G$ par année », ajoute M. Stewart.
Suivant les pressions du BAC pour l’adoption d’un plan d’action national sur les inondations, Ottawa a formé à la fin de 2020 le Groupe de travail sur l’assurance contre les inondations et la réinstallation, dont le rapport est attendu ce printemps.
En l’absence de cartes fiables des zones inondables, l’industrie de l’assurance a également financé le premier modèle national de cartographie des inondations au Canada, ajoute le BAC dans son communiqué.
Étude de Swiss Re
Le 14 décembre dernier, l’Institut Swiss Re publiait son évaluation préliminaire sigma des dommages causés par les sinistres naturels, estimés à 105 milliards de dollars américains (G$ US) en valeurs assurées. D’autres sinistres liés à l’activité humaine ont ajouté 7 G$ à cette facture.
« Il devient normal que des sinistres comme les inondations, les tempêtes hivernales ou les feux de forêt causent des dommages supérieurs à 10 G$ US » Martin Bertogg, Swiss Re
Selon sa plateforme sigma, qui recueille des données sur les sinistres depuis 1970, 2021 se classe au 4e rang des pires années en matière de pertes assurées.
Les pertes économiques sont estimées à 259 G$, alors que la moyenne sur 10 ans est de 229 G$ par année. Selon Martin Bertogg, directeur des sinistres catastrophiques chez Swiss Re, les pertes assurées en 2021, estimées à 112 G$, ont encore une fois dépassé la moyenne décennale (86 G$). La tendance d’une inflation annuelle des coûts de sinistre de 5 à 6 % s’est poursuivie l’an dernier.
« Il devient normal que des sinistres comme les inondations, les tempêtes hivernales ou les feux de forêt causent des dommages supérieurs à 10 G$ US », ajoute M. Bertogg, en rappelant les dommages encore plus importants causés par l’ouragan Ida.
De son côté, Jérôme Jean Haegeli, économiste en chef du réassureur, ajoute que l’impact grandissant des sinistres naturels réaffirme l’importance d’investir de manière importante dans les infrastructures pour limiter les dommages causés par les conditions météorologiques extrêmes. Seulement aux États-Unis, le déficit d’entretien des infrastructures exigerait des investissements de 500 G$ par année d’ici 2040.
Le réassureur constate que si les feux ont ravagé de plus grandes superficies du territoire californien en 2021, ceux-ci ont touché des régions moins densément peuplées qu’en 2017, 2018 et 2020.
Évaluation de Munich Re
De son côté, la firme de réassurance Munich Re a publié ses estimations des dommages causés par les sinistres naturels le 10 janvier dernier. Les pertes économiques sont estimées à 280 milliards de dollars américains (G$ US), dont 120 G$ sont couverts par les assureurs (43 %).
Munich Re classe également l’année 2021 au 4e rang parmi les pires années en matière de dommages causés par les sinistres naturels. Les sinistres les plus importants ont eu lieu aux États-Unis, avec l’ouragan Ida et ses dommages de 65 G$ (dont 36 G$ assurés), et en Europe, où les tempêtes de l’été ont causé des inondations majeures dans plusieurs pays. Les dommages sont évalués à 54 G$, dont 13 G$ étaient assurés.
En Allemagne, les dommages sont estimés à 40 G$, dont 9,7 G$ étaient assurés. Il s’agit du sinistre naturel le plus important jamais enregistré dans ce pays. Plus de 220 personnes ont perdu la vie lors de cette dépression appelée Bernd.
« Les statistiques de 2021 sur les désastres naturels se distinguent parce que plusieurs des événements météorologiques qui les ont causés se produiront de plus en plus souvent en raison des changements climatiques », Ernst Rauch, Munich Re
Les États-Unis représentent encore une fois une large part des pertes économiques causées par les sinistres naturels, avec des dommages de 145 G$, dont environ 85 G$ sont assurés. Les dommages sont nettement plus élevés que lors des deux années précédentes.
