Doublement menacées par la faiblesse des taux d’intérêt et l’augmentation de l’espérance de vie de leurs employés, certaines entreprises canadiennes cherchent actuellement à transférer à une société d’assurance, en tout ou en partie, les risques liés à leur régime de retraite à prestations déterminées (PD).

Nos sociétés d’assurance vie, elles, espèrent que ce marché relativement nouveau, qui mise sur une « approche de réduction des risques » (c’est-à-dire de transfert du risque), devienne un maillon florissant de leurs activités. Elles comptent ainsi non seulement vendre les rentes nécessaires au maintien de fonds de retraite, mais aussi leurs compétences en placement.

« Il s’agit incontestablement d’un marché en hausse ; en fait, c’est carrément un secteur en croissance », affirme Brent Simmons, directeur général principal, solutions prestations déterminées, régimes collectifs de retraite, à la Financière Sun Life.

De nos jours, les retraités vivent plus longtemps, les régimes regroupent davantage de membres à la retraite que de travailleurs actifs, et les placements ne procurent pas les rendements prévus, notamment à cause de la faiblesse des taux d’intérêt. Conséquence ? Un certain nombre de régimes de retraite tombent en situation de déficit. Dans quelques cas, des fonds destinés à l’expansion des marchés servent plutôt au provisionnement du régime de retraite, ce qui se répercute nécessairement sur les résultats de l’entreprise.

« Nous approchons du moment où des employeurs devront fermer leurs portes, faute de pouvoir provisionner leurs engagements de retraite », estime Clark Steffy, vice-président régional des ventes pour l’Ontario, les Maritimes et l’Ouest du Canada, à l’Industrielle Alliance.

Les hauts dirigeants de certaines sociétés cotées en Bourse trouvent qu’ils consacrent beaucoup de temps à expliquer aux investisseurs et analystes que la faiblesse de leur bénéfice par action n’est pas liée à l’activité principale de l’entreprise, ni à sa clientèle ou ses produits, mais bien aux problèmes financiers de leur fonds de retraite, dit M. Simmons.

Important casse-tête

« Tenus d’honorer leurs engagements en matière de retraite, les employeurs qui ont un régime de retraite à prestations définies ont depuis quelques années tout un casse-tête devant eux, explique M. Simmons. Or, les gestionnaires sont bien plus intéressés à s’occuper de l’entreprise en tant que telle… Ils n’ont pas envie de se faire dire de diriger leurs actifs dans un régime de retraite pour ensuite expliquer les répercussions de ce choix sur le bénéfice par action. »

L’employeur qui retient l’approche de réduction des risques transfère à une société d’assurance, en tout ou en partie, les engagements liés à son régime de retraite. L’assureur prend alors généralement une rente destinée à respecter lesdits engagements. Les assureurs font déjà régulièrement ce genre de démarche.

« Quand on s’arrête un peu à la nature du travail des sociétés d’assurance, on voit bien qu’il consiste en fait à gérer des risques de mortalité et de longévité, résume John Aiken, analyste chez Barclays Capital. La gestion du risque de longévité d’un régime de retraite s’intègre tout à fait à ce qu’elle fait du côté de ses produits du vivant, soit de l’assurance vie et des rentes. On peut donc dire qu’elle se retrouve ainsi à simplement élargir sa structure en tentant de répondre à un besoin exprimé par le marché. »

Pour les retraités, la rente est en quelque sorte une « obligation d’épargne » par excellence, explique M. Simmons. Sun Life a d’ailleurs établi que le taux de rendement associé à ses rentes dépasse ce qu’un répondant de régime peut normalement tirer d’un portefeuille d’obligations type.

Les sociétés d’assurance ont aussi davantage de compétences actuarielles et d’économies d’échelle que le petit employeur qui gère lui-même son régime. Et elles parviennent souvent à dénicher et obtenir des placements plus rentables.
Selon M. Simmons, la Sun Life dispose en outre d’un « ingrédient secret » : c’est l’instigatrice de l’un des fonds d’infrastructure les plus imposants qui soient au Canada. « Comme nous voyons passer de superbes aubaines en matière d’infrastructures, nous pouvons partager une partie du rendement avec les répondants de régime ou les employeurs et, ce faisant, leur procurer de meilleurs résultats que ce qu’ils toucheraient autrement. »

À l’étranger, l’approche de réduction des risques constitue un secteur florissant, depuis quelque temps déjà. En Grande-Bretagne, le marché a grimpé en flèche, passant en quelques années seulement d’environ un milliard à dix-milliards de livres, dit M. Simmons.

Le phénomène a récemment pris de l’importance aux États-Unis, à la suite de deux importantes transactions. En juin dernier, General Motors a annoncé son intention de réduire ses engagements de retraite de 26 milliards de dollars américains. Comment ? En transférant l’ensemble des actifs et engagements liés au régime de retraite de son personnel salarié (soit tous ceux qui n’ont pas souscrit à un montant forfaitaire) à Prudential, pour faire ensuite l’acquisition d’un contrat de rente collectif. De son côté, la société Verizon Communications annonçait, en octobre, qu’elle allait transférer 7,5 millions de dollars en obligations de retraite, aussi à Prudential. Elle s’est ainsi dégagée du quart de ses engagements à long terme liés au régime de retraite de ses employés.

Au Canada, l’approche de réduction des risques se trouve « au coin de la rue », estime M. Simmons. Le marché canadien représente près de 1,5 milliard de dollars, mais il croit qu’il connaitra au cours de 2013, un essor similaire à celui qui est survenu en Grande-Bretagne.

