Le représentant réagit à la demande de renouvellement d’un avenant au contrat d’assurance vie en indiquant à l’assureur que les clients ne veulent pas une police temporaire 20 ans. L’assureur annule aussi la police permanente. Les clients et leur représentant ne s’en aperçoivent que sept ans plus tard.
Habituellement, le Portail de l’assurance ne rapporte pas les décisions disciplinaires où l’intimé est acquitté. Dans le cas d’une décision récente rendue par le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, le Portail a déterminé que l’erreur à l’origine de la plainte et les conséquences qui ont suivi méritent d’être racontées.
L’intimé, dont nous tairons l’identité, a été acquitté du seul chef de la plainte. À Saint-Jérôme en novembre 2014, on lui reprochait de n’avoir pas agi avec compétence et professionnalisme en omettant de réaliser le mandat que ses clients lui avaient confié.
Les consommateurs rencontrent l’intimé en 2013 dans la foulée du règlement de la succession du père de la conjointe du couple, dont le représentant s’occupait. L’intimé détient alors un certificat en assurance de personnes et il est inscrit comme représentant de courtier en épargne collective.
Une analyse des besoins financiers est faite en octobre 2013. Chacun des consommateurs est alors titulaire d’une assurance vie auprès de la Compagnie d’assurance Transamerica (maintenant ivari) depuis novembre 1994. Il s’agit d’une police « temporaire jusqu’à 100 ans » et les protections sont identiques.
Les deux contrats comprennent une assurance vie permanente sans participation et dont les primes sont payables du vivant de l’assuré jusqu’à 100 ans. Les clients désignent ce volet comme étant leur assurance vie permanente. Le capital assuré est de 100 000 $.
Le second produit à leurs contrats est une assurance vie temporaire renouvelable tous les 20 ans. Le capital assuré est de 150 000 $.
Après avoir analysé les besoins, l’intimé recommande aux clients de résilier le volet temporaire du contrat et de plutôt souscrire une assurance maladie grave auprès d’un autre assureur. Les consommateurs acceptent et donnent le mandat à l’intimé de le mettre à exécution.
L’assurance vie temporaire vient à échéance le 26 novembre 2014. Pendant un an, les clients seront protégés à la fois par cette garantie temporaire et par l’assurance maladie grave qu’ils viennent de souscrire.
Résiliation
Fin septembre 2014, l’assureur envoie l’avis de renouvellement de l’assurance vie temporaire. Le comité analyse la pièce et constate que l’avis porte précisément sur le seul produit qui doit faire l’objet du renouvellement. Le numéro de l’avenant qu’on trouve sur la police émise en 1994 n’est pas inscrit dans l’avis.
L’intimé rédige pour chacun de ses clients une lettre de résiliation de la police temporaire. Le comité note que l’objet de la lettre est bien de résilier la police temporaire, car l’avis ne porte que sur le produit qui a un terme, soit l’assurance renouvelable aux 20 ans.
L’assureur envoie un avis le 26 novembre 2014 dans lequel il confirme la résiliation de la police au complet, incluant le volet permanent. La lettre est envoyée à l’intimé et aux clients, mais personne ne réalise que toute la police a été résiliée.
Les clients y voient que l’avis confirme les instructions données à l’intimé. Ils ne réalisent pas non plus que l’assureur ne prélève plus les primes de leur assurance vie. Les seuls prélèvements sont ceux faits par Sécurité Desjardins. Le client témoigne qu’il a cru que les prélèvements dans son compte étaient agglomérés et faits par le cabinet de l’intimé pour tous les produits détenus par lui et sa conjointe.
Souvenir flou
Le témoignage de l’intimé n’est pas limpide. Il ne sait plus s’il a lu la lettre de l’assureur ou pas, ou s’il l’a lue trop vite. À l’enquêteur du syndic de la Chambre, il dit que la correspondance a été traitée par son adjointe.
Le syndic y voit un aveu extrajudiciaire de son omission de lire la lettre ou d’avoir délégué cette tâche sans superviser la personne responsable. L’intimé explique que l’entrevue avec l’enquêteur a été faite au téléphone alors qu’il était à son chalet et n’avait pas ses dossiers avec lui.
Chose certaine, le comité retient que même si l’intimé a lu la lettre, il n’y a pas accordé suffisamment d’attention pour en saisir le contenu et constater la résiliation de toutes les couvertures. L’intimé a présumé que l’avis confirmait sa demande de non-renouvellement du produit temporaire.
