Depuis plusieurs années, l’intelligence artificielle (IA) révolutionne l’industrie de l’assurance. Grâce à l’automatisation, le traitement des demandes est accéléré, tandis que l’analyse prédictive permet d’affiner l’évaluation des risques. En ouvrant la porte à de nouvelles possibilités, l’IA redéfinit les pratiques du secteur.
L’IA est utilisée depuis plus d’une décennie du côté de Desjardins Assurances générales, confirme Pierre-Alexandre Jalbert, vice-président modernisation des systèmes, analytique et transformation.
« En assurance de dommages, on l’utilise notamment afin d’améliorer la sélection des risques, notre efficacité dans nos processus et évidemment l’expérience client, qui est notre motivation première », élabore-t-il en entrevue avec le Portail de l’assurance.
La technologie est notamment utilisée pour analyser les appels des membres de la coopérative dans une optique d’amélioration. « Ça nous permet de comprendre pourquoi nos clients nous appellent et de quelles informations ils ont besoin, résume M. Jalbert. On tire des leçons de ces données pour mieux informer les prochains appelants et pour mieux les aider dans leur processus de réclamation. »
Elle sert aussi depuis plus de vingt ans à prédire les coûts des sinistres et à créer des modèles prévisionnels pour le calcul des primes.
Du côté de l’assurance de personnes, ce n’est que récemment que l’IA a intégré le quotidien des employés. Chantal Gagné, vice-présidente exécutive en assurances de personnes au Mouvement Desjardins, y voit un fort potentiel.
« Ça fait peut-être cinq à dix ans qu’on l’utilise de notre côté, dit-elle lors d’un entretien avec le Portail de l’assurance. Autant ça nous aidera à simplifier et automatiser des processus et à gagner en efficacité interne, autant on peut identifier davantage d’opportunités. L’intelligence artificielle offre par ailleurs une meilleure lecture du risque d’assurance, pour l’établissement de la prime. »
Des usages multiples
Des procédés alimentés par IA sont en place chez Intact Assurance depuis environ 2017, indique pour sa part Isabelle Girard, première vice-présidente, chef du numérique et des données.
La technologie sert à plusieurs usages, notamment à gérer la détermination des primes et pour détecter des demandes d’indemnisation potentiellement frauduleuses. « L’IA nous aide à déceler des éléments et des corrélations qui pourraient nous mettre la puce à l’oreille sur des stratégies de fraude qui seraient récurrentes », illustre Mme Girard dans un entretien avec le Portail de l’assurance.
Celle-ci est optimiste quant à l’avenir de l’IA dans l’industrie. « Cette technologie-là ouvre des possibilités et en facilite d’autres qui nous permettraient d’optimiser notre collecte de données, avance-t-elle. Par exemple, on peut penser que beaucoup d’informations traitées lors des demandes de soumissions sont entrées manuellement dans nos systèmes par nos courtiers et nos employés : si une partie de cette saisie était automatisée, les réponses à ces demandes seraient retournées plus rapidement. »
Chez Sun Life, l’IA sert d’abord et avant tout d’outil pour les employés, confirme en entrevue avec le Portail de l’assurance David Atkinson, vice-président leadership et stratégie numérique pour l’assureur.
« Pour nous, il s’agit de personnaliser notre approche et de renforcer les compétences de notre personnel, explique-t-il. Nous souhaitons utiliser l’intelligence artificielle pour aider nos employés dans leur travail quotidien, pour améliorer leur productivité et pour bonifier l’expérience de nos clients. »
L’intelligence artificielle y est de plus en plus sollicitée. Elle sert entre autres à résumer des documents, à en faire ressortir les faits saillants, à créer des contenus internes ou à générer du code programmatique permettant aux développeurs de travailler plus efficacement, illustre M. Atkinson en entrevue. « Ça permet à notre personnel de se concentrer sur des tâches davantage axées sur l’humain », dit-il.
Un robot conversationnel nommé Sun Life Asks aiguille, à la manière d’un moteur de recherche, les employés sur les produits et services en vigueur, mais aussi sur les politiques de l’entreprise. Depuis son lancement, il y a un peu plus d’un an, plus de 1,3 million de requêtes ont été formulées.
Chez Manuvie, environ 75 % des travailleurs ont expérimenté avec l’IA, a fait savoir l’entreprise dans un communiqué. Parmi les outils utilisés, on retrouve ChatMFC, un robot conversationnel permettant aux employés de rechercher et d’obtenir rapidement des réponses à leurs questions. Le robot sert aussi de traducteur et fournit aux conseillers des renseignements personnalisés pour augmenter le volume de ventes.
Place à l’expérimentation
La situation est tout autre chez Desjardins Assurances générales, où une poignée d’employés ont accès aux outils d’IA générative plus poussés, à savoir « quelques individus ayant un bagage de scientifique de données ou un profil en technologies de l’information », de même que des actuaires, précise Pierre-Alexandre Jalbert.
Ce noyau de spécialistes a donc le loisir d’expérimenter et de mettre au point les meilleures pratiques qui seront ensuite déployées dans les différents secteurs de l’organisation, complète Chantal Gagné. L’ensemble des travailleurs au sein du Mouvement Desjardins a toutefois accès à Copilot, un robot conversationnel développé par Microsoft.
