Peu de fournisseurs oseraient retirer complètement l’assurance vie universelle de leurs tablettes. Assomption Vie a osé… et elle a gagné son pari. Elle a maintenu sa force de vente en plus de pousser ses revenus à la hausse en 2013, premier exercice financier sans vie universelle. Désormais, la mutuelle ne développera que des produits compatibles avec sa plateforme électronique.Même s’il doit transiter entre le siège social d’Assomption Vie à Moncton et sa famille demeurée à Montréal, André Vincent ne regrette pas son choix. Son nouvel employeur lui permet de faire ce dont il a toujours rêvé : « des choses qu’on ne faisait pas avant ». Lors de son passage chez des grands comme Great-West et Desjardins Assurances, cela n’a pas toujours été possible.

Depuis qu’il a quitté Croix Bleue Medavie en 2013, il ne regrette pas d’avoir pris la barre d’un joueur qui a osé abandonner la vie universelle, un geste qu’il qualifie de partie intégrante d’un grand virage culturel. Ce ne sont ni les taux d’intérêt ni les hausses de prix qui ont eu raison de ce produit. Ce qui a causé sa perte, c’est qu’il ne cadrait plus dans la stratégie de distribution de l’assureur.

« Nous voulons que tous nos produits d’assurance vie individuelle soient vendus à partir de notre proposition électronique. Or, la vie universelle est trop complexe », a confié le PDG d’Assomption Vie, en entrevue stratégique au Journal de l’assurance.

La petite taille d’Assomption Vie a permis ce virage, soutient M. Vincent. « Nous nous servons de notre petite taille comme levier pour innover et prendre rapidement des virages. Nous utilisons l’innovation comme un filtre qui nous permet d’aborder nos préoccupations de façon constructive », a-t-il ajouté.

Malgré le retrait du produit vedette, les ventes d’assurance vie individuelle n’ont que légèrement baissé. Plus encore, la plupart des conseillers sont restés fidèles à l’assureur, et les départs ont été compensés par l’arrivée de nouveaux conseillers, soutient M. Vincent.

« Les jeunes conseillers adorent l’idée de transiger uniquement sur une plateforme électronique. Les conseillers plus âgés sont réticents, mais leurs réserves tombent lorsqu’ils en font l’essai », assure le PDG. Ces convertis aiment l’instantanéité et la protection contre les oublis que procure une proposition qui refuse de s’activer tant qu’elle n’est pas complète. « De plus, la rémunération est versée au conseiller la semaine même dans laquelle est survenue la vente. » La méthode plait aussi aux agents généraux, qui économisent temps et ressources parce qu’ils n’ont pas à traiter des documents papier.

Assomption Vie est aussi parvenue à garder la plupart de ses conseillers parce qu’ils iront ailleurs seulement lorsque le produit dont ils ont besoin se négocie sur papier. « C’est le cas de la vie universelle et des produits de portefeuille », ajoute M. Vincent.

Il y a quand même quelques défections. « Nous avions des producteurs qui ne voulaient vendre que de la vie universelle. Nous ne sommes pas en mesure de répondre à leurs besoins. Nous ne croyons pas que ce soit la proposition électronique qui a chassé des conseillers, mais plutôt le retrait d’un produit de masse, précise le dirigeant. Mais comment garder un produit de masse dans un aréna où on ne peut concurrencer efficacement? Nous préférons les patinoires où il y a moins de trafic. »

Déborder de l’assurance vie

Pour éviter les arénas bondés, Assomption Vie sortira des sentiers battus, donc de l’assurance vie individuelle, selon les mots de son président. « Assomption Vie est reconnue par les conseillers pour sa facilité de transiger en assurance vie individuelle. Elle veut en faire autant dans les autres lignes d’affaires », dit M. Vincent.

Cette mission sera le moteur d’innovations qui verront le jour au deuxième trimestre de 2014, dont un produit de maladies graves à émission simplifiée. Le secteur collectif est aussi dans la mire. Assomption Vie entend s’enregistrer comme administrateur de régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER). L’assureur accompagnera son offre d’un régime de retraite individuel (RRI) destiné à ceux qui dépassent la contribution maximale admise dans les régimes enregistrés.

D’autres produits verront le jour, plus tard dans l’année ou en 2015. C’est le cas d’une nouvelle famille de produits santé et de prestations du vivant que prévoit implanter la mutuelle. « Cette plateforme ne sera pas prête dans les prochains mois. Elle implique beaucoup de travail et des partenariats avec des réassureurs », explique M. Vincent.

L’innovation est en ébullition ces dernières années dans l’industrie, dit M. Vincent. Les bas taux d’intérêt à long terme et les nouvelles normes comptables IFRS posent des défis qui rendent les produits garantis à long terme moins attrayants pour les assureurs.

« C’est une tendance lourde des 10 dernières années que d’aller vers les produits non garantis parce qu’il est devenu moins attrayant de se compromettre pour les 50 prochaines années avec des garanties à long terme. C’est très lourd d’insécurité et d’impact sur la rentabilité d’un assureur », dit M. Vincent.

