Les sociétés d’assurance ont accusé la faiblesse actuelle des taux d’intérêt d’être la cause de l’augmentation du prix des contrats de produits garantis de longue durée, voire de la disparition de certains produits. Est-ce dire que la situation changera si les taux d’intérêt finissent par augmenter?C’est la question à laquelle Mary Grant, vice-présidente, initiatives stratégiques et financières, de la division canadienne de Financière Manuvie, a tenté d'apporter des pistes de réponse lors du Congrès 2012 de l’assurance et de l’investissement, tenu à Montréal, en novembre.

« La chose n’arrivera que si les assureurs se mettent tous à souffrir d’une étonnante «amnésie entrepreneuriale», a-t-elle avancé. Car même si les taux d’intérêt se remettent à grimper, je crois bien que l’industrie canadienne de l’assurance s’intéressera désormais à d’autres produits. »

Le tout est essentiellement imputable à la volatilité des marchés. « Au cours des deux dernières années, les compagnies d’assurance vie ont bien vu qu’elles ne pouvaient pas deviner le comportement des taux d’intérêt. »

Par exemple, si les taux d’intérêt se bonifient pour monter jusqu’à 8 %, ce serait une grave erreur que de proposer des produits permanents, sur la présomption que ce taux ne changera jamais. « Si le taux retombe ensuite à 3 %, le titulaire de police aura obtenu une véritable aubaine, mais la compagnie d’assurance subira des pertes colossales », dit-elle. « On ne peut pas vraiment dire que les taux d’intérêt sont intéressants en ce moment. Il faut s'en préoccuper. Chose certaine, ils nous causeront des inquiétudes s’ils baissent encore. On aura en effet signé une tonne de contrats qui, finalement, se retrouveront exposés à une instabilité extrême et qui, dans les faits, auront été sous-évalués. »

Lors de sa conférence, Mme Grant a démontré de façon détaillée que les calculs de provisionnement actuels engendrent une instabilité de la situation financière des sociétés d’assurance. Par exemple, les taux d’intérêt qui doivent être appliqués au calcul des réserves sont ceux qui prévalent à la dernière minute du dernier jour de chaque trimestre. Si les taux fluctuent, cela provoque nécessairement de la volatilité, si bien que les résultats d’un assureur peuvent afficher des bénéfices d’envergure à la fin d’un trimestre, puis des pertes au suivant. Voilà un peu pourquoi les produits de longue durée – qui nécessitent des réserves importantes afin de pouvoir être garantis – présentent moins d’attrait pour les compagnies d’assurances.

Questionnement

« Nous sommes dans une situation où elles doivent se demander sérieusement si elles veulent tel ou tel produit ou genre de risque dans leurs registres – et pas seulement aujourd’hui, mais aussi plus tard, d’où la dichotomie actuelle. D’une part, des compagnies continuent d’offrir des produits de longue durée entièrement garantis tout en haussant les primes, tandis que, d’autre part, certains assureurs affirment haut et fort qu’ils ne veulent rien savoir de ces produits, peu importe le prix auquel ils pourraient les vendre. »

Devant cette volatilité, Mme Grant pense que les produits entièrement garantis de demain seront assortis d’une durée moins longue que ceux d’aujourd’hui.

Dans le cas des produits garantis, certains assureurs pourraient tenter d’en vendre moins de longue durée, par exemple ceux qui arrivent à échéance à 60 ou 65 ans au lieu d’être viagers, illustre-t-elle. Ou encore, on pourrait chercher à offrir des produits ajustables : certains pourraient alors augmenter leurs prix, jusqu’à une certaine limite, pour avoir l’assurance de demander un prix proportionnel au risque engagé.

Parallèlement, certains assureurs viennent de se retirer de la vente de produits de longue durée garantis, notamment l’assurance temporaire 100 ans, l’assurance vie universelle et l’assurance maladies graves, pour se concentrer sur les produits ajustables et de plus courte durée.

« Au Canada, notre industrie est en quelque sorte à un tournant. Je crois que c’est vraiment le cas; il y a d’ailleurs des compagnies qui ont fait l’un ou l’autre de ces choix. On voit des assureurs qui disent : «Si c’est garanti, je vais faire payer plus cher, et plus cher encore», tandis que d’autres vont carrément se retirer et annoncer qu’elles n’en vendront pas. » Pour ce qui est du risque d’investissement, lui aussi source d’instabilité des résultats financiers, on voit que les assureurs cherchent à l’atténuer sur le plan des fonds distincts. Les fonds distincts qu’ils proposent sont maintenant liés à un risque d’investissement moindre, assortis d’une garantie réduite et organisés de manière à couvrir le risque de marché, tout en étant jumelés à un prix qui reflète le risque pris par la compagnie et le cout des instruments financiers de couverture. « Encore là, on pourra trouver des compagnies d’assurance qui diront qu’elles ne touchent pas à cela parce que c’est trop volatil. »

Le consommateur serait-il prêt à se procurer des produits ajustables et les conseillers, à les offrir? « C’est une question à 100 000 $. La réponse dépendra de la différence de prix. Si la différence de prime n’est pas énorme, il faudra s’attendre à une problématique où les gens se tournent vers le produit garanti », dit-elle.

Toutefois, si les sociétés d’assurance fixent des prix qui tiennent compte des risques de taux d’intérêt et d’instabilité, il y aura un plus gros écart entre la prime d’un produit garanti et celle d’un produit ajustable.

Il est également possible que l’ensemble de l’industrie décide de ne plus souscrire de produits garantis. « Les compagnies d’assurance pourraient bien, chacune à leur tour, arriver à cette conclusion sans même se concerter. On ne peut pas vendre ni acheter ce qui n’est offert par personne. »