De plus en plus de courtiers proposent des programmes de gestion de risques à leurs clients entrepreneurs, en assurance des entreprises. Toutefois, cette approche peut englober plusieurs aspects. Le Journal de l’assurance s’est entretenu avec des experts de la question pour démystifier ce concept méconnu, mais qui gagne de plus en plus de popularité auprès des entreprises du Québec.Gilles Gervais, vice-président, directeur d’équipe, spécialité gestion de risques, chez BFL Canada, dit que l’approche a connu une embellie au cours de la dernière décennie. « Avant, c’était une approche limitée aux grandes entreprises. Maintenant, on peut l’appliquer à tous les types d’entreprises, peu importe leur taille », dit-il.

Il ajoute qu’il faut bien comprendre en quoi consiste le risque avant d’en aborder la gestion. « Le risque, c’est un obstacle. C’est quelque chose qui nous empêche d’atteindre notre but. Toute entreprise se fixe des objectifs, que ce soit au niveau de ses ratios de rendement ou de tout autre paramètre précis. Le risque fait ainsi dévier une entreprise de son objectif, ce qui fait en sorte qu’elle ne l’atteint pas », dit-il.

La gestion de risques peut ainsi être considérée sous plusieurs angles, dit M. Gervais. « Pour l’assuré, ça peut vouloir dire de bien préparer son organisation si un incident survient, qu’il soit important ou non. Plusieurs petits incidents dans une année peuvent mener à une grosse perte à la fin de l’année. »

C’est pourquoi le courtier gestionnaire de risques se doit d’être proactif avec son client, qui doit l’être tout autant. « Il faut deviner ce qui va arriver. Il faut évaluer ce à quoi l’entreprise fait face dans le temps pour comprendre comment elle pourrait être stoppée dans un obstacle. Si on évalue bien l’importance de ces risques, on peut déterminer leur impact financier. Quand on établit quel sont les risques et qu’on les évalue, on peut ensuite les catégoriser en ordre d’importance. La gestion de risques embarque ensuite. On évalue ce à quoi on peut faire face et aux différentes façons de gérer le tout », dit le vice-président de BFL Canada.

À titre d’exemple, une compagnie de transport qui a une flotte de plusieurs camions pourra simplement faire appel à la formation pour mieux mitiger ses risques. Si ses camionneurs sont mieux formés et plus compétents, le risque s’en trouvera diminué. « Il faut toutefois voir le cout de chaque mesure pour voir si elle rapporte vraiment », dit M. Gervais.
Par ailleurs, si les risques sont bien identifiés, le courtier pourra voir s’il peut en transférer certains. « Ça peut se faire simplement en achetant de l’assurance ou encore, en réduisant les franchises, ce qui revient à accepter moins de responsabilités. Il faut toujours garder en tête de voir quel est le cout pour l’entreprise. Parfois, ça veut dire ne rien changer. Au lieu d’acheter de l’assurance, l’entrepreneur peut décider de gérer son risque à partir de ses réserves. S’il identifie ses pertes, il peut décider d’arrêter d’œuvrer dans une niche précise ou un créneau particulier », dit-il.
Le courtier se doit d’accompagner son client dans cette recherche, dit M. Gervais. « L’entrepreneur est celui qui connait le mieux son entreprise. Voit-il bien ses risques? Le courtier doit aider le client à ouvrir les yeux. »

Approche concierge

BFL dit miser sur son « approche concierge » en gestion de risques. « On aime mieux être un partenaire du client qu’un fournisseur. Certaines entreprises ont des départements dédiés à la gestion de risques. On essaie de se coller à ces gens, plutôt que de leur répondre en fournisseur. On fait avec eux une évaluation de leurs risques, où on les analyse, les catégorise et mesure leur impact financier. En faisant du benchmarking avec eux, on peut dire où ils peuvent frapper un mur », dit M. Gervais.

Le rôle du courtier est de mettre en évidence ces dangers auxquels l’entrepreneur fait face. « On essaie de trouver des options pour lui. On peut lui faire des recommandations. En fait, on essaie de lui donner des solutions. On l’accompagne dans sa démarche de gestion de risques.

