À l’instar du marché du camionnage, le marché de l’assurance des copropriétés se resserre depuis maintenant plusieurs années. Des assureurs délaissent le segment, qui peine à atteindre un seuil satisfaisant de rentabilité. D’autres resserrent leurs critères de souscription pour ne couvrir que les immeubles n’ayant pas connu de dommages causés par l’eau.
La réforme de la législation en matière de copropriétés était réclamée et attendue depuis plusieurs années : la première mouture date des années 60. C’est là que le projet de loi 141, et 150 avant qu’il ne soit abandonné et que certaines dispositions soient transférées à d’autres projets de loi faute de temps pour l’adopter, entre en scène.
Les mesures de ces projets de loi entourant l’assurance des copropriétés ont généralement été bien accueillies de la part de l’industrie. Tous se réjouissaient des nouvelles règles qui permettraient aux syndicats de copropriété d’être en meilleure santé financière et de mieux faire face aux imprévus.
Des années avant de voir les résultats
Or, malgré les bonnes intentions du législateur, l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles n’améliorera pas la performance ou les perspectives du secteur de l’assurance des copropriétés à court terme, indique Pierre Gravel, courtier spécialisé dans ce segment chez Lussier Dale Parizeau.
« Cela va prendre quelques années. Les assureurs analyseront ensuite le marché pour voir la rentabilité pour déterminer leur appétit en fonction de leur analyse. S’ils réalisent qu’il y a une rentabilité, ils démonteront un meilleur appétit pour couvrir le secteur », affirme-t-il.
Maurice Charbonneau, du cabinet Charbonneau, avocats conseils, se montre plutôt optimiste. « Cela ne va pas tuer le marché. Les modifications vont, au contraire, amener les assureurs à améliorer leurs pratiques. Seulement, ils doivent offrir un produit d’assurance conforme. »
Les syndicats doivent faire leur part
Les syndicats de copropriété devront aussi faire preuve d’une meilleure discipline, nuance Yves Joli-Cœur, avocat émérite au cabinet De Grandpré Joli-Cœur et fondateur du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ).
Car trop longtemps, la prévention a été négligée. Maintenant, « il faut faire de la gestion de risque avec les syndicats de copropriété et les copropriétaires. Travailler avec eux pour éliminer les sinistres. Être proactif et faire des recommandations, des inspections, des choses que les assureurs n’ont pas faites », expose M. Gravel. Aujourd’hui encore, il estime que 90 % des réclamations en copropriété sont liées aux dégâts d’eau.
Chez Lussier Dale Parizeau, la procédure veut qu’avant de servir une copropriété, une évaluation du bâtiment doit être faite pour en déterminer la valeur à neuf. Le cabinet exige aussi que le bâtiment soit assuré en totalité, une pratique que tous les courtiers n’ont pas. « Il arrive parfois de voir des bâtiments qui ne sont assurés qu’à 70 % de leur valeur parce que le secteur de l’assurance des copropriétés est en crise et que les courtiers sont incapables de placer le risque », relate M. Gravel.
Un projet de loi pas assez audacieux
Plusieurs considèrent d’ailleurs que le projet de loi 141 ne va pas assez loin pour améliorer le secteur. C’est le cas de M. Gravel. Selon lui, plusieurs trous restent à être colmatés.
« Il reste à savoir comment le marché de la copropriété réagira [aux nouvelles règles] », commente à son tour Me Joli-Cœur. En plus de ne pas préciser qui devrait être nommé fiduciaires d’assurance, de ne pas déterminer ce qu’est une « perte importante », la nouvelle loi ne prévoit aucune disposition spécifique relative aux assurances des copropriétés par phases, « en dépit des particularités de ce type de copropriété de plus en plus fréquent sur le marché de la construction à destination résidentielle ou mixte », déplore-t-il.
Si adopté tel quel, le projet de loi 16, qui encadre notamment les normes de construction et qui prévoit une étude du fonds de prévoyance, ajoute une couche de protection pour les syndicats de copropriété. « Il contribuera à réduire les risques de sinistralité en copropriété, explique Me Joli-Cœur. L’étude du fonds de prévoyance et du carnet d’entretien qui deviendraient obligatoires en vertu du projet de loi 16 […] permettrait de prévoir, en amont, les sommes requises pour les travaux à être engagés dans un immeuble. Nous avons constaté, à plus d’une reprise, que des sinistres auraient pu être évités si les travaux n’avaient pas été retardés faute de savoir et de moyens financiers. »
Les franchises sont-elles conformes au Code civil du Québec ?
