Des sociétés de fonds de placement ont commencé à réduire les frais sur les fonds du marché monétaire afin d’éviter des pertes aux clients dans le contexte actuel de faibles taux d’intérêt. Cette situation, combinée à la concurrence des comptes d’épargne à taux élevé, remet en question l’avenir de cette catégorie de fonds, estiment des acteurs de l’industrie.

À la mi-février, Placements CI a réduit de 1 % à 0,80 % ses frais de gestion sur les parts de catégorie A avec frais d'entrée ou avec frais de sortie de ses fonds du marché monétaire et de ses fonds de catégorie de sociétés à court terme. Elle a aussi réduit les taux de commissions de service de 0,25 % à zéro pour les parts avec frais d'entrée, mais non pour celles avec frais de sortie.

La décision de Placements CI laisse entrevoir une préoccupation sérieuse, dit Robert Frances, président de Groupe financier Peak, établi à Montréal. « C'est une mesure radicale. Cela m'incite à penser que CI se pose de sérieuses questions. »

La décision est également en rupture avec ce que M. Frances désigne comme « une règle non écrite » de l'industrie des fonds. « Traditionnellement, les sociétés de fonds communs de placement ont été l'agence de recouvrement des revenus pour les conseillers », explique-t-il. « Essentiellement, ils perçoivent ce qui a déjà été discuté avec le client », dit-il en faisant référence aux commissions de service.

« Paradoxal »

« C'est plutôt paradoxal. Les conseillers apportent ce revenu à CI et lorsque les temps sont durs, CI réduit son revenu de 20 % et celui des conseillers de 100 %. »

Selon M. Frances, ce contexte soutenu de faibles taux d'intérêt remet en question l'avenir de cette catégorie de fonds. « Tout conseiller comprend que, si un fonds du marché monétaire ne produit aucun revenu, personne ne peut gagner quoi que ce soit, y compris la société de fonds communs de placement. »

CI pourrait avoir rompu ses relations avec les conseillers en sabrant dans les coûts de façon injuste, suggère M. Frances. « Elle réduit son revenu de l'ordre de 20 % et coupe entièrement celui des conseillers. Bon nombre de conseillers jugent ce comportement douteux », dit-il. « Je pense qu'ils comprendraient si la réduction de revenu était identique, ce qui signifierait que le conseiller passerait de 25 à 20 points de base. »

Entre temps, la Corporation Financière Mackenzie a partagé le mal en réduisant à parts égales les frais sur les fonds du marché monétaire entre elle et les conseillers. Mackenzie a choisi une stratégie au prorata explique David Feather, président de Services Financiers Mackenzie Inc. La société a réduit les frais de gestion et les commissions de service.

« À titre d'exemple, si nos frais de gestion (sur l'un des fonds) sont de 50 points de base et que la commission de service s'établit à 25 points de base, soit la moitié des frais de gestion, alors pour chaque réduction de deux points des frais de gestion, un point de base serait réduit sur la commission », explique-t-il. Cette décision s'applique à plusieurs fonds dont le Fonds de gestion de l'encaisse Mackenzie Sentinelle, le Fonds de gestion de l'encaisse Mackenzie Sentinelle FPG et le Fonds du marché monétaire Mackenzie Sentinelle.

Souplesse

La réduction réelle fait preuve de souplesse et l'objectif consiste à s'assurer que les investisseurs ne se retrouvent pas avec un rendement négatif. « Elle fluctuera au jour le jour selon les rendements, mais nous réduirons nos frais du niveau nécessaire pour nous assurer que le fonds ne présente jamais un rendement négatif. »

Selon M. Feather, comme CI, Mackenzie n'a pas encore déterminé d'échéance pour les changements. Il explique qu'ils seront en vigueur aussi longtemps que le contexte de faiblesse des taux d'intérêt se poursuivra. « Ce pourrait être deux mois. Ce pourrait également durer pendant des années », dit-il. « À un moment donné, l'environnement sera plus habituel et nous reviendrons alors à la normale. »

Invesco Trimark a récemment décidé de ne pas toucher aux commissions de service et de confiner sa réduction aux frais de gestion de ses fonds du marché monétaire. Selon Aysha Mawani, vice-présidente des relations publiques, il est prévu de varier les réductions afin de maintenir des rendements positifs pour le fonds. « Nous sommes résolus à nous assurer que le rendement du Fonds du marché monétaire demeure positif dans le marché actuel », dit-elle. « Nous continuons à soutenir les rendements des fonds pour faire en sorte que la valeur liquidative ne plonge pas sous les 10 $ (ce qui est la norme pour ces fonds). »

Comme CI et Mackenzie, Invesco Trimark n'a pas de calendrier pour un retour à la normale.