Les tornades survenues en décembre qui ont frappé six États du centre et du sud-est ont causé des dommages importants. Les estimations initiales rapportent des pertes de 5,2 G$, dont 4 G$ en dommages assurés. Plus de 90 personnes ont perdu la vie, la plupart à Mayfield (Kentucky), où une tornade de catégorie F4 a ravagé la région.
« Les statistiques de 2021 sur les désastres naturels se distinguent parce que plusieurs des événements météorologiques qui les ont causés se produiront de plus en plus souvent en raison des changements climatiques », indique Ernst Rauch, le scientifique responsable du climat chez Munich Re.
Selon lui, les études scientifiques prévoient une hausse de la fréquence des ouragans et des tempêtes apportant d’importantes précipitations en raison du réchauffement du climat.
« Même si tous ces désastres ne peuvent être automatiquement reliés aux changements climatiques, l’analyse sur plusieurs décennies fournit une connexion plausible entre ces événements et le réchauffement de l’atmosphère et des océans », ajoute M. Rauch.
Une couverture plus large par l’assurance aide les communautés à se remettre sur pied plus rapidement des conséquences d’un désastre naturel, selon M. Rauch, qui suggère l’établissement de partenariats public-privé en la matière.
Le réassureur souligne aussi la nécessité de ne pas mésestimer la menace posée par les séismes et les éruptions volcaniques. En septembre, les coulées de lave du volcan Cumbre Vieja ont détruit quelque 3 000 propriétés dans l’archipel des îles Canaries. Ce n’est que le 25 décembre que les autorités locales ont déclaré l’éruption terminée. Les dommages sont évalués à 1 G$, dont une très mince part est couverte par l’assurance.
Une autre éruption du volcan Semeru dans l’île de Java en Indonésie a causé la mort de plus de 50 personnes en décembre.
Rapport d’Aon
La firme Aon a publié, le 25 janvier dernier, son rapport sur le coût des catastrophes à l’échelle mondiale. Seulement 38 % des pertes de 2021 étaient couvertes par l’assurance. Tous les montants ci-dessous sont en dollars US.
Intitulé 2021 Weather, Climate and Catastrophe Insight, son rapport estime que les pertes économiques mondiales associées aux catastrophes naturelles ont totalisé 343 milliards de dollars américains (G$ US) l’an dernier, dont 329 G$ résultant d’événements météorologiques et climatiques.
Si l’on compare ces chiffres à ceux de la décennie 2011-2020, les pertes économiques ont été 4 % plus élevées en 2021 que la moyenne de la décennie précédente, et 15 % plus élevée que la médiane.
L’année 2021 aura été la septième année la plus coûteuse jamais enregistrée, après ajustement pour inflation, mais la troisième si l’on considère seulement les événements météorologiques et climatiques, après les sinistres naturels survenus en 2005 et 2017.
Quelque 130 G$ étaient des pertes couvertes par des polices d’assurance. Quelque 71 % de ces pertes assurées ont eu lieu sur le territoire des États-Unis. L’ouragan Ida a causé au moins 96 décès.
Les sinistres majeurs
Les pertes ont augmenté comparativement à l’année précédente, mais le nombre de catastrophes a légèrement diminué, passant de 416 sinistres majeurs en 2020 à 401 en 2021. Selon Aon, cela montre l’augmentation du coût et de la gravité de ces sinistres.
Pour être classé dans le tableau des sinistres majeurs par Aon, l’événement doit avoir atteint un des seuils suivants : des pertes économiques de 50 M$, des pertes assurées de 25 M$, 10 décès, 50 blessés ou 2 000 réclamations.
Il y a eu 50 événements ayant causé des pertes économiques d’au moins un milliard de dollars, soit la quatrième année la plus élevée jamais enregistrée. Une vingtaine de sinistres ont atteint le seuil d’assurance de 1 G$, dont 14 sont survenus sur le territoire états-unien.
