L’assurance ne coûte pas encore assez cher pour que les contribuables prennent conscience de la menace que représentent les changements climatiques. Par ailleurs, le manque de couverture d’assurance pourrait créer l’effet domino qui ébranlera le marché immobilier et, indirectement, les marchés financiers.
Ces constats ont été faits par les experts qui participaient à un récent webinaire de Covering Climate Now, qui se déroulait sous le thème Is Insurance the Next Big Climate Story?
Les problèmes d’accès et d’abordabilité à l’assurance, déjà observés en Louisiane après l’ouragan Katrina en 2005 et en Floride après l’ouragan Ian en 2023, semblent se multiplier dans de nombreux États américains. Les incendies dans la région métropolitaine de Los Angeles contribueront à rendre les assureurs encore plus frileux à l’égard des risques liés au climat, estiment les journalistes et experts qui intervenaient lors du webinaire.
Leslie Kaufman, journaliste de Bloomberg News, souligne l’importance des coûts de réassurance dans la tarification de l’assurance de dommages. Les grands réassureurs européens constatent la hausse des extrêmes météorologiques aux États-Unis.
Pour les orages convectifs majeurs (severe convective storms, ou SCS), qui représentent une bonne partie des sinistres couverts par les assureurs américains ces dernières années, les réassureurs refusent de couvrir les pertes ou ils augmentent les franchises qui doivent être payées à même les capacités des assureurs, explique-t-elle.
En juillet 2024, Mme Kaufman rapportait les propos du président de Swiss Re, Jacques de Vaucleroy, qui disait que les primes d’assurance n’étaient pas encore assez élevées pour forcer les populations à adopter des mesures d’adaptation aux changements climatiques.
« J’espère que lorsque la situation commencera à se dégrader, nous verrons que les réponses traditionnelles ne fonctionnent pas », disait-il. « Il y aura alors beaucoup plus d’argent, beaucoup plus d’intérêt » pour les mesures d’atténuation et d’adaptation aux impacts du changement climatique, et même pour un retrait éclairé des zones à risque, écrivait Mme Kaufman.
L’adaptation
« On a construit notre monde en fonction d’un climat qui n’existe plus. » Jeff Goodell, journaliste spécialisé en environnement, a lancé cette phrase lors d’une entrevue accordée à l’animatrice Alex Wagner de la chaîne MSNBC, le 10 janvier dernier. Cet extrait de l’entrevue a servi à lancer le webinaire.
Auteur du livre The Heat Will Kill You First, M. Goodell donne l’exemple d’un propriétaire qui n’arrive plus à financer son prêt hypothécaire faute de trouver un assureur prêt à couvrir le bien. C’est ce qu’il se passait déjà dans plusieurs communautés de la Californie avant même les incendies qui font toujours rage dans la région de Los Angeles.
Si aucun assureur ne peut couvrir un bien, sa valeur s’effondre. En multipliant ce cas par des centaines, voire des milliers de personnes dans une même communauté, c’est le marché immobilier qui en subit l’impact, ajoute M. Goodell.
Dave Jones, professeur de l’Université de Berkeley et commissaire au Département d’assurance de la Californie (2011-2018), se dit d’accord avec Jeff Goodell : « Il existe un large consensus parmi les régulateurs financiers du monde entier, y compris dans ce pays (au moins jusqu’au récent changement d’administration), selon lequel le changement climatique pose des risques financiers systémiques pour le système financier mondial », dit-il.
Les assureurs réagissent de deux manières en présence d’une zone à risque de sinistres : en haussant les primes ou en cessant de souscrire de nouvelles affaires et de renouveler les polices existantes.
Aux États-Unis, M. Jones note qu’il y a 35 états où il existe un régime public d’assurance pour couvrir certains risques délaissés par les assureurs privés, souligne M. Jones. Contrairement aux sociétés privées, l’assureur public ne peut pas faire faillite. S’il manque de fonds, il hausse les cotisations auprès des assureurs privés ou des clients assurés.
Effet domino
Dave Jones souligne que l’on voit des signaux de plus en plus évidents d’une hausse des mauvaises créances chez les prêteurs hypothécaires. L’effondrement de la bulle immobilière dans plusieurs grandes villes américaines en 2007 et l’impact de la crise des subprimes en 2008 ont montré la fragilité des marchés financiers lorsque l’immobilier se porte mal.
Le 16 janvier, le Financial Times de Londres citait les inquiétudes des auteurs d’un rapport publié le même jour Financial Stability Board, l’organisme international qui réunit les régulateurs des banques et des assureurs. Dans le rapport, Assessment of Climate-related vulnerabilities, on peut lire : « Les vulnérabilités liées au climat dans le système financier, lorsqu’elles sont déclenchées par des chocs climatiques, pourraient menacer la stabilité financière par le biais de divers canaux de transmission et mécanismes d’amplification. »
Leslie Kaufman souligne que l’exposition au risque du régime public California FAIR Plan a quintuplé depuis 2018. Selon elle, cela montre que les assureurs savaient qu’un sinistre majeur était imminent et ils ont graduellement cessé de renouveler les contrats, ce qui a poussé les assurés vers le régime public d’assurance.
