Alain Vézina met les conseillers en garde contre le recours à un seul multiple dans l’évaluation de leur clientèle. Ne considérer que les commissions de renouvellement est une erreur selon lui.

Pour le fondateur et associé principal de Nessa Capital, un cabinet comptable se spécialisant dans l’évaluation de clientèles, les conseillers doivent aussi tenir compte des primes en vigueur ou de l’actif sous gestion. Ne pas le faire est une erreur, affirme-t-il.

« La conclusion sur la juste valeur marchande d’une clientèle se trouve dans le mélange de plusieurs méthodes, en plus de tenir compte de facteurs qualitatifs. Dans les faits nous devons valider les facteurs avec deux autres méthodes », a-t-il dit en entrevue au Journal de l’assurance.

Ces deux autres méthodes sont la valeur future économique potentielle et celles des BAIIA (bénéfice avant intérêt, impôts et amortissement, ou dite des cashflows) pour conclure sur les choix finaux des facteurs, explique M. Vézina. « Le conseiller ne peut se fier uniquement aux renouvellements ni uniquement sur l’actif sous gestion », a-t-il ajouté.

Les structures de rémunération sont nombreuses en épargne collective, rappelle M. Vézina. « J’ai un bloc de 20 millions de dollars (M$) d’actifs sous gestion sans frais de sortie à 1 % et un autre de même taille à frais de sortie rémunéré à 0,5 %. Le premier vaudrait le double ? Pas d’accord ! », tranche-t-il.

Répartition à prendre en compte

La répartition de la rémunération entre le conseiller (son pay out) et celle du cabinet de fonds (le dealer) doit aussi être prise en compte. « Le conseiller vendeur peut recevoir 65 % et le réseau de distribution garde 35 %. L’acheteur peut recevoir 85 % et le distributeur garde 15 %. Ce serait une erreur de calculer un multiple des renouvellements après la répartition. Il faudrait le faire sur le montant brut de la rémunération. Sinon, l’acheteur aura un gain de 20 points de base ou 30 % de la valeur sans avoir payé pour », estime M. Vézina.

En évaluation, l’assurance de personnes doit aussi faire l’objet d’un exercice plus approfondi. Il prend un de ses clients conseillers en exemple « Sa clientèle représente des primes en vigueur de 390 000$, et compte 600 dossiers dont 125 en temporaire 10 et 20 ans. Cette clientèle ne génère que 2 800$ de renouvellement. Cela vaudrait deux ou trois fois les renouvellements, soit 8 400$ ? Cela vaut bien plus cher », dit M. Vézina.

L’erreur qu’il dit observer souvent en évaluation dans l’industrie : les intervenants n’évaluent pas la juste valeur marchande d’une clientèle, mais la juste valeur économique finançable des commissions de services annuelles pour un créancier. « Ce sont deux concepts d’évaluation distincts », considère M. Vézina.

Il estime qu’une telle clientèle ne doit pas se vendre selon les commissions de renouvellement, mais plutôt sur ce qu’il qualifie de juste valeur marchande économique. « Une police sans renouvellement ne veut pas dire que le client ne vaut rien économiquement. Ce serait trop simple. Si tu as 200 clients sans renouvellement sur le lot, tu viens de les vendre gratuitement, alors qu’ils ont un potentiel. Ces dossiers permettent de rencontrer un client qualifié, alors que de jeunes recrues paieront jusqu’à 50$ pour obtenir une référence d’une firme qui fait des appels à froid. Cela a une valeur », observe le spécialiste en évaluation.

M. Vézina croit que le marché met de plus en plus l’accent sur de tels aspects qualitatifs. La composition du portefeuille en est un autre d’importance. Il l’a constaté lors d’une transaction d’un bloc d’actifs sous gestion de 75 M$, pour lequel le conseiller avait vendu exclusivement des produits de placement garantis.

« C’est un conseiller en assurance qui n’a vendu que ces produits de placement. Si 20 % d’entre eux sont renouvelé dans l’année, et qu’il touche 2 % de commission pour ces renouvellements : c’est 300 000$ d’un coup. De plus, l’acheteur d’une telle clientèle pourra rapatrier les actifs non garantis que ces clients ont ailleurs. Si l’acheteur a une firme solide avec une équipe, le potentiel est important », soutient M. Vézina.

Il souligne d’ailleurs la valeur ajoutée d’une firme bien organisée. « Les frais d’exploitation pour supporter un actif de 40 M$, par exemple, ont triplé depuis 10 ans », souligne M. Vézina.

Un acheteur organisé qui achète un vendeur qui ne l’est pas sera selon lui prêt à payer plus en raison de sa capacité à exploiter le potentiel de cette clientèle mal organisée et desservie. « Sommairement, ce que j’observe souvent est que l’on surestime les valeurs des portefeuilles de placements et qu’on sous-estime la valeur des clientèles en assurance, avec la méthode des facteurs. C’est encore plus vrai pour l’assurance collective où l’on retrouve des écarts majeurs dans les transactions pouvant aller de 1,5 fois les commissions annualisées à 4 fois », dit-il.