La COVID-19 a poussé à la hausse le nombre de prestations d’assurance vie en 2020 par rapport à 2019, révèle l’Institut canadien des actuaires (ICA). Publié en juin 2021, son Rapport 3 : Analyse mensuelle des données agrégées de l’industrie canadienne de l’assurance dévoile ainsi des chiffres inédits sur l’effet de la pandémie.

Selon le rapport, 2020 présente une hausse des décès par rapport à 2019. Il montre que le nombre d’indemnisations d’assurance vie versées en lien avec la COVID-19 a atteint un sommet de 899 en avril 2020. Le mois de mai a été le deuxième plus funeste dans la population assurée, avec 724 indemnisations pour décès liées à la COVID-19. Décembre a suivi avec 630 décès.

En avril 2020, les prestations individuelles de décès versées en lien avec la COVID-19 ont atteint un sommet de 44,4 millions de dollars (M$). Décembre a été le deuxième mois en importance à ce chapitre, totalisant des prestations de 30,1 M$. Le mois de mai a suivi en troisième avec 27,1 M$ de prestations versées.

Le portrait est différent du côté de l’assurance collective. « Les demandes de prestations d’assurance collective en 2020 correspondent généralement au niveau des demandes de prestations de 2019, du moins au premier semestre », peut-on lire dans le rapport de l’Institut.

Les auteurs du rapport ajoutent que les sommets atteints en assurance collective ne sont pas aussi extrêmes qu’en assurance individuelle. Ils disent toutefois remarquer qu’il existe une tendance plus persistante des demandes de prestations liées à la COVID-19 en assurance collective, même pendant les périodes où les taux d’infection globaux sont plus faibles. « Plus précisément, 83 demandes de prestations d’assurance collective liées à la COVID-19 ont été déclarées contre seulement 69 demandes de prestations d’assurance individuelle imputables à la COVID-19 pour les mois de juillet et août 2020. »

11 mois sur 12 à la hausse

« En 2020, les demandes de prestation individuelles ont augmenté presque chaque mois, comparativement au même mois en 2019 », révèle le rapport. Seul le mois de juillet 2020 a fait exception, un moment de l’année où l’effet de la pandémie a été relativement limité, avance le rapport.

Toujours pour l’année 2020, les 13 assureurs qui ont participé à la recherche ont dénombré au total 3 179 demandes de prestation individuelles « où la cause du décès indiquée était la COVID-19 ». En assurance collective, ils en ont dénombré 754.

Selon les données en annexe du rapport, il y a eu 100 800 demandes de prestations en assurance vie individuelle en 2020, toutes causes de décès confondues. En assurance collective, leur nombre a atteint 38 200, toutes causes de décès confondues.

Les résultats du groupe d’assureurs révèlent que les demandes de prestation liées à la COVID-19 ont représenté environ 10 % des demandes de prestation individuelles en décembre 2020. D’après les analyses de l’Institut, les demandes de décembre 2020 représentent une légère baisse par rapport aux sommets d’avril et de mai 2020. Il s’agit toutefois d’une hausse importante par rapport au creux de moins de 1 % du mois d’août 2020.

Ce groupe d’assureurs se compose des 13 institutions suivantes : Canada Vie, Manuvie, Sun Life, Co-operators, Foresters, RBC Assurances, SSQ Assurance, Industrielle Alliance, Assomption Vie, L’Équitable Compagnie d’Assurance-Vie, Humania Assurance, La Capitale et Wawanesa Mutual Insurance Company. Parmi elles, 11 ont fourni des données en assurance collective. De plus, 12 des 13 assureurs ont été en mesure de séparer les prestations d’assurance vie mensuelles liées à la COVID-19 des autres.

Nombre sous-estimé ?

Le rapport révèle des montants de prestations d’assurance individuelle supérieurs à ceux de 2019 pour les mois de janvier à mars 2020, même si très peu de demandes de prestations ont été attribuées à la COVID-19 durant cette période. « Il est concevable que les demandes de prestation présentées durant les premiers mois de 2020 aient été affectées par la COVID-19, même si la cause précise du décès n’a pas été consignée », peut-on lire dans le rapport.

Ancien président de l’Institut canadien des actuaires et président du Forum sur la mortalité de l’Association Actuarielle Internationale (AAI), Marc Tardif a commenté le rapport en entrevue avec le Portail de l’assurance. Il signale que le nombre de décès liés à la COVID-19 pourrait être sous-estimé en raison des décès de cause inconnue.

L’ICA a voulu comparer l’effet COVID-19 sur la mortalité dans la population assurée par rapport à la population générale, explique M. Tardif. « La majorité des décès sont survenus dans la cohorte des 70 ans et plus, voire des 80 ans et plus, constate-t-il, à l’observation des populations québécoise et ontarienne. Les gens de cet âge étaient-ils aussi assurés que la moyenne de la population canadienne ? La tendance est-elle pour les gens de cet âge de laisser tomber leur police d’assurance vie ? Nous voulions voir si l’effet COVID-19 était le même dans les deux populations. »

M. Tardif croit que le nombre de décès liés à la COVID-19 pourrait être proportionnellement plus élevé dans l’ensemble de la population par rapport à la population assurée.