Le courtier doit aussi prendre en compte que lorsqu’il travaille avec une grande entreprise, celle-ci a plusieurs départements. Parfois, ceux-ci ne se parlent pas et travaillent en « silos ». « Ce qui sera une bonne avenue pour l’un ne le sera pas nécessairement pour l’autre. La communication est donc très importante. Il faut voir si le geste qu’on veut poser impacte l’autre », dit M. Gervais.

Le vice-président de BFL Canada ajoute que la gestion de risques ne consiste pas à vendre plus d’assurance. « Il s’agit vraiment de servir le client. Il faut l’accompagner dans sa réflexion. Ce n’est pas une vente qui résultera de ça. On vend plutôt un service. En gestion de risques, on n’a pas uniquement un rôle de courtier, mais aussi d’analyste », dit-il.

Le courtier qui opte pour une telle approche en tire de nombreux bénéfices, dit M. Gervais. Le premier est, qu’habituellement, le client obtient de meilleures conditions des assureurs en fonction de son risque.

« Quand le courtier a mené une approche de gestion de risques, ça veut dire qu’il connait mieux son client. Les assureurs apprécient avoir une information juste. Le courtier peut alors dire à l’assureur que le client a fait telle ou telle chose pour mitiger le risque qu’il présente. Quand le courtier donne un tel portrait à l’assureur, ce dernier est très réceptif. Il y a de fortes chances qu’il donne de meilleures conditions à un assuré qui a un programme de gestion de risques », dit-il.
Un défi que pose la gestion de risques aux courtiers est qu’il s’agit d’une approche qui ne rapporte aucun dollar à une entreprise, même si elle vient la protéger. « Certaines entreprises voient cela comme une dépense. C’est plutôt une économie. La gestion de risques vient protéger les actifs et la responsabilité d’une entreprise. Il y a toutefois un cout direct à cela. On voit des multinationales qui en faisaient beaucoup et qui ont ralenti. Elles avaient de grands départements et y ont coupé des emplois. C’est une approche qui est tributaire du contexte économique », dit M. Gervais.

Partie vitale de l’assurance aux entreprises

Pour Michael Wills, PDG d’Ironshore Canada, la gestion de risques est maintenant une partie vitale de l’assurance aux entreprises, tant pour les grandes entreprises que pour les PME. « Même les petites compagnies peuvent subir une grosse perte. Le marché de l’assurance a énormément évolué. Il y a 10-20 ans, les entreprises s’assuraient contre le feu ou les inondations, qui sont des risques plus traditionnels. Maintenant, il y a une multitude d’autres risques qui peuvent survenir, que ce soit au niveau environnemental, technologique ou économique. L’interruption des affaires et la perte de profits sont des enjeux auxquels la gestion de risques peut répondre », dit-il.

Le changement climatique est un élément qui a éveillé les entreprises à l’importance de bien connaitre et gérer leurs risques, dit M. Wills. « Les dégâts causés par des ouragans au cours des dernières années ont ouvert les yeux de plusieurs entrepreneurs. Les risques politiques aussi, comme le terrorisme. Plusieurs petites entreprises québécoises ont des opérations nationales, mais aussi internationales. Elles doivent en tenir compte. On peut notamment penser à la pénurie d’eau qu’on retrouve dans certains pays et qui peut affecter les opérations d’une entreprise à l’étranger », dit-il.

M. Wills ajoute que la gestion de risques peut ouvrir toute grande la porte d’un courtier qui veut de meilleurs résultats en assurance aux entreprises. « La gestion de risques permet de bien protéger une entreprise des dangers qui peuvent potentiellement la menacer. Surtout dans le cas des entreprises n’ayant pas de gestionnaires de risques, et ce, peu importe la taille de l’entreprise. Il ne s’agit pas simplement que d’acheter de l’assurance », dit-il.

Le PDG d’Ironshore Canada ajoute que la gestion de risques amène l’entrepreneur à prendre conscience de son risque et à bien l’identifier. « On peut ensuite aider le client entrepreneur à mitiger son risque. En tant qu’assureur, ça nous permet de resserrer la couverture d’assurance. Avec la gestion de risques, on s’assure qu’on ne prend pas trop de risques ou de risques qui ne sont pas nécessaires. On peut ainsi travailler avec le courtier qui a de tels processus. Le risque que ce courtier nous transfère en est un qui est compris parfaitement par toutes les parties prenantes », dit M. Wills.