Le PDG d’Assomption Vie se dit aussi « amer » à l’égard des IFRS. « Elles imposent une pression incroyable aux assureurs. Celles qui ont été implantées amènent plus de complexité et nous obligent à établir de nouveau (restate) certains chiffres de nos résultats comme l’actif et l’avoir des assurés, mais ce n’est rien à côté de ce qui s’en vient, déplore-t-il. Les futures exigences comptables sur les contrats d’assurance amèneront énormément d’incertitude chez les assureurs. On prévoit qu’elles seront implantées en 2018. C’est tout de même assez rapide. » L’industrie craint que ces IFRS entrainent beaucoup de volatilité d’un trimestre à l’autre, alors que les éléments financiers clés de l’assureur n’auront en réalité pas bougé.

Point positif au tableau des pressions : les taux d’intérêt à long terme ont augmenté quelque peu, « juste assez pour donner un peu d’oxygène aux assureurs. On le voit déjà dans les résultats financiers des assureurs pour 2013 », dit M. Vincent.

Accélérer le développement

Malgré ces pressions externes ou à cause d’elles, Assomption Vie entend bien poursuivre une innovation qui la démarque de la concurrence. « Dans chaque innovation, nous chercherons toujours à automatiser un maximum de fonctions », dit M. Vincent.

Or, « tourner sur une pièce de dix cents pour implanter une proposition électronique n’est pas donné à tout le monde, dit-il. Plusieurs de nos plus gros concurrents le voudraient, mais c’est un changement énorme à faire accepter, tant en interne qu’aux distributeurs. » La mutuelle de Moncton l’avait pour sa part implantée au milieu des années 2000 avec un nombre limité de produits.

« Des gros joueurs nous font des commentaires et nous appellent pour savoir comment nous avons réussi, notamment la Financière Manuvie, la Financière Sun Life et Great-West, qui trouvent toutefois que le marché que ce genre de plateforme permet de desservir est trop petit pour eux : 3 millions de dollars de ventes annuelles, c’est peu pour ces joueurs, mais beaucoup pour nous. Leur vision fait qu’il y a des créneaux disponibles pour nous. »

Assomption Vie veut aussi mettre l’accent sur l’expérience client. « Notre énoncé de mission principale est que faire affaire avec nous, c’est facile, de sorte que vous ne voudrez pas faire affaire ailleurs », lance son PDG. Il estime être à ce stade, et beaucoup de conseillers le lui confirment. Mais ce stade, l’assureur l’a surtout atteint en assurance vie individuelle. Il veut maintenant l’atteindre dans tous ses segments d’affaires.

Cette expérience client n’est pas affaire de processus, mais de relations humaines. « Mes meilleurs commentaires, je les reçois de conseillers qui aiment appeler chez nous parce qu’on les traite comme des êtres humains. Il faut que ce soit le fait de toutes les lignes d’affaires, y compris en collectif, et pour tous les intervenants : le conseiller, l’assuré, l’employeur… L’expérience client, ça passe par le monde. »

Ainsi, Assomption Vie continuera de miser sur une main-d’œuvre experte qui focalise sur les clients. Comme pour la proposition électronique, M. Vincent ne croit pas qu’une expérience client axée sur la proximité puisse être aisément reproduite par ses plus gros concurrents. « J’ai travaillé pour de gros joueurs, et ce que nous vivons, c’est une pression énorme sur les couts d’exploitation et la rentabilité. Une pression qui nous oblige à couper les coins ronds pour rendre certains services », relate-t-il.

S’il peut maintenant faire autre chose chez Assomption Vie, sa mission est aussi de se demander « pourquoi nous faisons les choses de telle façon. Peut-on les faire différemment? Car nous savons que nous serons copiés, tôt ou tard ».

« Beaucoup ont imité nos produits à émission simplifiée parce qu’ils ont vu qu’il n’y avait pas beaucoup de trafic dans ce créneau. Il va donc devenir encombré, et nous allons devoir en trouver d’autres. Pour nous différencier dans nos créneaux, il faudra en outre atteindre un niveau d’excellence reconnu par tous. Je ne peux pas prétendre qu’on est rendus là! »

Pour atteindre ces objectifs, Assomption Vie devra accélérer le développement des nouveaux produits et élargir la vigie des marchés ainsi que la veille concurrentielle. Assomption Vie a ainsi décidé d’embaucher ou de promouvoir en interne des ressources qui s’y consacreront entièrement à temps plein. Plus question de porter deux chapeaux comme avant et d’innover à temps partiel.

La mutuelle a ainsi imaginé deux cellules, l’une de markéting stratégique et l’autre de développement. Elles sont en phase de dotation et entreront en fonction au cours du premier trimestre. « L’unité de développement est maintenant complétée. Les gens qui y travailleront ont été confirmés dans leurs fonctions », dit M. Vincent. Dans certains secteurs, l’implication se fera en amont, explique-t-il.

« C’est le cas en actuariat, où les gens participent au processus de développement, lors de la tarification ou d’autres interventions ponctuelles, dit M. Vincent. Par contre, les gens de technologie sont là tout au long du processus, par exemple pour faire des tests et des illustrations. C’est surtout dans ce secteur que nous avions un manque de ressources. »

Ainsi pourvue, Assomption Vie pourra accélérer son développement dès le deuxième trimestre. Elle profitera en outre de ses ressources à temps plein pour élargir sa vision du marché. « Notre veille concurrentielle s’améliorera substantiellement. Nous saurons ce qui se passe non seulement dans nos marchés immédiats, mais aussi aux États-Unis, incubateur par excellence, en Europe, en Australie et en Afrique du Sud – d’où est d’ailleurs venue l’assurance maladies graves », rappelle M. Vincent.