La Cour d’appel du Québec a donné raison à Revenu Québec dans un litige qui l’opposait depuis juillet 2015 à Desjardins assurances générales (DAG) et à La Personnelle assurances générales. Les deux compagnies sont condamnées à payer les pénalités associées à des avis de cotisation reliés aux remises de taxes sur les primes d’assurance perçues auprès de certains clients.
La décision de la Cour d’appel est datée du 14 janvier 2022 et a été signée par les juges France Thibault, Jacques J. Lévesque et Geneviève Cotnam. Elle vient infirmer la décision rendue le 3 juillet 2020 par le juge Christian Boutin, de la Cour du Québec. Le jugement nous a été rapporté par Me Maurice Charbonneau, du cabinet Trivium.
Les deux assureurs avaient obtenu gain de cause en première instance après avoir contesté deux avis de cotisation émis les 15 et 16 juillet 2015, lesquels couvraient la période du 1er juin 2011 au 31 décembre 2014. L’Agence du revenu du Québec (ARQ) réclamait ces sommes pour droits, pénalités et intérêts relativement à la taxe sur la prime d’assurance (TPA) perçue et non remise et afférente à des sommes reçues de leurs assurés avant l’entrée en vigueur des polices d’assurance.
DAG avait alors reçu un avis de cotisation de 228 045,17 $ et celui de La Personnelle se chiffrait à 256 742,15 $. En juin 2019, le juge coordonnateur adjoint Pierre A. Gagnon ordonnait que les deux dossiers soient présentés de façon commune.
Les deux demanderesses affirmaient que les montants encaissés ne constituaient pas le paiement de primes d’assurance au sens du Code civil du Québec, ce qui ne pouvait déclencher leur obligation de percevoir et de remettre la TPA en vertu des articles 525 et 527 de la Loi sur la taxe de vente du Québec (LTVQ).
Les assureurs ajoutaient que l’imposition des pénalités était discrétionnaire et que c’est en utilisant leurs propres rapports internes que l’ARQ avait pu établir les avis de cotisation. Les assureurs attendaient l’entrée en vigueur de la police pour remettre la TPA perçue. Le juge Boutin concluait que cette façon de faire respectait les exigences de la LTVQ.
En première instance, le tribunal a déterminé que les assureurs n’avaient pas à remettre la TPA sur les montants encaissés à l’égard des polices d’assurance de dommages qui n’étaient pas encore entrées en vigueur au moment du paiement par les clients.
Le paiement à l’avance
À la conclusion du contrat d’assurance de dommages, les assureurs transmettent à leurs clients un résumé des protections, incluant la date et l’heure d’entrée en vigueur de la police et indiquent le montant de la prime, la taxe applicable et les modalités de paiement. Les clients peuvent acquitter les primes de trois manières : 1) prélèvement bancaire automatisé, 2) par carte de crédit ou 3) par chèque ou virement électronique.
La troisième option est au cœur du litige. Les assureurs encaissent le montant à la réception, mais puisque la police n’est pas encore en vigueur, ils inscrivent la somme sous une rubrique comptable distincte. La TPA est remise au ministre après l’entrée en vigueur de la police.
L’ARQ se fie au rapport qui identifie les sommes encaissées sans égard aux dates d’entrée en vigueur des polices sous-jacentes pour conclure, après vérification fiscale, que les assureurs ont omis d’effectuer les remises de TPA au moment approprié.
L’appel accueilli
Deux questions ont été soulevées en appel. Est-ce que le juge de première instance a erré en concluant à l’absence d’obligation des assureurs de remettre la TPA sur les montants encaissés à l’égard des polices qui n’étaient pas encore en vigueur au moment de la remise ? Est-ce que l’imposition de pénalités en vertu de l’article 59.2 de la Loi sur l’administration fiscale (LAF) est bien fondée?
La Cour d’appel a donné raison à l’Agence dans les deux cas et confirme la validité des avis de cotisation délivrés en juillet 2015 à l’encontre des deux assureurs.
Le juge de première instance « commet une erreur de droit en basant son raisonnement sur l’exigibilité de la prime d’assurance en vertu du Code civil du Québec, alors que cette qualification découle plutôt de l’existence d’un contrat d’assurance valablement conclu entre les parties ».
Le tribunal s’attarde ensuite aux dispositions applicables de la LTVQ. L’article 512 prévoit que l’assuré doit payer la TPA au moment de payer sa prime et il y a une obligation corrélative de la part de l’assureur qui perçoit ladite taxe et la remet dans les délais prescrits. La TPA devrait donc être remise au ministre à partir de la date de perception, et non de la date où elle est exigible.
La nuance entre la création de l’obligation et son exigibilité est décrite dans le traité « Les obligations » sous la direction de Jean-Louis Baudoin (2013), cité par la décision de la Cour d’appel. À partir du moment où l’assureur encaisse la prime transmise par le client, il accepte le paiement, et ce, même s’il comptabilise la somme perçue dans un registre distinct en attendant l’entrée en vigueur de la police. Le client peut considérer que sa prime, incluant la taxe, est alors payée puisque l’argent est sorti de son compte.
L’article 24 de la LAF ne laisse aucune place à interprétation à l’égard du rôle de mandataire du ministre que joue l’assureur en percevant la TPA. L’article 527 de la LTVQ prévoit que le mandataire doit rendre compte, à la fin du mois, de la taxe perçue le mois civil précédent. L’Agence était justifiée d’envoyer ces avis de cotisation aux assureurs, conclut le tribunal en réponse à la première question.
Pénalités
Sur la question des pénalités, l’ARQ réclame un montant de 50 400 $ à Desjardins et 114 750 $ à La Personnelle. L’article 59.2 de la LAF prévoit une pénalité de 15 %. Les assureurs intimés font valoir qu’ils n’ont tiré aucun avantage du retard dans la remise de la TPA compte tenu du faible pourcentage de transactions visées et du peu de décalage entre la date de remise effective et celle où la remise aurait dû être faite selon l’Agence.
La défense de diligence raisonnable invoquée par les assureurs ne peut, dans les circonstances, faire échec à l’imposition de la pénalité prévue par la LAF. Cette défense s’applique pour les erreurs de bonne foi, mais non en présence d’une erreur de droit, souligne la Cour d’appel.
Les assureurs ajoutent que le fait de qualifier les montants reçus avant l’entrée en vigueur des polices d’assurance de « primes d’assurance » est susceptible d’avoir un impact sur leurs autres obligations fiscales. Le tribunal rejette cet argument en disant qu’il n’y a pas de lien entre la remise de la TPA perçue et la comptabilisation des revenus et des actifs de l’entreprise à des fins fiscales.
Le Portail de l’assurance a tenté de savoir auprès de Desjardins et de ses avocats s’ils allaient demander la permission d’en appeler de ce jugement auprès de la Cour suprême du Canada. Chez Desjardins, la porte-parole Valérie Lamarre confirme que « nos équipes en sont à prendre connaissance du jugement. Nous n’avons pas de commentaire à formuler à ce stade ».