En septembre 2021, en changeant de représentant et d’institution financière, les clients communiquent avec le bureau de l’intimé pour gérer les paiements préautorisés. L’examen du dossier révèle qu’ils ne détiennent aucune police chez ivari.
Ce n’est qu’à ce moment-là que les clients réalisent la résiliation de tout le contrat. Ils entreprennent des démarches pour comprendre ce qu’il s’est passé et obtenir réparation.
L’assureur refuse tout d’abord de remettre les contrats en vigueur, en raison du délai. Puis, il accepte de rétablir l’assurance vie dite permanente aux mêmes conditions, dans la mesure où les consommateurs paient les primes dues et passent des examens médicaux.
Le représentant d’ivari témoigne que c’est un geste que l’assureur ne pose jamais quand le contrat n’est plus en vigueur sur une aussi longue période.
Malheureusement, le contrat du conjoint n’est pas remis en vigueur, en raison d’un problème médical. Il obtient une autre assurance vie pour un capital assuré moindre et des primes plus élevées.
De novembre 2014 à septembre 2021, l’intimé a eu deux rencontres avec le représentant. Comme celles-ci ne visaient pas leur assurance vie, les dossiers n’ont pas été révisés. Le comité constate que les consommateurs ont choisi de ne pas rencontrer leur représentant chaque année, car ils n’en sentaient pas le besoin.
Motifs
Selon le syndic, l’article 16 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers impose un devoir de compétence et de professionnalisme au représentant. L’article 24 du Code de déontologie de la Chambre lui impose aussi de s’acquitter du mandat confié par le client avec diligence.
La simple erreur n’est pas une faute déontologique, précise le comité. « Il faut distinguer entre un comportement souhaitable et un comportement acceptable d’un professionnel en ce qu’un comportement peut ne pas être souhaitable et être néanmoins acceptable et ne pas constituer une faute déontologique. »
Le syndic reproche à l’intimé de n’avoir pas écrit le numéro de l’avenant temporaire dans sa lettre à l’assureur. Le représentant affirme que sa lettre ne comportait aucune ambiguïté : sur les deux produits inclus dans la police, un seul était une assurance vie temporaire et avait une date de renouvellement.
Selon lui, ce n’était qu’un copier-coller de l’avis de renouvellement de l’assureur, lequel ne comportait pas le numéro de l’avenant.
Le représentant d’ivari témoigne que la lettre de résiliation de l’assureur était claire et comprenait le numéro de la police. « La référence à l’objet de la lettre et à la suite de correspondance est pour lui sans pertinence », rapporte le comité.
La communication
Le comité estime que les lettres de résiliation peuvent porter à confusion. Mais celles-ci s’inscrivent dans une chaîne de communication qui comprend une police avec deux produits distincts.
« Il n’est pas déraisonnable de penser que les lettres rédigées par l’intimé sont une réponse aux avis de renouvellement envoyés par l’assureur et ne portent que sur ce qui a fait l’objet des avis de renouvellement de l’assureur », indique le comité.
Même si les lettres de l’intimé auraient pu être mieux rédigées et plus précises, il ne s’agit pas là d’une faute suffisamment grave pour être une faute déontologique. Cet imbroglio aurait pu être évité facilement si l’assureur avait porté attention à l’objet pourtant clairement indiqué sur les lettres.
Le comité souligne aussi que l’assureur aurait pu contacter l’intimé pour lui demander des précisions. On parle quand même ici de deux polices dont les primes étaient payées par les consommateurs depuis 20 ans.
Pour chaque client, la police au complet ayant été résiliée par une lettre très claire de l’assureur, l’intimé n’a pas suivi le mandat confié par les clients, ce qui contrevient à l’article 24 du Code, affirme le syndic.
Pour le comité, il est assez évident qu’une lecture attentive de la lettre de confirmation de l’assureur aurait permis de constater la résiliation.
Le comité estime néanmoins que l’intimé pouvait raisonnablement présumer que la lettre de l’assureur était une réponse à sa demande et rien d’autre, en réaction à l’avis de renouvellement de la couverture temporaire.
Le fait de ne pas avoir porté attention au texte de l’avis de résiliation est certes une erreur, mais le comité répète que la faute n’est pas suffisamment grave pour constituer un manquement déontologique.
L’intimé est acquitté des deux manquements inscrits au seul chef d’accusation de la plainte. Il est maintenant à la retraite et son permis n’est plus valide depuis l’automne 2022.