« Il est clair qu’il y a un manque de protection et d’innovation en ce qui concerne le risque climatique », Stéphane Lespérance, Aon Canada
Quatre événements majeurs ont surpassé le seuil des 20 G$ de pertes : l’ouragan Ida, les inondations en Europe en juillet, les inondations en Chine et le vortex polaire qui a frappé les États-Unis et le Mexique en février. Selon Aon, c’est seulement la deuxième fois que l’on atteint ainsi quatre événements majeurs durant la même année calendaire, après 2004, où deux séismes avaient causé d’énormes dégâts. En 2021, les quatre événements sont tous reliés au climat.
« Il est clair qu’il y a un manque de protection et d’innovation en ce qui concerne le risque climatique », indique Stéphane Lespérance, président d’Aon au Canada. Selon lui, la façon dont on évalue ces risques ne peut plus seulement dépendre de données historiques. L’utilisation de technologies comme l’intelligence artificielle et les modèles prédictifs qui évoluent en permanence avec la volatilité du climat seront nécessaires pour améliorer le processus de décision, selon M. Lespérance.
Au Canada, la Colombie-Britannique a été particulièrement frappée par la vague de chaleur et les feux de forêt en juin qui ont causé plus de 800 décès. En novembre, les précipitations abondantes ont provoqué des inondations majeures. Les pertes sont estimées à 2,4 G$, dont seulement 400 M$ étaient assurés. La température de 49,6 °C (121 °F) enregistrée à Lytton le 29 juin est la plus élevée à avoir été enregistrée au nord du 45e parallèle.
L’année 2021 a été la plus coûteuse de l’histoire en matière de sinistres assurés en Allemagne, en Belgique, en Autriche, au Luxembourg et en République populaire de Chine. Les 130 G$ de pertes assurées en 2021, dont 127 G$ directement reliés au climat, représentent la quatrième pire année pour les assureurs, après 2017, 2011 et 2005.
Quelque 10 500 personnes ont perdu la vie à la suite de sinistres naturels, dont 6 500 pour les 10 événements les plus graves. Le séisme du 14 août à Haïti a été le plus meurtrier avec 2 248 décès, suivi par la saison des inondations en Inde (1 282) et la canicule exceptionnelle survenue en juin dans l’ouest de l’Amérique du Nord (1 029).
Impact du réchauffement
Une partie importante du rapport Aon souligne l’importance des changements climatiques. Selon une étude de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), le changement le plus important associé au réchauffement n’est pas dans les extrêmes de température enregistrés durant le jour. C’est plutôt les températures minimales nocturnes qui sont inquiétantes. Dans les agglomérations urbaines densément peuplées, les nuits où la température ne descend pas sous les 20 °C sont de plus en plus fréquentes.
« Plus les effets des changements climatiques se feront sentir, plus il devient urgent de se préparer aux événements qui nous attendent dans le futur », Aon
« La plupart des maisons, des usines et des infrastructures sont construites en fonction du climat du 20e siècle. Plus les effets des changements climatiques se feront sentir, plus il devient urgent de se préparer aux événements qui nous attendent dans le futur », indique Aon dans son rapport.
Les impacts des changements climatiques se font sentir sur la main-d’œuvre. Pour les métiers où le travail s’exécute à l’extérieur, comme dans la construction ou l’agriculture, une étude menée par l’Organisation internationale du travail (OIT) en 2019 estimait que le nombre d’heures travaillées allait baisser de 2 % d’ici 2030 en raison de la hausse des températures. Cette baisse atteindrait même 5 % en Asie du Sud ou en Afrique de l'Ouest.
Le rapport d’Aon contient aussi des segments sur les tempêtes convectives majeures (SCS, pour « severe convective storms »), les émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement des océans, la fonte des glaciers en Arctique et en Antarctique et leur impact sur l’élévation des mers et les extrêmes climatiques.