De son côté, Christopher Flavelle, journaliste au New York Times, souligne les efforts du sénateur démocrate du Rhode Island, Sheldon Whitehouse pour documenter le problème du non-renouvellement des couvertures d’assurance.
Dans un article publié le 19 décembre 2024, intitulé How the Climate Crisis Became an Insurance Crissis, M. Flavelle rapportait les propos du sénateur Whitehouse lors d’une séance du comité sénatorial sur le budget fédéral qu’il présidait alors : « La crise climatique qui nous menace ne concerne pas seulement les ours polaires ni les emplois verts. (…) Elle nous parvient par la poste, sous la forme d’annulations d’assurance, de non-renouvellements d’assurance et d’augmentations spectaculaires des coûts d’assurance. »
Des constats
Dans son rapport publié en décembre 2024, intitulé Next to Fall : the Climate-Driven Insurance is Here— And Getting Worse, le comité sénatorial sur le budget fédéral américain faisait trois constats :
- « Les données confirment que c’est le changement climatique qui entraîne l’augmentation des taux de non-renouvellement, car les comtés les plus exposés aux risques liés au climat, tels que les incendies de forêt ou les ouragans, sont ceux qui connaissent les taux de non-renouvellement les plus élevés. »
- Il n’y a pas qu’en Floride, en Louisiane, en Californie ou au Texas où les propriétaires sont frappés par les hausses de primes ou le non-renouvellement de leur police. Les citoyens de plusieurs autres États souffrent de ce problème d’assurabilité, « démontrant que l’ensemble des effets liés au climat (ouragans, incendies de forêt, tempêtes convectives violentes, grêle, précipitations extrêmes et élévation du niveau de la mer) déstabilisent tous les marchés de l’assurance ».
- Les données sur le non-renouvellement obtenues par le comité sénatorial « confirment une corrélation entre la hausse des taux de non-renouvellement et la hausse des primes. Cela souligne que le changement climatique est devenu un problème majeur du coût de la vie pour les familles de tout le pays ».
Le marché immobilier
Anita Chabria, chroniqueuse du Los Angeles Times, s’inquiète de son côté de l’impact des changements climatiques et du manque d’assurance pour les familles à plus faible revenu, lesquelles peinent déjà à se loger dans la région métropolitaine de Los Angeles.
Dans les communautés qui ont déjà eu à se rétablir à la suite d’un sinistre majeur en Californie, elle a constaté deux phénomènes. « Premièrement, les gens se rendent vite compte qu’ils sont sous-assurés ou qu’ils n’ont pas d’assurance. Ils ne participeront pas à la reconstruction et ils sont obligés de vendre à des spéculateurs ou à des gens plus riches qui ont les moyens de reconstruire. »
« Deuxièmement, les gens qui peuvent se le permettre sont des personnes qui ont besoin de reprendre leur vie en main. La rapidité est donc leur principale préoccupation. Tout ce qu’ils veulent, c’est rentrer chez eux. Les élus ne veulent pas les gêner dans ce domaine. Il n’y a absolument rien de politiquement populaire à dire : “Prenons du recul, ralentissons. Faisons peut-être les choses différemment”. Jusqu’à présent, les compagnies d’assurance n’ont pas exercé leur pouvoir pour forcer les gens à faire les choses différemment », ajoute-t-elle.
Mme Chabria souligne que les assureurs ont les moyens de faire pression sur les législateurs et les élus locaux pour revoir les façons de faire en matière de reconstruction afin de mitiger les risques. « Je pense qu’ils ont le devoir de faire cela plutôt que de se retirer et de ne pas utiliser leur pouvoir pour faire changer les choses. Les politiciens ont le devoir de faire la même chose et de ne pas simplement emprunter la voie rapide en aidant les gens à se reconstruire au même endroit et de la même manière. Ce n’est pas soutenable. »
Dave Jones note que les assureurs disposent de modèles de plus en plus sophistiqués pour déterminer leur exposition au risque lié aux extrêmes climatiques. Cependant, « une meilleure modélisation nous donne plus de mauvaises nouvelles sur les endroits où se trouvent les risques les plus graves. Cela fait en sorte que, comme on l’a dit plus tôt, les assureurs sélectionnent les risques et envoient plus de gens vers les régimes publics », dit-il.
L’ancien commissaire californien reproche aux assureurs de ne pas tenir compte, dans leur souscription, des efforts consentis par les assurés ou leurs communautés qui investissent afin de mitiger leur exposition au risque. Selon lui, les législateurs doivent revoir les règles pour forcer les assureurs à considérer ces efforts de mitigation dans leur processus de souscription.
Le 22 janvier 2025 dans le New York Times, M. Jones écrivait une lettre où il suggérait aux assureurs de récupérer leurs pertes en poursuivant les principaux responsables des changements climatiques, en l’occurrence les compagnies pétrolières et gazières.