Merck Canada a créé une unité d’affaires qui lancera des médicaments biosimilaires. Moins onéreux, les biosimilaires contribueront à la viabilité des régimes collectifs publics et privés, croit le géant pharmaceutique. Or, leur pénétration se heurte à certaines barrières au Canada.
Contrairement aux médicaments chimiques traditionnels produits en laboratoire, les médicaments biologiques se fabriquent à base de protéines développées dans des systèmes ou des organismes vivants. Ces molécules complexes contiennent généralement un plus grand nombre d’éléments actifs que les produits de synthèse.
Les copier parfaitement demeure impossible, d’où l’appellation « médicament biosimilaire », médicament désigné au Canada sous le terme de produit biologique ultérieur (PBU). Le PBU doit franchir de rigoureux critères de qualité, d’efficacité et d’innocuité avant que Santé Canada ne l’approuve.
L’aventure de Merck Canada en biosimilaires a des ramifications internationales. Elle survient dans la foulée d’un récent accord de partenariat entre sa maison mère et une filiale de Samsung spécialisée dans les biosimilaires, Samsung Bioepis. Parmi les projets de la nouvelle unité canadienne de Merck : lancer un médicament biosimilaire au Remicade de Janssen, molécule qui traite entre autres la polyarthrite rhumatoïde.
Destinés à traiter des maladies chroniques, les médicaments biologiques sont couteux et représentent un enjeu financier énorme pour les régimes d’assurance collective publics et privés. En entrevue avec le Journal de l’assurance, Bruno Mäder, vice-président, unité fonctionnelle des produits biosimilaires et marques en fin de brevet, de Merck Canada, a rappelé que le segment des médicaments biologiques est l’un de ceux où les dépenses pharmaceutiques croissent le plus rapidement.
« Au Canada, la croissance des ventes de médicaments biologiques a atteint 12,2 % pour la période de 12 mois se terminant en août 2014, alors qu’elle n’a été que de 3 % pour l’ensemble du marché. Au cours de la même période, les ventes de produits biologiques se sont élevées à 5,6 milliards de dollars, soit 24 % de l’ensemble du marché canadien des produits pharmaceutiques. Quatre des six marques les plus vendues au Canada sont des produits biologiques, dont le Remicade et le Lantus, un traitement pour le diabète, commercialisé par Sanofi Canada », ajoute celui qui est aussi membre de l’équipe internationale de Merck dédiée à l’accès aux médicaments biosimilaires.
Le problème de cout imputable aux médicaments biologiques est là pour rester. Selon un bulletin de la firme d’assurance Green Shield Canada publié à l’automne 2015, un traitement contre l’hépatite C, tels le Solvaldi ou le Harvoni, peut atteindre, voire dépasser les 150 000 $.
Des barrières freinent les biosimilaires
En janvier 2014, la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) a ajouté Inflectra à la liste des médicaments couverts par le régime universel. Commercialisé par Hospira, firme récemment acquise par Pfizer, Inflectra est le biosimilaire de Remicade. Après deux ans, Inflectra ne parvient pas à s’imposer face au Remicade, même s’il coute 34 % moins cher que le médicament d’origine.
« De janvier 2014 à octobre 2015, il y a eu environ 120 000 prescriptions de Remicade au Canada, contre 85 pour son biosimilaire Inflectra », a révélé Bruno Mäder. Il ajoute qu’Inflectra est à peine parvenu à ravir 1 % des ventes du Remicade.
« Il demeure surprenant qu’Inflectra récolte moins d’un pour cent des ventes du Remicade », dit M. Mäder. Il explique qu’une molécule chimique traditionnelle perdra en général la majorité de ses ventes, quelques mois après la perte d’exclusivité liée à la fin de brevet, parce que les réclamations passent aux versions génériques. De plus, il signale que le prix du Remicade n’a pas changé depuis qu’Inflectra est sur le marché.
Pourquoi cette résistance? L’environnement actuel n’est pas très favorable aux biosimilaires, pense M. Mäder. Premièrement, Santé Canada se fait conservateur, souligne-t-il. « Contrairement à l’Europe, Inflectra n’a pas obtenu au Canada l’approbation pour les indications en maladies inflammatoires de l’intestin, lesquelles représentent 75 % des ventes », dit-il.
Ensuite, les pharmaceutiques défendent leurs molécules d’origine plus farouchement qu’avant, croit M. Mäder. « Elles sont plus soucieuses de défendre leurs molécules après la fin des brevets. » L’offre de programmes sophistiqués de soutien au patient érige une barrière supplémentaire à franchir pour les biosimilaires, dit-il. Pour conserver leur part de ce marché, que M. Mäder estime à environ 90 %, les pharmaceutiques compensent la différence entre le prix du médicament d’origine en fin de brevet et celui du biosimilaire appelé à le remplacer. Le pharmacien pourra offrir au patient l’original au même prix que le similaire. La compagnie pharmaceutique auteur du programme coordonnera cette compensation avec le pharmacien. Selon M. Mäder, cette pratique a davantage cours hors Québec.
Aider sans discernement
Les programmes des compagnies pharmaceutiques peuvent aussi permettre d’aider les patients au budget serré, dit M. Mäder. « Les pharmaceutiques offrent divers services, dont de l’aide aux patients qui ont de la difficulté à honorer leur co-paiement d’assurance (lequel atteint généralement entre 20 % et 30 % dans les régimes) », dit-il.
Aussi, l’absence de politiques pour forcer l’utilisation du biosimilaire s’ajoute à toutes ces barrières dont le poids se fait sentir. « Dans ces conditions, les développeurs de biosimilaires ne seront pas tentés de venir au Canada, et cela nous inquiète », dit M. Mäder.
Il croit que les politiques de remboursement des payeurs publics et privés doivent aider à garantir l’accès rapide aux produits biosimilaires. Ces politiques doivent aussi ménager des conditions viables et durables qui favorisent l’utilisation continue de ces produits.