Si l'approche de Invesco Trimark peut convenir aux conseillers, il peut devenir insoutenable pour la société d'absorber indéfiniment toute la réduction sans modifier les commissions de service, suggère Jay Nash, gestionnaire adjoint de portefeuilles de Wellington West Capital Inc., à la succursale de London, en Ontario. Il allègue que la société pourrait devoir réévaluer sa décision, advenant que le contexte actuel de faibles taux d'intérêt se poursuive longtemps.

Selon M. Nash, des réductions de frais par d'autres sociétés semblent inévitables. « En général, une fois que la tendance a commencé, les sociétés vont toutes devoir s'en occuper d'une quelconque façon », précise-t-il.

De telles décisions pourraient indiquer une tendance, explique Dan Hallett, président de Hallett & Associates, une société établie à Windsor. « Il pourrait être encore trop tôt pour parler de la sorte, mais j'ai la ferme impression que ce sera le cas », dit-il. « L'allure du mouvement sera influencée par le maintien ou non des faibles taux d'intérêt. » Une équation qui, selon lui, laisse penser que cela durera au moins jusqu'à la fin de cette année.

Une question plus vaste, selon M. Nash, est celle de l'avenir des fonds du marché monétaire. En plus de la faiblesse des taux d'intérêt, ces fonds doivent affronter des produits concurrents, par exemple, des comptes à intérêt quotidien comme ceux offerts par B2B Trust. Ces comptes paient des taux d'intérêt supérieurs à ceux des fonds monétaires et procurent aussi des commissions de service au conseiller, généralement de l'ordre de 0,25 %. « Les fonds du marché monétaire traditionnels n'ont plus leur place dans un portefeuille », suggère-t-il, mais ils peuvent continuer de servir d'entreposage temporaire pour la liquidité entre les transferts inter fonds. « Cette catégorie pourrait connaître des réductions de capital massives ou pourrait cesser d'intéresser les investisseurs. »

Concurrence des banques

De plus, les exigences des banques canadiennes relativement au capital de première catégorie assurent indirectement qu'elles continueront d'offrir ces comptes à des taux plus attrayants que ceux offerts par les fonds du marché monétaire, croit M. Nash. « Les banques concurrencent les sociétés de fonds communs de placement quant aux produits sûrs et elles paieront pour cela », dit-il.

Toujours selon M. Nash, désormais, ceux qui sont à la recherche d'un refuge sécuritaire pour leurs placements ont d'autres options qui sont essentiellement sécuritaires tout en représentant un degré de risque. C'est le cas, par exemple, des actions ordinaires de la Banque de Montréal. Au moment de la rédaction, les actions de la BMO se transigeaient à 27,64 $ et offraient un dividende annuel de 2,80 $, ce qui représente un rendement d'environ 10,13 %. Même si les rendements chutaient de 25 %, un investisseur s'en tirerait mieux que dans un fonds du marché monétaire, en présumant qu'il n'y a pas de réduction des dividendes ou de changements des taux d'intérêt actuels et avant de tenir compte du crédit d'impôt pour dividendes, indique-t-il.

Entre temps, en janvier, Questrade Inc., une société de négociation directe a lancé son produit Mutual Fund Maximizer qui donne un rabais sur les commissions de service pour tous les fonds à la condition qu'ils excèdent des frais mensuels de 29,95 $.

Questrade n'a pas conçu ce produit en réaction à la faiblesse des rendements, mais comme une prolongation de sa proposition de valeur, selon Edward Kholodenko, le président de la société. « Une partie de la proposition de valeur que nous offrons aux investisseurs indépendants qui gèrent eux-mêmes leurs affaires consiste en des frais inférieurs et en une plus grande transparence », dit-il. « N'offrant pas de conseils au client, il nous semble naturel d'offrir un rabais sur les commissions de service et de demander des frais mensuels. »

Selon les données de l'Institut des fonds d'investissement du Canada, les fonds de la catégorie du marché monétaire canadien ont affiché des ventes positives en janvier 2009 atteignant un peu plus d'un milliard de dollars. Toutefois, ce chiffre est inférieur à celui de janvier 2008, alors que les ventes atteignaient 4,16 milliards de dollars.