Le 10 décembre dernier, la Cour supérieure du Québec a rejeté le recours intenté par Intact compagnie d’assurance à l’encontre d’une société spécialisée dans le nettoyage des sinistres environnementaux. L’affaire concerne un accident de camion-citerne survenu sur la route 175 en direction du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
La défenderesse dans ce litige, Veolia es Canada services industriels, est spécialisée dans le nettoyage, le pompage et la récupération des contaminants. Dans la nuit du 28 mars 2017, elle est appelée à intervenir en urgence sur les lieux d’un accident routier.
Le camion-remorque de la société Transport Casco était chargé d’une citerne contenant 15 000 litres de diesel marin, à la demande de GHL Transport, propriétaire du carburant et de la citerne. Le carburant devait être livré de Montréal jusqu’aux installations portuaires de Port-Alfred, à Saguenay. Intact est l’assureur de Casco.
Après avoir dédommagé Casco, Intact réclame dans sa demande initiale la somme de 1 107 540 $ à Veolia à titre de dommages aggravés. Lors du procès, la réclamation est réduite à 589 740,30 $. Le tribunal rejette la demande.
Le déversement
À 20 h 25, alors qu’il se trouve au kilomètre 196 de l’autoroute 175, dans le secteur du lac Ministuk de la réserve faunique des Laurentides, le camionneur perd la maîtrise du camion-citerne et percute un deuxième camion qui est lui-même immobilisé en bordure de l’autoroute.
« À la suite de cette collision, le diesel marin contenu dans la citerne se déverse sur la chaussée, ainsi que dans le fossé de drainage qui longe le côté est de l’autoroute. En raison de la légère pente de l’autoroute et du fossé, le pétrole se répand de façon linéaire sur une étendue d’environ 2 000 mètres vers le nord, tout en s’écoulant sur son parcours dans six ponceaux perpendiculaires à l’autoroute 175 », résume la juge Tiziana Di Donato, qui a tranché le litige.
La contamination finit par atteindre la rivière Gilbert, à plusieurs centaines de mètres à l’ouest de l’accident. Le superviseur chez GHL est rapidement informé de la situation et prévient Environnement Québec et Environnement Canada de la situation. Au ministère provincial, on lui suggère de retenir immédiatement les services de Veolia, qui détient l’expertise utile en pareilles circonstances.
Le mandat
Même si l’accident a été causé par un chauffeur de Casco, le superviseur de GHL décide d’aider son sous-traitant en demandant à Veolia de traiter la source de l’écoulement du carburant et d’en arrêter la propagation dans l’environnement.
Chez Veolia, on comprend rapidement que le paiement de ses honoraires sera fait par Casco, via son assureur. Le contact du sous-traitant demande à parler à l’assureur avec de confier ce mandat à Veolia. Le matin du 29 mars, Intact informe Veolia qu’elle est l’assureur de Casco. Le contrat est signé à 10 h 16.
Dans l’intervalle, des informations contradictoires circulent au sein d’Urgence-Environnement Québec concernant la possibilité du risque d’aggravation du risque environnemental dans un cours d’eau. À 22 h, un inspecteur de cette organisation arrive sur les lieux.
Il constate que tous les camions sont arrêtés au bas de la pente du kilomètre 196 en raison du verglas. La fuite de carburant est terminée, mais la chaussée est contaminée en direction nord sur plus de 1,5 km, tout comme une partie de l’accotement. Le chauffeur de Casco l’informe que Veolia a été mandaté pour s’occuper de la décontamination.
Une heure après avoir reçu l’appel de service de GHL, l’employé de Veolia arrive sur le site à 22 h 45 avec la remorque d’intervention utilisée pour des incidents de cette nature. Il commence à épandre de l’absorbant granulaire et à nettoyer la chaussée.
Le gel et la noirceur rendent les conditions difficiles, sans parler de l’accumulation de neige dans le fossé en bordure de la route, qui dépasse les 2,5 mètres par endroit, ce qui empêche de voir où sont les ponceaux perpendiculaires à l’autoroute.
Un autre superviseur de Veolia arrive, et la route est fermée pour assurer la sécurité des employés de Veolia et de ses sous-traitants chargés de remettre la chaussée en état. Une pelle mécanique et une excavatrice arrivent sur le site pour creuser des puits d’observation. À l’aube, un barrage est érigé en amont de la rivière Gilbert. La neige contaminée est entassée puis récupérée.
Le camion-vacuum arrive sur les lieux entre 7 h 30 et 8 h et s’installe au bas de la pente pour récupérer la plus grande partie du carburant dans les puits creusés par la pelle mécanique. Les travaux de Veolia sont exécutés sans relâche jusqu’à 16 h.
À 13 h 45 le 29 mars, l’expert en sinistres mandaté par Intact confie la suite des opérations à Laforge Environnement. Veolia doit revenir sur les lieux le 31 mars afin de pomper les contaminants qui se trouvent dans six digues. On invoque alors la possibilité que le diesel ait pu traverser l’autoroute. On trouve des traces de contaminants dans trois ruisseaux intermittents.
Laforge poursuit les travaux et le 4 avril, 615 tonnes de neige et 1 625 tonnes de sols sont transportées en dehors du site, quelque 60 000 litres d’eaux huileuses ont été pompés, deux ruisseaux ont été nettoyés, des estacades ont été construites, etc. Aucune trace de carburant n’a été décelée dans la rivière Gilbert, mais ça sera le cas plus tard, et les travaux de décontamination et de réhabilitation se poursuivent durant plusieurs mois.