La COVID-19 efface la grippe

Malgré une possible sous-évaluation, l’impact de la COVID-19 ne fait aucun doute, selon M. Tardif. « Nous observons des décès excédentaires en 2020 par rapport à une moyenne de 5 ans (2015-2019) : nous pensons que les décès excédentaires d’avril 2020 seraient probablement tous liés à la COVID-19. »

L’actuaire a signalé les résultats d’études de mortalité réalisées en Angleterre selon lesquelles 2019 avait été une « mauvaise année », en raison de l’augmentation des décès par rapport à la normale. Selon ces études, la mortalité excédentaire était davantage survenue dans la période de l’hiver. « C’est peut-être un indice que le vaccin contre la grippe n’a pas été efficace », dit Marc Tardif.

Il s’attendait à une année 2020 faible en matière de mortalité, alors qu’il n’y avait aucun cas d’influenza. « N’eût été la COVID-19, nous étions sur une très bonne lancée en 2020. »

Le président du Forum sur la mortalité de l’AAI dit espérer que les mutations de la COVID-19 n’arrivent pas à déjouer les futurs vaccins. « La COVID-19 est une version amplifiée de la grippe. On a parlé de la crainte qu’elle ne devienne endémique. Nous espérons avoir chaque année des vaccins qui nous permettent de passer au travers. Il faut aussi espérer trouver un traitement efficace contre cette maladie », dit-il.

Troisième cause de décès

Marc Tardif a rappelé que les principales causes de décès dans la population assurée demeurent le groupe des maladies cardiaques, suivi de celui des cancers. En ce qui touche la population générale, il cite un article paru sur le site américain KHN.org le 11 mars 2021. Comparé aux données les plus récentes de 2019, le nombre de décès liés au coronavirus s’établissait à 528 603 au moment de la publication de l’article.

Cette maladie devenait ainsi la troisième cause de mortalité aux États-Unis, devant les accidents et après le cancer. Les maladies cardiaques demeuraient au premier rang, faisant plus de 650 000 décès, révèle l’article.

Les actuaires se garderont une marge

Les actuaires s’étaient habitués à une embellie en matière d’hypothèses de mortalité en assurance vie. Ils devront prévoir un ressac à court terme, croit le président du Forum sur la mortalité de l’AAI. « Dans les 20 dernières années, nous avons connu une amélioration régulière de l’espérance de vie dans la population assurée et dans la population en général », rappelle-t-il.

Toutefois, Marc Tardif pense que les actuaires n’auront pas à revoir leurs hypothèses de mortalité ni le prix de l’assurance vie. « Les actuaires vont probablement utiliser des marges pour écarts défavorables en raison de l’incertitude. Plus l’incertitude sera grande, plus l’écart sera élevé. Pour se protéger, les assureurs se serviront de leur capital plutôt que d’augmenter les prix. Nous sommes dans un marché compétitif. C’est le marché qui va dicter la marche à suivre », ajoute-t-il.

Ces écarts additionnels pourraient être de courte durée. « Si les décès en lien avec la COVID-19 sont contrôlés, on devrait pouvoir retirer l’effet COVID-19 au moment de calibrer ce à quoi l’on s’attend pour 2021, 2022 et 2023 », dit M. Tardif.

Mais retirer cet effet dépendra de plusieurs facteurs, ajoute-t-il. « Maintenant que la majorité des gens sont doublement vaccinés et que les vaccins semblent efficaces, comment se projeter dans le futur ? Y aura-t-il une quatrième vague ? Les vaccins pourront-ils balayer les variants ? »

Autre rapport à venir

Il y aura d’autres rapports. « L’ICA est déterminé à poursuivre cette collecte régulière de données, afin d’aider les décideurs du Canada à gérer les répercussions futures de la pandémie sur l’industrie, à mitiger les risques et à assurer la stabilité financière », a déclaré Keith Walter, président de la direction de la recherche de l’ICA.

« Puisqu’au Canada la deuxième vague de COVID-19 s’est prolongée jusqu’en janvier et février 2021, le prochain rapport trimestriel indiquera son incidence », a d’ailleurs annoncé l’ICA.

Des données de plus en plus précises

Onze assureurs ont fourni des données sur les demandes de prestations d’assurance vie selon « la date réelle du décès », peut-on lire dans le rapport de l’Institut canadien des actuaires. Les deux autres assureurs ont fourni des données sur les demandes selon « la date de déclaration du décès ».

Ce détail importe aux yeux des auteurs du rapport de l’Institut. « Bien que la déclaration fondée sur la date réelle du décès entraine des changements au chapitre de la déclaration mensuelle des demandes de prestations à mesure que davantage de données sont fournies, elle permet de mieux analyser l’impact de la pandémie au fil du temps. »

Marc Tardif révèle par ailleurs que le rapport regroupe des données de 13 compagnies canadiennes alors que la dernière étude régulière de mortalité de l’Institut canadien des actuaires ne regroupait que 8 compagnies.

La pandémie cache des conséquences néfastes

Marc Tardif jette un regard sombre quant à l’impact de la pandémie sur le traitement d’autres maladies. Lui-même actuaire, il a déjà été président de l’Institut canadien des actuaires et il est actuellement président du Forum sur la mortalité de l’Association Actuarielle Internationale (AAI).

Selon M. Tardif, les traitements et les opérations mis sur la glace en raison de la COVID-19 pèseront dans les résultats des prochaines années. « Nous nous attendons à des effets du délestage des traitements dans la population assurée. Le cancer sera probablement la cause numéro un, en raison des gens qui auraient dû être traités et ne l’ont pas été. Nous prévoyons que le manque de traitement pour le cancer ou des traitements qui n’ont pas été dispensés assez tôt soient des facteurs qui feront augmenter le nombre de décès dans les années à venir », prévoit M. Tardif.