Après avoir obtenu la suspension des trois décisions rendues à son endroit par le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière, Pascale Cauchi a gagné son appel devant la division administrative et d’appel de la Cour du Québec.

L’intimée avait été déclarée coupable des 15 chefs de la plainte et condamnée à cinq années de radiation temporaire le 29 juin 2020. Son procureur, Me Pascal A. Pelletier, du cabinet Pelletier & Cie Avocats, a porté en appel les trois décisions rendues par le comité de discipline : la première demandant l’arrêt des procédures, rendue le 15 décembre 2017, la deuxième sur la culpabilité, rendue le 7 octobre 2019, et la troisième confirmant la sanction rendue en juin 2020.

La cause a été entendue le 25 mai 2021 par le juge Éric Dufour, de la Cour du Québec. C’est Me Mélanie Morin, du même cabinet, qui représentait Mme Cauchi à cette étape. Me Sylvie Poirier, de CDNP Avocats, représentait l’intimée et plaignante Lysane Tougas, syndique adjointe de la Chambre. Me Amélie Lemay, secrétaire du comité de discipline de la Chambre et mise en cause dans l’appel, est aussi partie à la décision, mais elle n’a pas assisté à la rencontre du 25 mai dernier.

Appel entendu

Selon le tribunal, au moment de rendre sa décision sur la demande en arrêt des procédures, le comité de discipline n’avait pas le bénéfice de l’arrêt rendu par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Champagne c. Colas (voir ci-dessous) l’automne dernier. Ce jugement porte notamment sur les critères applicables à une demande en arrêt des procédures dans un contexte disciplinaire. « Il est clair que l’analyse comporte, sur ce point précis, des erreurs de droit », écrit le juge Dufour.

Considérant ce développement jurisprudentiel, la syndique adjointe et Mme Cauchi ont requis la tenue d’une conférence de facilitation, laquelle a eu lieu le 25 mai 2021.

Les parties ont reconnu que le comité de discipline de la Chambre a erré :

  • dans ses considérations relatives aux délais antérieurs à la plainte, tant en ce qui concerne l’arrêt des procédures que l’imposition de la sanction appropriée ;
  • dans l’importance indue, voire erronée, donnée au fait que les manquements disciplinaires ne se prescrivent pas ;
  • dans l’appréciation globale des délais accumulés depuis les faits reprochés à Mme Cauchi (entre 7 et 11 ans s’il est tenu compte des délais antérieurs à la plainte et selon le manquement reproché) et sur le fait que ces délais peuvent, en soit, être déraisonnables au point que l’arrêt des procédures soit la seule solution possible, selon l’arrêt Blencoe c. C.-B. Human Rights Commission (2000, 1 RCS, 307).

Lors de la conférence de facilitation, la syndique adjointe a concédé l’appel et a reconnu que l’arrêt des procédures devait être prononcé sur les chefs 1 à 14 de la plainte. Quant au chef 15, pour laquelle la peine imposée était une radiation temporaire de six mois, en raison des délais, la syndique adjointe a aussi concédé qu’elle devait être modifiée. Les parties ont soumis la suggestion commune d’une amende de 30 000 $, en plus des frais encourus par la syndique adjointe devant le comité de discipline. Les déboursés de la première instance sont donc maintenus et devront être payés par Mme Cauchi.

Le juge Dufour conclut : « Il n’y a pas lieu d’analyser les autres questions soulevées par les parties en appel. Le tribunal ne se prononce ni n’exprime aucune opinion sur les autres aspects du dossier. »

Jurisprudence

Le litige entre la syndique de la Chambre et Charles Colas (certificat no 107560, BDNI no 1450881) a été définitivement tranché le 15 septembre 2020.

Le 3 juillet 2015, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière avait reconnu l’intimé coupable des trois chefs de la plainte disciplinaire.

Le 13 juin 2016, le comité avait condamné l’intimé à trois mois de radiation temporaire sur chacun des chefs.

Le 3 mai 2018, le juge Jacques Tremblay, de la division administrative et d’appel de la Cour du Québec, a cassé le verdict de culpabilité rendu envers M. Colas et l’a acquitté. La syndique Caroline Champagne a appelé de cette décision devant la Cour d’appel du Québec dès le mois de juin 2018.

Prévu en février 2020, le pourvoi en appel a été reporté. Les parties ont alors été invitées par la Cour d’appel à verser au dossier deux exposés additionnels, ou mémoires ampliatifs. Le tribunal voulait avoir leurs arguments concernant trois décisions rendues par la Cour suprême du Canada en décembre 2019 et qui concernent les appels des décisions rendues par un tribunal administratif devant une cour de justice.

Le 15 septembre 2020 à la Cour d’appel, les juges Yves-Marie Morissette, François Doyon et Simon Ruel ont rejeté le pourvoi de la syndique de la Chambre. Ils soulignent qu’on « ne peut reprocher au juge Tremblay ni aux parties d’avoir conclu comme ils le firent sur la norme d’intervention qui devait guider le juge en statuant sur l’appel plaidé devant lui le 6 novembre 2017 ». L’analyse était conforme à l’état de la jurisprudence qui existait à l’époque. « Mais cette jurisprudence est maintenant périmée en partie », ajoute-t-on, notamment en raison de la décision rendue dans l’arrêt Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, qui a imposé un revirement jurisprudentiel.