Pour l’assureur, l’avantage de recourir à la gestion de risques est qu’il n’est plus dépendant des cycles d’assurance, car ses risques sont bien cernés, indépendamment des fluctuations du marché. « C’est notre job de bien évaluer le risque. La gestion de risques nous aide à le faire », dit-il.

Pour le courtier, l’avantage est qu’il s’assure de couvrir adéquatement son client. « Il devient un partenaire du client, ce qui génère plus de loyauté chez ce dernier. Ça améliore la rétention. Le client ne voit plus le courtier comme un simple fournisseur de produits ou de commodités », dit-il.

 

 

 

LES PME DU QUÉBEC S'INTÉRESSENT AUSSI À LA GESTION DES RISQUES


De plus en plus de PME québécoises font appel à la gestion de risques. Trois assureurs en témoignent.

 

Jean-François Béliveau, premier vice-président, Québec, de Northbridge Assurance, dit observer que la gestion de risques est une discipline qui est de plus en plus présente au Québec, surtout du côté des entreprises ayant une envergure nationale ou internationale, telles que Bombardier ou Rona. La pratique est moins répandue chez les PME, mais il ne faut pas en déduire qu’elle n’existe pas, dit-il.

Benoît Lamontagne, vice-président, assurance spécialisée et des grandes entreprises, chez RSA Canada, affirme aussi que la gestion des risques est de plus en plus prisée, surtout par les grandes entreprises. « Ça amène une valeur ajoutée, tant pour l’assureur que le courtier, car le client ne voit pas seulement la vente d’assurance », dit-il.

Pour Louis Harpin, vice-président, assurance aux entreprises, Québec, d’Intact Assurance, le contexte économique, l’environnement légal et le fait que plusieurs entreprises exportent ailleurs dans le monde font en sorte que de plus en plus d’entrepreneurs ont conscience du risque de faire des affaires. « L’entrepreneur ne voit pas nécessairement si le rangement de l’inventaire dans l’entrepôt est bien fait. Ce n’est pas toujours sa priorité quand ils n’ont pas été sensibilisés au préalable. C’est là que le courtier peut prendre beaucoup de place. Il doit travailler à évaluer la partie gestion de risques avant d’évaluer le client. Il y a 10-15 ans, c’était moins courant. Maintenant, la majorité des courtiers le font. C’est devenu un incontournable. Beaucoup de choses peuvent en découler », dit-il.

Pour illustrer le caractère incontournable de la gestion de risques, M. Harpin donne en exemple une PME se lançant en affaires avec moins de cinq employés. « Au début, ils doivent déployer 100 % de leurs efforts à trouver des clients. Les ventes qu’ils feront décideront du succès de leur entreprise. Ils ne verront peut-être pas que des boites s’empilent jusqu’au plafond dans leur entrepôt. L’une d’entre elles peut bloquer un gicleur. Si un incendie survient, le gicleur ne fera que mouiller les boites, sans arrêter la propagation de l’incendie. L’édifice risque donc de complet. Au lieu de juste se relocaliser pendant un temps, il devra peut-être acheter de nouveaux équipements, simplement à cause d’une banale négligence. C’est là que le rôle du courtier prend toute son importance. S’il ne le joue pas, le client n’y pensera peut-être pas », dit-il.

M. Béliveau ajoute que la gestion de risques aide à sensibiliser le client à identifier les risques auxquels il est exposé. « Un risque qu’on ne prévient pas n’est pas géré. Une fois qu’il est identifié, on peut porter attention à la sévérité potentielle de celui-ci, ainsi que de sa fréquence. Dès qu’on a ces données en main, on peut essayer de contrôler ce risque », dit M. Béliveau.
L’assurance devient une réponse

Une fois que le client est sensibilisé à cet aspect, on peut lui proposer des solutions de financement. C’est là que l’assurance entre en ligne de compte. « Ça devient une réponse aux risques auxquels le client est exposé », dit M. Béliveau.

La gestion de risques finit aussi par avoir un impact sur la souscription des risques à long terme. Le cout des primes peut en venir à diminuer, dit M. Lamontagne.

