Après ING, Desjardins Assurances générales est devenu un autre poids lourd à adopter la pratique du « pointage de crédit » en souscription d’assurance de dommages aux particuliers au Québec.Pratique courante chez ING Canada depuis cinq ans, l’utilisation de la cote de crédit, souvent appelée le pointage de crédit ou credit scoring, a soulevé la controverse dès le départ en matière de protection des renseignements personnels (voir Le Journal de l’assurance, novembre 2002). Mais l’approche a continué de faire son chemin mine de rien, au point où plusieurs la considèrent maintenant comme incontournable.

Les partisans du pointage croient même que les assureurs qui ne l’adopteront pas ramasseront tous les mauvais risques. C’est que le pointage de crédit consiste à établir le prix d’une police auto ou habitation en tenant compte entre autres du profil financier du consommateur et sa stabilité quant à son lieu de résidence. Une façon jugée efficace « d’épurer » le risque.

Depuis le 28 janvier dernier, Desjardins Assurances générales a fait le saut. Tout nouvel assuré qui consent à répondre à des questions relatives à ses habitudes de paiement (factures et cartes de crédit acquittées à temps, etc.) peut obtenir une prime d’assurance auto ou habitation adaptée à son profil.

Bien que Desjardins recommande au client de se prêter au jeu, celui-ci a tout de même le choix, précise Jean Vaillancourt, premier vice-président exécutif et directeur général des opérations du Québec. « Mais advenant son refus, il n’a pas accès aux prix les plus avantageux », explique-t-il.

La pratique du pointage s’étendra également à La Personnelle, filiale d’assurance de dommages de Desjardins dédiée aux groupes.

Chez ING, les clients peuvent aussi refuser de fournir les renseignements relatifs au pointage de crédit. Dans ce cas toutefois, « on ne peut leur donner un prix dans les meilleures conditions », précise Bernard Tremblay, vice-président actuariat, région du Québec.

« Pour les gens qui ont un dossier de crédit dans la moyenne, le pointage ne change rien. » Mais pour ceux qui ont un dossier de crédit en haut de la moyenne, l’impact du pointage sera positif. Pour ceux qui ont un mauvais dossier, il sera négatif, ajoute l’actuaire.

Passage obligé

Avant de joindre les rangs des assureurs qui utilisent le pointage de crédit comme outil d’évaluation du risque, Desjardins dit avoir fait ses devoirs.

« Nos recherches démontrent que le pointage est un facteur [d’évaluation du risque] très efficace, souligne M. Vaillancourt. Si quelqu’un est prudent et rigoureux dans ses finances personnelles, il va également être prudent dans l’entretien de ses biens et dans sa conduite. » Ce qui en fait, selon Desjardins, un assuré moins susceptible de subir des sinistres.

ING se dit pour sa part entièrement satisfait des résultats accumulé depuis 2001 en matière de pointage. Ce qui n’est nullement une surprise, précise Bernard Tremblay. En fait, les résultats des assureurs américains en regard du pointage de crédit ne laissaient aucun doute sur son efficacité, constate M. Tremblay.

L’industrie devra suivre

À présent que plusieurs joueurs d’envergure ont décidé d’utiliser le pointage, l’industrie en entier va devoir suivre, croit Bernard Tremblay. Selon lui, lorsque seuls un ou deux assureurs utilisent cette méthode, le reste de l’industrie n’en pâtit pas. Par contre, quand ce sont les trois plus importants joueurs en IARD qui s’y mettent - eux qui détiennent quelque 35 ou 40% des parts de marché -, les répercussions sur les retardataires ne seront pas sans conséquence.

« Ceux qui restent vont ramasser les clients au mauvais crédit et l’expérience va se détériorer. Alors quand il y a un certain pourcentage qui utilisent un critère de sélection très significatif comme la cote de crédit, les autres n’ont pas d’autre choix que de suivre », commente M. Tremblay.

Dans un marché de l’assurance de dommages qui a totalisé 7,02 milliards$ de primes au Québec en 2004, ING et Desjardins représentent une part de 27,5% (selon les résultats financiers compilés par le Journal de l’assurance en juin-juillet 2005). Bernard Tremblay a en effet indiqué qu’un troisième joueur pratiquait le pointage systématique. Appelé à commenter, cet assureur a décliné toute entrevue.

Jean Vaillancourt abonde dans le même sens. Il croit même que les assurés qui ont une bonne cote de crédit vont peu à peu tourner le dos aux assureurs qui n’établissent pas la prime en fonction du crédit.

Chez Aviva, bien que la pratique du pointage de crédit ne soit pas encore la norme, l’assureur reconnaît y recourir de manière isolée. Aviva pense aussi que les compagnies d’assurance de dommages qui n’utilisent pas cette méthode pourraient voir leur expérience se détériorer.

Le pointage pose même un défi en termes de concurrence, admet Nathalie Guertin, vice-présidente adjointe assurance des particuliers pour le Québec. « Essayez de combattre les prix d’un assureur à trois lettres qui fait le pointage de crédit… Pour vous, la tarification est basée sur l’ensemble de la population alors que lui, il est capable de pointer le bon client. » Mme Guertin trouve en effet difficile de tarifer de façon concurrentielle dans les cas où son adversaire est en mesure de « pointer » des clients favorablement.

Malgré tout, Aviva ne pratique pas encore le pointage systématiquement. Nathalie Guertin explique ce retard par une différente culture d’entreprise. L’assureur fait des affaires d’un océan à l’autre, explique-t-elle, et ailleurs au pays, le pointage de crédit n’est pas utilisé. « Un assureur qui a à la fois un siège social et un gros volume de primes au Québec verra peut être les choses différemment », souligne-t-elle.

Pratique discriminatoire

Au Québec, les groupes de consommateurs ont été sur les dents dès le départ face à cette pratique. Aux États-Unis où elle existe depuis plus longtemps, des assureurs ont même dû faire face à des poursuites taxant le pointage de pratique discriminatoire.

Bernard Tremblay estime quant à lui que cette méthode de souscription est l’une des moins discriminatoires qui soit. Il ne peut pas y avoir discrimination, estime-t-il, puisque l’assuré a le plein contrôle sur le critère qu’évalue le pointage, soit la discipline financière.

« En assurance, on discrimine déjà les assurés selon le sexe : les femmes payent moins cher que les hommes, et c’est permis de le faire. On discrimine en fonction de l’âge : les jeunes payent plus cher que les personnes plus âgées, c’est aussi permis. S’il y a une chose sur laquelle les gens ont le contrôle, c’est bien leur discipline financière », soutient M. Tremblay.

Consultations

Chez Desjardins, on a pris les devants en rencontrant des associations de consommateurs avant l’adoption du projet. L’assureur qui compte près d’un million de clients entend bien poursuivre les démarches en ce sens auprès des associations afin de lever toute ambiguïté, souligne Jean Vaillancourt.

Mais si le pointage de crédit traîne une mauvaise réputation derrière lui depuis longtemps, c’est parce que certains assureurs s’en sont servi pour refuser d’assurer des personnes considérées « à risque », croit M. Vaillancourt. Une façon de faire auquel Desjardins n’entend pas avoir recours.

Et en ce qui a trait à la confidentialité des renseignements personnels, les deux assureurs qui utilisent le pointage de crédit sont formels : les données sont encryptées et seule une poignée d’individus ont accès à la cote attribuée au client.