Depuis 2020, de nombreux articles sur l’assurance et le télétravail ont été diffusés. On y trouve encore aujourd’hui des avertissements tels que « TOUTES (en majuscule dans le texte) les activités professionnelles effectuées à votre résidence sont exclues de votre contrat d’assurance habitation », sur le site Mutli-risques.com. De son côté, Xpertsource indique qu’en cas d’incident, la compagnie d’assurance pourrait « refuser de débourser un seul sou en vue de la reconstruction de votre maison ». 

Il s’agit là de propos à mille lieues de la réalité, constate Connie Ciccarello, courtière et présidente de Ciccarello assurances et services financiers, lorsqu’elle feuillette les multiples polices à proposer à ses clients. Elle y trouve plutôt des contenus qui n’ont jamais strictement interdit d’amener des dossiers chez soi et qui n’ont pas tant évolué depuis 3 ans.

Le calme, après la tempête médiatique 

Katherine Poirier

Il existe un devoir d’informer sa compagnie d’assurance pour les télétravailleurs entrepreneurs, principalement si leur entreprise est incorporée. Ces derniers doivent alors se trouver une assurance d’entreprise. Toutefois, un bien qui a été acheté à titre individuel, et non au nom de sa compagnie ou déduit d’un compte d’affaires, utilisé à la maison, demeure couvert par son assurance résidentielle.

Juristes et courtiers reconnaissent néanmoins un contexte où le télétravail doit être déclaré : celui de l’employé qui reçoit des clients à la maison. Dans les autres cas, les biens de l’employeur ne sont pas à la charge de l’employé en cas de bris ou d’un dommage dû à une maladresse dans la manipulation du matériel confié par l’entreprise, tranche Me Katherine Poirier, conseillère en RH agréée et avocate associée chez Borden Ladner Gervais (BLG), sauf en cas de négligence grave. Il en est de même pour les assurances visant la protection des données numériques. 

Pascal Dubois

Pascal Dubois, de Dubois services financiers explique d’ailleurs que le salarié pourrait se nantir d’une protection limitée pour les biens de l’employeur qu’il garde chez lui ainsi que contre les « erreurs et omissions », mais que l’employeur devrait les avoir aussi. De toute façon, ni l’une ni l’autre des assurances responsabilité ne pourrait venir en aide à l’employé, à son avis, si celui-ci avait volontairement ignoré les protocoles de securité de rigueur dans son organisation : « Si dans les faits, mon mot de passe, c’est ‟Bonjour123”, et que quelqu’un a accès à mon ordinateur, à ce moment, c’est moi qui suis en faute. Le conseiller en sécurité financière et planificateur financier précise par ailleurs que l’erreur de jugement ne suffirait pas à ce que l’assureur de l’employeur lui retire sa protection : « Et encore là, l’employeur doit avoir prouvé qu’il y avait un protocole en place. » 

Les grandes lois avant les petits caractères 

Cela n’empêchera pas l’offre des grands assureurs de devoir se redéfinir pour suivre les transformations rapides de lois. Parmi celles-ci, le Projet de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, qui a modifié, entre autres, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en précisant que cette loi s’applique aux télétravailleurs et à leur domicile. 

Maître Poirier pense que les avocats en assurance n’ont pas fini de voir apparaître de la jurisprudence pour appuyer leurs argumentaires : « Je pense que cela va fournir plus de précisions ou d’illustrations par rapport à ce qui peut être un usage négligent, une utilisation négligente ou une conservation négligente des biens de l’employeur. » Elle remarque également que les récents jugements concernant des douleurs musculosquelettiques, développées durant le confinement, ont fourni des interprétations qui ont contribué à l’élargissement de la protection offerte aux personnes qui travaillent de la maison.

Aller chercher des réponses aux questions qui préoccupent l’employeur et l’assureur devient plus exigeant, non seulement à cause de la distance, mais aussi à cause de lois interdisant l’intrusion dans la vie privée, récemment ratifiées, dont le nouvel article (179.1) de la Loi sur la santé et la sécurité du travail énonçant : « Un inspecteur ne peut pénétrer dans un lieu où s’exécute du télétravail lorsque celui-ci est situé dans une maison d’habitation sans le consentement du travailleur ».

Les employeurs et les assureurs, ont encore le droit de s’assurer que l’espace de travail est conforme à ce qui est attendu, pour la santé et la sécurité de l’employé à l’aide de photo ou de visite virtuelle. L’employeur est aussi légitimé de reprendre régulièrement les outils de travail pour les reformater, les remettre à jour et en vérifier le contenu. Maître Poirier confirme que même les ordinateurs appartenant aux employés, s’ils sont utilisés pour le travail, pourraient se retrouver soumis à ce genre d’examen, si aucune autre forme d’examen, moins invasif, n’est possible et être limité aux seuls fichiers qui concernent le travail. 

Attention, cyberrisques à l’horizon 

Pourtant, ni ces bouleversements législatifs, ni l’actualité sur les cyberattaques, ni même les alertes médiatiques lancées en début de pandémie n’ont motivé la clientèle de Connie Ciccarello à mettre leur dossier à jour, en fonction du télétravail ou à s’informer sur les options de protection : « Ce n’est pas facile non plus de faire la vente de produits en cybersécurité. Pourtant, le travail hybride et la cybersécurité devraient aller ensemble. Parce que la grande majorité des clients se pensent automatiquement protégés. » Il faut dire que l’engagement dans un tel produit exige du temps, car plusieurs informations sont nécessaires. Il est rare qu’une seule personne, qu’elle œuvre à la gestion ou à l’informatique, possède toutes les données.

Toutefois, en cas de bris de sécurité, la facture monte vite pour une entreprise. Me Katherine Poirier précise néanmoins que, pour qu’il y ait remboursement aux clients, il doit d’abord y avoir dommage, mais les conséquences ne se limitent pas pour autant aux montants aisément quantifiables : « On peut avoir des obligations de divulgation non seulement à la personne comme telle, mais aussi à la commission d’accès à l’information, parce que cela sera considéré comme un bris de sécurité. ».

Des changements de mœurs à prévoir 

Face à ces risques, les mécanismes préventifs à acquérir protègent davantage l’employeur s’ils prennent la forme d’un engagement contractuel avec l’employé. Toutes les personnes interrogées s’entendent sur le fait que cette entente devrait, au moins, comprendre l’exigence d’un espace du domicile où ni conjoints ni enfants ni animaux n’auraient accès. Cette barrière peut davantage être psychologique qu’un espace fermé, précise Katherine Poirier.

Convertir tout ce beau monde à des pratiques sécuritaires est un défi exigeant, surtout lorsqu’employés et employeur ont moins de temps de se voir.

Mme Ciccarello, relate néanmoins que les assureurs ont su s’adapter à cette réalité en se dotant de produits plus accessibles, et ainsi plus attrayants pour eux et, par conséquent, pour les employeurs. « Lorsqu’on parle de l’employé, il faut le retenir par une expérience. C’est difficile de faire cela, à 100 % en télétravail. Tout le monde cherche des formules. L’assurance collective peut contribuer à cela », indique la courtière.