Si les changements législatifs n’améliorent pas le sort du secteur de l’assurance des copropriétés, les dispositions de la nouvelle loi entourant la franchise des polices des syndicats de copropriétés viennent colmater une faille entre les pratiques des assureurs et le Code civil du Québec.
Un jugement récent traitant notamment de la question a mis en lumière cette incongruité. Bien que le litige porte sur le droit de subrogation, le juge Daniel Dortélius de la Cour du Québec s’est posé la question suivante : « Est-il conforme au Code civil du Québec pour un syndicat de copropriété d’assurer l’immeuble avec une police comportant une franchise […] ? ».
En ce qui concerne cette partie de la question, le juge n’en vient pas à une conclusion claire. « Les défendeurs plaident avec insistance que l’article 1073 du Code civil du Québec impose l’obligation au syndicat d’assurer la totalité de l’immeuble contre les risques usuels. Il s’agit d’une obligation d’ordre public, dans l’objectif de protéger les copropriétaires en cas de sinistre et d’assurer la préservation de l’immeuble. Ils plaident que l’ajout d’une franchise contrevient à cette obligation. Cet argument des défendeurs n’est pas dénué de fondement », écrit-il.
Couvrir le bâtiment entier
En effet, l’article 1073 du Code civil du Québec stipule qu’un syndicat de copropriété « […] doit souscrire des assurances contre les risques usuels, tels le vol et l’incendie, couvrant la totalité de l’immeuble, à l’exclusion des améliorations apportées par un copropriétaire à sa partie. Le montant de l’assurance souscrite correspond à la valeur à neuf de l’immeuble […] ».
Or, une franchise est un montant que doit payer l’assuré lors d’une réclamation. Selon les juges, ce montant représente ainsi une partie non assurée du bâtiment, faisant en sorte que le syndicat ne répond pas entièrement à son obligation.
Comment une telle faille a-t-elle pu perdurer aussi longtemps ? Difficile à dire, selon Me Joli-Cœur. « Pour l’instant, le Code civil du Québec ne prévoit aucune franchise en matière d’assurance pour copropriétaires. L’article 1073 ne parle que d’une assurance pour la “valeur à neuf” d’un immeuble. C’est donc dire que cet article n’est pas vraiment respecté à la lettre, car les assureurs n’offrent aucun produit qui ne soit pas assorti d’une franchise. »
Les franchises présentes depuis toujours
Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) souligne que, malgré la position du juge Dortélius et de Me Charbonneau et Me Joli-Cœur, les contrats d’assurance ont toujours été assortis de franchises. « C’est un levier à la prévention qui permet de responsabiliser le propriétaire et d’atténuer le risque. La franchise a un impact sur la prime qui est exigée », indique Pierre Babinsky, directeur des communications et des affaires publiques de l’organisme. Il ajoute que les nouveaux articles du Code civil du Québec font explicitement référence à la franchise du syndicat de copropriété.
En effet, la nouvelle loi, qui modifie notamment le Code civil du Québec, stipule que les assureurs devront établir une franchise raisonnable. La définition d’une franchise raisonnable sera déterminée par voie de règlement, qui lui n’est pas encore connu. Le législateur a jusqu’en juin 2020 pour le publier et jusqu’en 2021 pour le mettre en application.
« Le gouvernement va avoir beaucoup de difficulté à imposer aux assureurs une franchise raisonnable », croit M. Gravel.
« L’industrie s’adapte toujours »
M. Babinsky rappelle toutefois que « l’industrie adapte toujours ses pratiques aux exigences de la règlementation ». Il ajoute ne pas pouvoir commenter davantage puisque la règlementation à cet égard n’est pas connue.
C’est donc dire que l’impact de ces franchises raisonnables, tant sur les syndicats de copropriétés que sur les assureurs, pourra uniquement être évalué que lors de la publication du projet de règlement traitant de la question.
Me Charbonneau soutient que l’objectif des changements entourant les franchises doivent accomplir le même objectif qu’avait l’article 1073 du Code civil du Québec : que 100 % des liquidités soient disponibles pour couvrir le cout de reconstruction d’un immeuble. « On peut avoir une franchise raisonnable, mais l’argent doit se trouver ailleurs. On ne peut pas devoir quêter de l’argent aux copropriétaires par l’entremise de cotisations spéciales pour la financer », dit-il.