Quand le projet de loi 30 a été déposé en juin 2023 à l’Assemblée nationale, la fin de la distribution sans représentant des produits d’assurance par les concessionnaires automobiles devait avoir lieu un an après la sanction par le lieutenant-gouverneur du Québec, selon la volonté du ministère des Finances. 

Par la suite, le projet de loi a été enterré sous plusieurs autres dans la liste des priorités du gouvernement. Ce n’est que 11 mois plus tard, soit le 1er mai 2024, que la commission des finances publiques de l’Assemblée nationale a procédé à son étude détaillée. Il n’y a pas eu de consultations particulières sur ce projet de loi omnibus. 

Parmi les changements apportés à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF), l’un des plus importants touchait la fin de la vente d’assurance sans représentant par les concessionnaires automobiles, jusque-là permise par le dernier alinéa de l’article 105 de la LDPSF. 

Six mois, puis un an 

Lors de l’étude détaillée en commission parlementaire, parmi la liste des amendements soumis par le ministre des Finances, Éric Girard, l’un d’entre eux proposait de reporter l’entrée en vigueur de ce changement à janvier 2026.

Un sous-amendement a été déposé à la fin de la deuxième séance tenue le 1er mai dernier. Le député libéral de Marguerite-Bourgeoys, Frédéric Beauchemin, a alors proposé de reporter cette échéance de six mois.

Après une pause de quelques minutes durant les travaux de la commission parlementaire, le ministre Girard a accepté le sous-amendement en le qualifiant de « compromis raisonnable ».

L’entrée en vigueur du changement a finalement été reportée à juillet 2026, soit plus de deux ans après la sanction. 

Au cabinet du ministre 

Les manquements des concessionnaires en matière de protection des consommateurs ont été documentés par l’Autorité des marchés financiers (AMF), notamment en 2023 pour le rapport le plus récent.

Le Portail de l’assurance a demandé des précisions au cabinet du ministre Girard. En quoi est-ce raisonnable d’accorder une année de plus aux concessionnaires ?

Selon la porte-parole du cabinet, Claudia Loupret, « le projet de loi tel que déposé prévoyait déjà une période de transition importante pour aider les assureurs à adapter leurs pratiques et développer un réseau de distribution, maintenant ainsi l’offre du produit. » 

Concernant le compromis intervenu entre l’opposition et le gouvernement qui accorde six mois supplémentaires avant l’entrée en vigueur de la loi, « il est fréquent que des amendements en lien avec les délais d’application soient proposés lors de l’étude détaillée de projets de loi de la sorte », indique Mme Loupret. 

Dans les deux prochaines années, est-ce que l’Autorité aura les coudées franches pour intervenir afin d’assurer le respect de la LDPSF par les concessionnaires ? « D’ici 2026, l’AMF aura effectivement les pouvoirs requis pour intervenir lorsque nécessaire », précise-t-elle. 

Les concessionnaires 

Lors de la motion proposant l’adoption du projet de loi 30 par l’Assemblée nationale, le 8 mai dernier, selon la version préliminaire du Journal des débats, il a été question de la fin de la distribution sans représentant par les concessionnaires. 

La députée libérale de D’Arcy-McGee, Élisabeth Prass, énumère quelques suggestions faites par la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ) pour corriger les manquements dénoncés par l’Autorité. 

« Les concessionnaires sont bien conscients que certaines pratiques allaient trop loin et qu’un meilleur encadrement est nécessaire », indique-t-elle. Les commerçants se disaient même prêts à limiter leurs profits à cet égard et à se faire imposer un plafond de leurs commissions, selon ce que rapportait la députée Prass. 

L’introduction d’un régime de certificat restreint ou équivalent était aussi proposée par la CCAQ pour le directeur commercial d’un concessionnaire. « Bien que la majorité d’entre eux travaillent correctement et selon les directives des assureurs, nous convenons que l’essentiel des pratiques problématiques ayant mené aux modifications proposées dans le projet de loi 30 est causé par les stratagèmes de certains directeurs commerciaux », souligne la députée. 

