Au Québec, une seule action collective a pour l’instant été autorisée concernant la garantie couvrant les pertes d’exploitation associées à l’interruption des activités causée par la pandémie de COVID-19.
Dans sa décision en première instance rendue en août 2021, le juge Thomas Davis de la Cour supérieure du Québec concluait que les questions en litige dans l’action collective menée par la Clinique dentaire boulevard Galeries d’Anjou contre L’Unique Assurances générales méritaient d’être débattues.
Le juge ajoutait que leur mérite n’avait pas à être déterminé au stade de l’autorisation. « Est-ce que le vocabulaire de la police de L’Unique, lue dans son ensemble, est suffisamment clair pour permettre au tribunal de trancher la question de la couverture à ce stade ? »
« Il est donc important de souligner que la police ait recours au concept de dommage physique pour certaines garanties, mais non pas pour l’assurance contre les pertes d’exploitation », précise le tribunal au paragraphe 34 du jugement.
Le juge Davis estime que la police d’assurance de L’Unique comporte des ambiguïtés qui permettent de conclure qu’un dommage aux biens de l’assuré n’est pas requis, si les biens ont été atteints par un sinistre.
Le tribunal rappelle les conclusions de la Cour suprême en 1993 où l’on précisait que le libellé de la police doit être interprété de façon large concernant les dispositions de la garantie et de façon restrictive pour les clauses d’exclusion. Le même principe a été répété dans la décision Progressive Homes c. Lombard en 2010.
« Les ambiguïtés dans la rédaction de la police d’assurance de L’Unique font en sorte que l’étendue de la couverture en matière de perte d’exploitation ne peut pas être décidée sans un regard vers la vraie nature de la police, soit “la base des réclamations”, soit “la base des événements” », notait le tribunal au paragraphe 44.
Pour la garantie sur les pertes d’exploitation, la police de L’Unique ne réfère pas aux biens se trouvant sur les lieux, contrairement aux contrats visés par d’autres cliniques dentaires avec d’autres assureurs et qui ont été l’objet d’autres décisions rendues le même jour par le juge Davis.
En novembre 2021, la Cour d’appel a refusé la requête sur permission d’en appeler de la part de l’assureur.
La demande introductive
Le Portail de l’assurance a joint les procureurs du cabinet du cabinet Kugler Kandestin, qui mène l’action collective des dentistes contre l’assureur L’Unique. La demande introductive d’instance a été déposée en Cour supérieure le 19 janvier 2022. Le Portail de l’assurance en a obtenu une copie. Celle-ci étant en anglais, une traduction est proposée par le Portail.
Le formulaire de l’assureur précise ainsi la nature et l’étendue de la couverture : « Cette garantie couvre la perte de revenus découlant directement de la diminution ou de l’interruption des activités de l’assurée causée par un sinistre couvert et qui touche les biens décrits à la section Déclarations. »
Dans cette section, l’assureur indique simplement ceci : « Activité couverte : clinique dentaire. »
On précise dans la requête introductive que la police multirisque de L’Unique prend effet lorsque l’assurée peut démontrer les faits suivants :
- la perte des revenus ;
- cette perte découle directement de la réduction ou de l’interruption des activités ;
- la cause est un dommage assuré qui n’est pas expressément mentionné dans les exclusions de la garantie ;
- le sinistre a endommagé les biens assurés décrits dans les Déclarations.
Aucune mention des dommages matériels n’est précisée dans la police, selon la requête des demandeurs. Ceux-ci précisent que dans le cas de la garantie en interruption des affaires prévue dans la police bris d’équipements, la preuve des dommages matériels aux biens couverts est requise pour démarrer la couverture.
Autres produits
Les demandeurs soulignent à titre comparatif que la police émise par La Capitale (maintenant Beneva) comprend cette distinction des dommages matériels directs causés par un sinistre couvert par la garantie en interruption des activités. Ils soulignent aussi que L’Unique a inscrit la contamination par les maladies infectieuses parmi les exclusions prévues dans d’autres contrats, dont sa police d’assurance habitation.
Les demandeurs soulignent la distinction pour expliquer l’intérêt des cliniques dentaires à souscrire le produit offert par L’Unique qui couvre l’interruption des activités tant que les biens couverts sont touchés par le sinistre, « ce qui est le cas de la plaignante et des autres membres de l’action collective ».
Toujours selon la requête, dès le 17 mars 2020, le président de l’Association des chirurgiens dentistes du Québec a exprimé son désaccord à l’égard du refus de couverture de L’Unique.
Durant le premier confinement qui a eu lieu du 16 mars au 31 mai 2020, la clinique dentaire et demanderesse a pu s’occuper seulement des procédures urgentes. En utilisant le formulaire de l’assureur, elle estime ses pertes à près de 342 000 $. Elle réclame aussi des dommages compensatoires de 5 000 $ pour chacun des membres du groupe.
Selon Me Jérémie Longré, l’un des procureurs des demandeurs, les parties tentent toujours d’établir l’échéancier des prochaines étapes dans le dossier, mais aucune date n’a été fixée pour le débat sur le fond du litige.
Deux autres recours
Par ailleurs, l’avocat Laurent Debrun, du cabinet Spiegel Sohmer, menait trois actions collectives distinctes au nom de restaurateurs. Dans le dossier de Restaurant Bâton Rouge (9369-1426 Québec inc.) contre l’assureur Allianz, le juge de première instance Gary Morrison avait envoyé les parties en arbitrage, comme le prévoyait leur contrat. Cette décision rendue le 14 janvier 2021 a été maintenue par la Cour d’appel le 26 octobre 2021.
Dans le deuxième recours intenté par la chaîne de restaurants 21 st Century Foods contre l’assureur Intact, Me Debrun confirme au Portail de l’assurance que la demanderesse entend se désister, en raison de la décision de la Cour d’appel dans un autre dossier, celui d’une clinique dentaire contre le même assureur. Le juge de première instance concluait qu’un dommage matériel aux biens assurés était nécessaire pour que la couverture en interruption des affaires s’applique. La Cour d’appel a rejeté la requête en appel.
Le troisième recours toujours actif est l’action collective menée par le restaurant L’Académie (9391-2186 Québec inc.) contre les assureurs Aviva, Everest, La Souveraine et HDI Global Security. Me Debrun indique qu’il a bon espoir de pouvoir soumettre sa demande d’autorisation à l’automne 2022.
Le 15 octobre 2021, le juge Morrison a rejeté la requête des procureurs des assureurs qui voulaient suspendre les actions collectives menées par les restaurateurs, dont ceux représentés par Me Debrun, en raison du précédent de l’action collective intentée par Buzzfit. Selon le juge Morrison, il était trop tôt à ce stade de la demande d’autorisation pour jumeler les actions collectives au Québec.
Autre poursuite
Par ailleurs, le cabinet Dunton Rainville mène aussi un recours pour 26 coopératives étudiantes des collèges et universités du Québec contre l’assureur Co-operators. La poursuite a été déposée le 29 mars dernier et a été rendue publique 10 jours plus tard.
Les demandeurs reprochent à l’assureur d’avoir refusé leurs réclamations pour les pertes financières subies en raison des circonstances liées à la pandémie de COVID-19.
Les procureurs des coopératives étudiantes n’ont pas donné suite aux demandes d’information du Portail de l’assurance.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition de septembre 2022 du Journal de l'assurance.