Le mandat d’explorer le potentiel de l’IA est aussi concentré au sein d’une équipe centralisée chez Intact Assurance. « Nous avons créé l’Intact Lab, que je supervise, dont le mandat est d’incorporer les nouveaux outils technologiques, tels que l’intelligence artificielle, dans nos unités d’affaires et nos pratiques », souligne Mme Girard.
Comme pour chez Desjardins, les membres de l’Intact Lab proposent aux différentes équipes et secteurs d’affaires des solutions sur mesure leur permettant d’améliorer leur performance en tirant parti de la technologie.
Formée par une vingtaine de membres en 2017, cette équipe d’innovation en compte désormais plus de 1000 à travers le pays, souligne Mme Girard. « Et avec des expertises très variées, ce qui fait de nous l’assureur avec la plus grosse équipe spécialisée en intelligence artificielle, en données et en numérique, renchérit la gestionnaire. On a la chance de pouvoir développer ces outils-là à l’interne tout en s’assurant qu’ils soient utilisés de manière sécuritaire. »
« Comme on risque de les utiliser de plus en plus, et dans un plus grand nombre de processus, que ce soit du côté des assureurs ou des courtiers, on croit à l’importance de la formation et de la sensibilisation », poursuit Mme Girard.
Chez Manuvie, on retrouve « une pépinière d’expertise comptant près de 200 scientifiques de données et ingénieurs en apprentissage automatique » dédiés à l’expérimentation et au déploiement de nouvelles solutions.
Des impacts tangibles
Le traitement de certains renseignements et l’automatisation de certaines tâches par une IA ont aussi pour effet d’accélérer le traitement de certains dossiers. « Imaginons un client qui appelle un agent expert en sinistres, pose M. Jalbert. Cet agent se réfère à un conseiller technique pour répondre à ses questions, mais on entrevoit qu’une première ronde de questions pourrait être confiée à un robot conversationnel. »
M. Atkinson avance que l’usage de l’IA a permis des gains de productivité de l’ordre de 10 % à 20 %, selon les départements de Sun Life.
Ce succès est attribuable à la formation et à la sensibilisation réalisée à l’interne, avance M. Atkinson. « Nous avons offert, avec des partenaires, des séances d’information et de formation sur l’intelligence artificielle et sur la manière de tirer profit de la technologie, précise-t-il. Nos employés l’ont adoptée et l’utilisent avec enthousiasme pour en découvrir les bénéfices. »
Contacts humains seulement
« Pour l’instant, nous ne sommes pas à l’aise d’utiliser la technologie directement avec nos clients, souligne David Atkinson. Nos employés peuvent choisir de l’utiliser ou non, mais nous souhaitons qu’il subsiste un contact humain avec notre clientèle. »
L’entreprise n’exclut toutefois pas d’y avoir recours, dans un futur plus ou moins rapproché, pour « améliorer les connexions humaines » de son service à la clientèle. « Nous voyons l’intelligence artificielle comme une manière de soutenir nos employés dans leur prestation de service, dans l’optique d’offrir une meilleure expérience client, mais surtout pas pour les remplacer », précise le vice-président.
Même son de cloche au Mouvement Desjardins. « On explore cette technologie pour soutenir notre agent, mais notre objectif premier, quand on aborde la question de l’intelligence artificielle, c’est de créer une valeur ajoutée pour nos membres et nos clients », relève Pierre-Alexandre Jalbert.
Pour sa part, Chantal Gagné croit que cette tendance pourrait changer dans le futur, du moins au niveau de l’assurance de personnes. « L’intelligence artificielle générative finira par avoir la capacité de produire du contenu qui ira au-delà des analyses, elle pourra peut-être interagir avec les clients pour certains enjeux », croit-elle, précisant que Desjardins n’est toutefois pas rendu à cette étape et que la coopérative a « le souci de faire les choses dans le bon ordre et d’atteindre une bonne maturité opérationnelle » à ce sujet avant d’aller de l’avant.
Chez Intact, l’usage de l’IA est également réservé à l’interne pour le moment, mais l’outil s’est frayé un chemin jusqu’aux centres d’appel afin de mieux rediriger la clientèle.
C’est déjà le cas du côté de Manuvie, où « plus de 110 millions d’appels annuels » sont pris en charge, de concert avec les agents qui peuvent alors répondre plus adéquatement aux clients, nous apprend le communiqué.
Des limites
Le recours à l’IA en entreprise demeure cependant encadré. Des limites sont aussi imposées aux employés pour éviter des abus ou de compromettre des données confidentielles.
Chez Sun Life, les travailleurs ne peuvent se servir d’outils d’intelligence artificielle en open source, c’est-à-dire dont le code est accessible au public et peut donc être utilisé par n’importe qui. « Ils n’ont pas été formés à utiliser ces plateformes et nous ne sommes pas à l’aise avec les outils externes, d’autant plus que nous sommes amenés à travailler avec des renseignements confidentiels dont nous devons garantir la sécurité », avance David Atkinson.
Beneva et Manuvie ont décliné la demande d’entrevue du Portail de l’assurance. Canada Vie, Aviva et Wawanesa n’y ont pas donné suite.