À défaut d’introduire un certificat restreint, la CCAQ suggérait qu’une formation obligatoire soit imposée aux directeurs commerciaux. « Nous considérons qu’il est bien malheureux que l’Autorité des marchés financiers ne partage aucune statistique sur les signalements qu’elle reçoit et nous laissant incapables de pouvoir redresser les pratiques problématiques », note Mme Prass en citant les propositions de la CCAQ. 

Toujours selon la députée, le versement annuel de la prime d’assurance crédit (VSPED) posait problème à la CCAQ, car bien des consommateurs ne seront pas en mesure de l’acquitter, en raison des coûts de plus en plus élevés des véhicules automobiles. Les concessionnaires proposaient de hausser le délai de résiliation sans frais des polices par les consommateurs à 30 jours. 

Ils suggéraient aussi d’imposer l’obligation aux créanciers d’ajuster immédiatement la mensualité des débiteurs en cas de résiliation d’une police d’assurance. 

La CCAQ, par l’entremise de la députée Prass, a tenu néanmoins à remercier le ministre des Finances qui a reporté l’entrée en vigueur de la mesure au 1er juillet 2026. 

L’assureur dominant 

Le Portail de l’assurance a demandé à Industrielle Alliance Assurance auto et habitation de réagir à ce changement concernant la distribution sans représentant. L’assureur est le joueur dominant dans le marché de la garantie de remplacement (FPQ #5). 

Le porte-parole Pierre Picard a transmis ce commentaire par courriel : « Comme à l’habitude, nous verrons à nous conformer à tout changement législatif ou réglementaire. »

« Nous allons prendre le délai de mise en œuvre inclus dans la Loi pour adapter notre offre de produits à ces nouvelles exigences. Nous demeurons engagés à continuer à servir nos partenaires et nos clients dans ce marché avec des produits de qualité qui répondent à de réels besoins », conclut M. Picard. 

Nouveau produit chez Intergroupe 

Quelques semaines auparavant, le Portail s’est entretenu avec Bernard Laporte, président d’Intergroupe. Ce dernier disait attendre avec impatience les changements promis concernant la vente de l’assurance de remplacement. 

La bannière travaille depuis plusieurs années an à créer un programme offrant cette garantie FPQ #5, qui sera distribuée par les courtiers.

L’assureur qui couvre le produit offert par Intergroupe est la Compagnie d’assurance de l’Île-du-Prince-Édouard (ICPEI). 

La bannière a obtenu une délégation de souscription. La plateforme de souscription est prête. Le financement de la prime est conclu avec Imperial PFS et cela peut se faire pour un terme variant d’un an à cinq ans. 

Certains courtiers affiliés à la bannière ont déjà commencé à vendre cette assurance de remplacement.

Selon M. Laporte, le grossiste CIME, filiale d’Intact Corporation financière, couvre déjà environ 55 M$ en produits d’assurance de remplacement vendus par des représentants certifiés.

« Nous ne sommes pas là pour leur faire concurrence. On veut élargir le marché », dit-il. Selon lui, il y a de l’espace pour qu’au moins la moitié du marché actuellement détenu par les concessionnaires se transige désormais par le réseau de courtage. Ce marché est d’environ 150 M$ en volume de primes.

« Sur cette moitié, si on arrive à en prendre 20 %, je serai très content », ajoute M. Laporte. 

Intergroupe a déjà approché des concessionnaires afin que le produit soit désormais offert par les courtiers. « Notre approche est très simple. On leur dit : vous allez tout perdre, alors prenez une entente avec nous. » 

Au moment de notre entretien, on ne savait pas que la fin de la distribution sans représentant par les concessionnaires entrerait en vigueur plus de deux ans plus tard, soit en juillet 2026.