Les dommages
L’assureur allègue que la négligence de Veolia a empiré les dommages. La défenderesse ne conteste pas l’exactitude de la facture réduite au procès, mais elle plaide plutôt l’absence de faute, de responsabilité ou de lien causal. En vertu de son contrat, elle ne peut être tenue responsable des dommages réclamés.
Durant les quatre journées du procès tenu en octobre 2023, le tribunal a entendu la preuve soumise par les experts des parties. Veolia affirme avoir respecté les termes de son mandat et avoir agi selon les règles de l’art malgré les conditions difficiles.
L’assureur dépose deux rapports d’experts, tandis que la défenderesse produit le sien. Selon les experts d’Intact, la première intervention qui aurait dû être faite par Veolia était d’arrêter l’écoulement de la citerne. Or, la preuve révèle que l’écoulement avait cessé à son arrivée sur le site. Quelque 8 000 litres de diesel se trouvent déjà dans l’environnement.
Les experts d’Intact reprochent aussi à la défenderesse de s’être affairée à faire reprendre la circulation routière plutôt que confiner le plus rapidement possible le déversement dans le fossé de drainage du côté est. « Il faut savoir que sur les lieux, les représentants sur place des corps policiers et du ministère des Transports pressaient sans équivoque Veolia d’exécuter en priorité les travaux permettant la réouverture de l’autoroute », souligne le tribunal.
Les ponceaux transversaux n’ont été découverts que trois jours après l’accident, alors que le chantier était sous la responsabilité de Laforge. Les experts de l’assureur omettent de considérer que cette nuit-là, personne n’a été en mesure d’identifier la présence d’un cours d’eau à proximité, même pas Environnement Québec. Cette information a pourtant été rapidement demandée par le représentant de Veolia.
Les experts de la demanderesse estiment que Veolia a mis trop de temps avant de mettre en place la structure de confinement le long du fossé de drainage. Or, Veolia a rapidement priorisé l’arrêt de la propagation du carburant dans l’environnement.
L’intervention
Lorsque des situations d’urgence surviennent, les rôles de chacun sont bien définis dans la loi et les plans d’urgence du gouvernement. Les lignes directrices d’intervention d’urgence ont été préparées par l’Association canadienne des carburants et elles ont été suivies par la défenderesse, indique le tribunal au paragraphe 55.
Selon les experts de Veolia, la présence de neige dans les fossés représentait à la fois une difficulté et un avantage pour l’intervention, puisque la neige a probablement contribué au ralentissement de la migration du diesel. La longue pente vers le nord a contribué à accélérer cette migration vers le bas et la rivière.
Aucune vérification du fossé ne pouvait être faite avant l’arrivée de la pelle mécanique commandée par Veolia, en raison de l’accumulation de neige et de glace. Faute de pouvoir mener une inspection visuelle, les intervenants ont utilisé l’odeur du diesel comme indicateur de la présence du polluant dans les puits d’observation, et aucune odeur n’a été décelée. On a néanmoins construit un barrage comme mesure préventive.
Le contrat et le Code civil
La lettre-mandat entre Casco et Veolia exonère cette dernière de tout dommage à l’environnement. Les auteurs de doctrine ont déjà établi qu’une telle clause ne permet toutefois pas d’exclure la faute lourde. Le mandant doit donc démontrer que son mandataire a posé des gestes qui ressemblent à une faute lourde.
Cette preuve de la faute lourde n’a pas été faite par l’assureur et la clause d’exonération doit trouver pleine application. Le recours doit être rejeté sur cette seule base. Le tribunal traite quand même de la faute alléguée par la demanderesse pour déterminer si celle-ci a aggravé le préjudice subi par l’assureur.
Selon le Code civil, l’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens pour exécuter son contrat, et il est tenu d’agir en fonction des intérêts de son client, avec prudence et diligence, et selon les règles de l’art. Seul un manquement flagrant permet de conclure à une faute.
La demanderesse doit établir que les pratiques usuelles n’ont pas été respectées. Le tribunal souligne qu’il est facile de critiquer les décisions prises en situation d’urgence. Les particularités du site ont contribué à la migration rapide du diesel dans l’environnement.
Le tribunal conclut que la preuve administrée au procès ne permet pas de conclure de façon prépondérante à la faute de Veolia et encore moins à l’aggravation du préjudice.
L’expert de la demanderesse a témoigné au procès et n’a pu expliquer adéquatement l’estimation de 10 % de la valeur des factures sur le côté est du site qui relevait de la faute de la défenderesse. Il n’a pas non plus réussi à convaincre le tribunal des raisons pour lesquelles Veolia serait responsable à 100 % des coûts liés aux travaux effectués du côté ouest de l’autoroute.
Veolia avait une obligation de moyens, et non de résultat. « Aurait-elle pu agir différemment et améliorer son intervention ? Peut-être, mais là n’est pas la question », indique le tribunal.
La preuve ne permet pas de conclure que le déversement du côté ouest de l’autoroute n’était pas déjà fait ou que la stratégie de confinement proposée par l’assureur aurait empêché la migration du diesel. Le recours est rejeté et Intact doit payer les frais de justice.