« Un assuré qui a les procédés adéquats de gestion de risques verra un impact sur son expérience, en fonction de ses réclamations. Tout dépend aussi de comment il assure ou assume son risque. Il peut le faire à travers un déductible ou un autre procédé. À terme, ça a définitivement un impact », dit-il.

Selon M. Béliveau, l’impact sur la prime peut être plus immédiat. « Si un client a un programme de gestion de risques entre les mains et qu’on voit qu’il y a une contrôle de la sévérité et de la fréquence, ça peut se refléter dans la prime. Par exemple, s’il installe des gicleurs dans son entreprise, il y a une analyse de couts et de bénéfices qui va se faire. Le tout vient modifier les critères de souscription, ce qui peut avoir un impact sur la prime, tout dépendant de ses réclamations. Tout ce qui a pour effet de modifier le risque peut se refléter dans la prime », dit-il.

M. Harpin va encore un cran plus loin. Selon lui, la gestion de risques peut faire la différence entre accepter de souscrire un risque ou le refuser. « Comme assureur, lorsqu’on voit dans le rapport de notre préventionniste, si on voit que les résultats financiers de l’entreprise sont sains, que tout est bien rangé et que les sorties de secours ne sont pas bloquées, on aime ça. Si ce n’est pas le cas, on peut aller jusqu’à refuser d’offrir une couverture vu la mauvaise gestion », dit-il.

M. Lamontagne ajoute que la création d’un plan de gestion de risques demande une rigueur importante. « Il faut s’assurer que le client est bien soutenu et qu’il a bien planifié sa gestion de risques. Il faut aussi garder en vue les couts que la gestion de risques implique. Il faut une infrastructure reliée à ça », dit-il.

Il ajoute que de plus en plus de courtiers s’adonnent à la gestion de risques. « Pour les grands risques nationaux, c’est une pratique assez courante. Localement, de plus en plus de courtiers s’y adonnent. Ça donne de l’importance à la relation que le courtier a avec son client. Ça créé un lien avec lui. On peut ainsi supposer que la rétention s’en voit améliorée, compte tenu que le courtier offre cet avantage concurrentiel », dit-il.

Même si la gestion de risques qui se fait dans les PME n’a pas nécessairement la même envergure que dans les grandes entreprises, M. Harpin affirme que les courtiers ne peuvent passer outre celle-ci. « C’est un service qu’il donne. C’est là qu’il peut démontrer son expertise. Le courtier ne peut pas dire qu’il s’en fout ». dit-il.

M. Béliveau rappelle de son côté que la gestion de risques n’élimine pas le besoin de l’entrepreneur de s’assurer. « La gestion de risques a pour but de gérer les risques et de les exposer. L’assurance restera toujours comme solution pour le financement des risques de l’entrepreneur », dit-il.

 

 

 

LES DANGEREUX NÉONS D'UNE MICROBRASSERIE


Quelle réaction peut provoquer un néon qui éclate dans de la bière? Mieux vaut ne pas le savoir. Pourtant, un microbrasseur québécois aurait malheureusement pu subir un tel sinistre n’eut été l’apport de la gestion de risques.

 

Pour démontrer la valeur de la gestion de risques Louis Harpin, vice-président, assurance aux entreprises, Québec, d’Intact Assurance, aime donner en exemple une visite qu’il a effectuée dans une microbrasserie en compagnie de l’un de ses préventionnistes.
« Le propriétaire était fier de nous faire visiter sa microbrasserie. L’endroit était nickel! Il avait un processus hygiénique extraordinaire et un excellent contrôle de la qualité. On y retrouvait quelques cuves à bière valant chacune 100 000 $, qui contenait à leur tour pour 200 000 $ de bière. »
L’endroit était éclairé par de nombreux néons. « Le préventionniste a toutefois observé que rien ne les protégeait. Il a alors fait remarquer au microbrasseur que si un néon explosait et tombait dans une cuve, il serait aux prises avec une perte de 300 000 $. L’après-midi même, l’entrepreneur faisait installer des caps de plastique sur ses néons. L’endroit était moins éclairé, mais mieux protéger. C’est là la valeur ajoutée que peut amener un courtier, qu’un assureur direct ne peut offrir », dit M. Harpin.