En 2011, Sun Life a conclu le plus gros transfert de risques de toute l’histoire canadienne : 400 millions de dollars (M$) en avoirs de retraite liés à 2 000 souscripteurs. L’assureur a ainsi repris l’ensemble du régime – de son administration à la gestion du portefeuille, en passant par l’envoi de relevés fiscaux et la transmission de l’information aux employés. Cette année-là, l’approche de réduction des risques a globalement représenté 750 M$ en avoirs de retraite à la Sun Life, dit M. Simmons. L’assureur s’attend à des résultats similaires en 2012.

Forte croissance à venir

Clark Steffy souligne que l’Industrielle Alliance, actuellement en pourparlers au sujet d’un certain nombre de régimes de retraite, confirme que les années à venir devraient entrainer une croissance importante du marché de l’approche de réduction des risques, particulièrement du côté des petits régimes de retraite, qui assument un risque de mortalité plus important du seul fait de leur taille.

La plupart des grands régimes de retraite – ceux qui gravitent dans les environs du 100 M$ – nomment des sociétés de fiducie à titre de dépositaires. « Dans le cas d’un régime de moindre envergure, il est préférable de faire affaire avec une société d’assurance : on a ainsi accès à différents gestionnaires de fonds, et il est plus aisé de passer de l’un à l’autre », dit-il.

Certaines entreprises qui offrent un régime à prestations déterminées craignent d’être contraintes par la loi de financer leur déficit si elles concluent un rachat total auprès d’un assureur. Voilà une situation qui pourrait s’avérer fort couteuse.

« Nous cherchons donc des façons de permettre aux entreprises de se défaire de leur régime PD d’une manière plus appropriée, dit M. Steffy. Par exemple, si les taux d’intérêt font un léger bond, il y aura des possibilités de gains dont nous souhaitons profiter pendant qu’elles existent. C’est le genre d’intervention qu’une petite entreprise peut difficilement réaliser, tandis que nous, nous sommes en mesure de mettre en place un mécanisme qui saisira automatiquement ces possibilités avant qu’il ne soit trop tard. La plupart des comités de retraite ne peuvent pas agir aussi promptement. »

La bonne stratégie

Certes, il y a des employeurs qui confient tout le fonctionnement de leur régime de retraite à des assureurs. Cependant, d’autres stratégies existent. « Nous arrivons en proposant une démarche très personnalisée, explique M. Steffy. Dans certaines entreprises, l’approche de réduction des risques peut se limiter à atténuer ou estomper le risque ; c’est d’ailleurs bien souvent l’intention initiale. On souhaite par la suite se protéger du risque lié aux marchés boursiers en passant aux titres à revenu fixe. Ensuite, on se dégage du risque de taux d’intérêt en alignant les échéances du portefeuille d’obligations sur le passif du régime. Enfin, si les gestionnaires souhaitent éviter le risque de longévité, on peut acheter des rentes. Bref, on peut tout autant n’apporter que des modifications mineures que se blinder entièrement contre le risque. »

Les compagnies d’assurance disposent d’un certain nombre d’outils, notamment le rachat de contrat collectif, grâce auxquels les entreprises se protègent non seulement des risques d’intérêt et des marchés boursiers, mais aussi du risque de longévité. Dans le cas d’un rachat, une partie du risque est transférée à l’assureur, mais le répondant du régime de l’employeur peut continuer d’en assurer la gestion, parallèlement à une meilleure stabilité des couts dudit régime, précise M. Steffy. Souvent, on fera l’acquisition de rentes de façon progressive, selon une trajectoire permettant de profiter des gains procurés par les taux d’intérêt. Sur le plan comptable, les actifs de l’employeur maintenus dans son régime de retraite font alors partie des placements, si bien qu’il n’est pas nécessaire de combler immédiatement les déficits potentiels.

Dans la plupart des provinces, un rachat signifie généralement que l’on procède à un transfert en bonne et due forme en vertu duquel le régime est en quelque sorte liquidé. Dans un tel cas, il y a des incidences comptables.

Le Bureau du Surintendant des institutions financières a récemment autorisé les rachats de régimes collectifs de retraite sous règlementation fédérale. Les régimes sous règlementation provinciale n’ont pas encore obtenu une telle autorisation.
En juillet 2012, la firme Aon Hewitt a publié l’étude d’un régime ayant appliqué quelques stratégies très simples de réduction des risques à partir du début de 2011. Ces stratégies consistaient notamment à accroitre les investissements en obligations, les faisant passer de 40 % à 60 % du portefeuille, et à investir dans des obligations à plus longue échéance, afin que les réserves correspondent au passif du régime. Résultat ? « Un régime ainsi rééquilibré aurait présenté au 30 juin 2012 un ratio de solvabilité de 75 %, comparativement aux 66 % d’un régime médian », affirme Aon Hewitt.

Pour se libérer du risque, les régimes de retraite paient une prime calculée selon divers critères, explique M. Aiken. On tient compte, notamment, des frais liés à la gestion des placements en tant que tels. Or, comme dans le cas de toute rente, la gestion du risque de longévité a aussi un cout.

Ce nouvel apport de travail commence à modifier le bilan des compagnies d’assurance, sans toutefois avoir d’impact significatif pour l’instant, car il s’agit d’une réalité trop récente, dit M. Aiken.

S’il reconnait que l’approche de réduction des risques est généralement liée aux régimes à prestations déterminées, M. Steffy affirme que certains régimes à cotisations déterminées songeraient eux aussi à y recourir.

Interrogé sur l’avenir, M. Simmons affirme attendre avec impatience la prochaine conclusion d’un « méga » contrat : « Nous avons bon espoir et toutes les raisons de croire que 2013 sera pour nous une année charnière. »