Désormais, « l’appel doit être abordé comme l’est un appel au sein de la hiérarchie judiciaire de droit commun, c’est-à-dire conformément aux normes d’intervention qui y ont cours ». Si l’appel concerne une question de droit, « la cour saisie doit s’assurer que la décision du tribunal administratif est correcte, une norme d’intervention dont on sait qu’elle est plus exigeante pour le premier décideur que celle de la décision raisonnable ».

S’il s’agit d’une question de fait, ou d’une question mixte de fait et de droit, la cour saisie de l’appel n’interviendra qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante.

La plainte

M. Colas détenait, au moment des faits pertinents, une certification en assurance de personnes, en assurance collective de personnes, en planification financière et en courtage en épargne collective. La plaignante lui reprochait des actes qu’il n’était pas autorisé à faire en vertu de sa certification. L’intimé avait fait souscrire à deux clientes de longue date des investissements sous la forme d’un prêt à terme auprès de Focus Management, en novembre 1999 et mars 2001 pour la première, et en décembre 2004 pour la seconde.

La plainte trouvait son origine dans des ordonnances de blocage prononcées en décembre 2007 par le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières, qui visaient deux entreprises dont on alléguait qu’elles avaient reçu de nombreux placements sans avoir déposé de prospectus. L’Autorité des marchés financiers a signalé certains faits à la Chambre à la fin de 2011, et la plainte contre l’intimé fut déposée le 19 décembre 2012. L’audition a eu lieu en aout 2013 et la décision rendue en juillet 2015.

M. Colas n’avait aucun antécédent disciplinaire. Les clientes ne se sont pas plaintes du comportement de l’intimée et continuaient de recourir à ses services durant la procédure disciplinaire, et elles n’ont subi aucun préjudice financier.

Verdict maintenu

Selon la Cour d’appel, le juge Tremblay pouvait identifier dans la décision du comité une erreur de droit justifiant sa réformation en vertu de l’article 379 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers. L’intimé plaidait que le long délai entre les faits reprochés et le dépôt de la plainte disciplinaire lui causait un grave préjudice et le privait de la faculté d’offrir une défense pleine et entière. Le juge Tremblay a d’ailleurs cité de nombreux passages de l’arrêt Blencoe c. C.-B. dans ses motifs.

Le comité de discipline, devant les mêmes arguments présentés par la procureure de l’intimée, avait rejeté la demande en arrêt des procédures. À la Cour du Québec, on a analysé les motifs avancés par le procureur de l’intimé.

Le juge Tremblay écrivait, au paragraphe 45 : « Le comité analyse incorrectement la question. Il aurait dû déterminer si M. Colas subit un préjudice important en raison du non-respect de l’équité procédurale et son droit à une défense pleine et entière. Que la syndique puisse elle aussi être affectée par le délai et la mémoire défaillante des témoins n’empêche pas M. Colas de se prévaloir de cet argument pour obtenir le rejet de la plainte. »

Selon le juge Tremblay, le préjudice pour l’intimé dépend de sa capacité à se défendre adéquatement à l’égard de la plainte elle-même. « On ne peut rejeter du revers de la main cet argument en suivant le principe qu’il n’y a pas de prescription en matière déontologique », lit-on au paragraphe 56.

Le juge de la Cour du Québec soulignait que la syndique devait prouver que l’intimé aurait dû savoir que le produit offert n’était pas couvert par sa certification. Les témoignages de ses confrères n’appuient pas ce constat. « Le délai depuis 1999 rend difficile en 2013 la preuve du contexte de travail prévalant à la suite d’une réforme importante du marché des valeurs mobilières survenue l’année précédente », lit-on au paragraphe 94.

Le juge Tremblay ajoutait : « [La décision du comité] met de côté le délai à porter plainte sans s’exprimer sur le préjudice qu’en subit M. Colas pour sa défense strictement en considérant que la partie plaignante peut également être défavorisée par le délai. »

Même si la plainte de décembre 2012 a été déposée avec célérité, soit un an après le signalement fait par l’Autorité, cela n’est qu’une explication du long délai entre la plainte et les faits reprochés, mais elle ne saurait le justifier. « Il y a donc dans le dossier plusieurs indications claires qui permettent de conclure que le comité a erré en abordant la question du délai comme il l’a fait et que l’argument n’a pas reçu l’attention qu’il méritait », ajoute la Cour d’appel.

Sur la seule question du délai, la Cour d’appel ne voit pas comment elle peut infirmer la décision du juge Tremblay qui renversait la condamnation du comité, et elle rejette le pourvoi en appel. La Cour d’appel n’exprime aucune opinion sur les autres aspects du dossier.