La Commission d’accès à l’information donne raison à l’entreprise et refuse la transmission d’un rapport d’expert à l’assuré. Celui-ci voulait comprendre les raisons qui incitaient la compagnie d’assurance à refuser de l’indemniser.
Le demandeur, François Aubé, est propriétaire d’un immeuble assuré auprès de La Personnelle, assurances générales. À la suite d’un sinistre, sur lequel le jugement ne donne pas de détails, le demandeur réclame à l’entreprise les coûts de réfection de sa toiture.
Les parties ne s’entendent pas sur les causes du dommage à la toiture et chacune mandate un ingénieur afin d’obtenir une expertise. Le demandeur réclame que la compagnie d’assurance lui remette une copie du rapport d’ingénieur qu’elle a mandaté. L’assuré a transmis à l’assureur le rapport de son propre expert.
L’assureur refuse en affirmant que le rapport demandé est protégé par le secret professionnel de l’ingénieur. Ce refus est à l’origine de la demande d’examen par la Commission d’accès à l’information (CAI).
La décision a été rendue le 18 juin dernier par la juge administrative Geneviève Ouimet. La mésentente entre les parties en matière d’accès est examinée en vertu de l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
Le rapport caviardé
À la suite de l’intervention de la CAI en mars 2024, l’assureur a transmis le rapport demandé, tout en caviardant plusieurs extraits, en alléguant que ceux-ci sont protégés par le secret professionnel de l’ingénieur.
En prévision de l’audience, l’assureur transmet au demandeur des photographies annexées au rapport de l’ingénieur mandaté et précise qu’il ne renonce pas au secret professionnel et au privilège relatif au litige. La CAI tranche le litige en faveur de l’entreprise.
Elle conclut que les extraits caviardés du rapport de l’ingénieur mandaté par l’entreprise sont protégés par le secret professionnel prévu à l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne.
Trois critères d’analyse
Dans ses décisions, la CAI reconnaît que le droit au secret professionnel prime sur le droit d’accès. L’article 9 de la Charte précise que toute personne liée par le secret professionnel ne peut divulguer les renseignements confidentiels qui lui ont été révélés en raison de sa profession, et ce, même devant la justice.
Toutefois, la divulgation peut être autorisée par la personne qui a révélé ces renseignements ou par une disposition expresse de la loi.
Trois critères d’analyse sont utilisés par le tribunal pour déterminer si l’entreprise peut invoquer avec succès le droit au secret professionnel.
Pour satisfaire le premier critère, l’assureur doit d’abord démontrer que le professionnel concerné par l’article 9 de la Charte est tenu à cette obligation de confidentialité. Dans cette affaire, l’ingénieur est tenu au secret professionnel en vertu de l’article 60.4 du Code des professions, et également par le Code de déontologie de son ordre professionnel. L’ingénieur est légalement tenu à une obligation de silence à l’égard des renseignements confidentiels dont il prend connaissance en exerçant sa profession.
Le deuxième critère d’analyse est également satisfait. Les renseignements ont été révélés à l’ingénieur alors qu’il exerçait sa profession, soit dans une relation d’aide entre le professionnel et sa cliente, la compagnie d’assurance.
Le troisième critère est le caractère confidentiel des renseignements contenus dans les extraits caviardés du rapport en litige. La Commission « constate qu’il s’agit d’observations de l’ingénieur sur l’état de la toiture, d’une analyse des éléments observés et de son opinion sur la cause des dommages à la toiture, et ce, au bénéfice de sa cliente, l’entreprise ». Sur la base de ce même rapport, l’assureur a rejeté la réclamation et a fermé le dossier.
Les extraits caviardés doivent demeurer protégés, selon la CAI. Le bénéficiaire du secret professionnel est l’assureur et il n’y renonce pas. En raison de sa conclusion sur le secret professionnel, la juge Ouimet décide de ne pas se prononcer sur l’application du privilège relatif au litige.
Un précédent
En avril 2021, la CAI avait déjà rendu une décision inverse dans une affaire impliquant la Compagnie d’assurance Bélair. Elle avait alors ordonné à l’assureur de communiquer au demandeur plusieurs sections d’un rapport d’intervention préparé par son unité spéciale d’enquête, laquelle est composée d’experts en sinistre. Dans cette affaire, l’assuré désirait également connaître les motifs qui permettaient à l’assureur de lui refuser l’indemnité qu’il réclamait.
La CAI affirmait que le motif premier du refus de l’assureur, basé sur le privilège relatif au litige, ne s’appliquait pas au rapport d’intervention de l’expert en sinistre, car ce document n’avait pas comme objet principal de servir dans le cadre d’un litige. Le deuxième motif de refus de l’assureur était aussi rejeté.
En mars 2022, la division administrative et d’appel de la Cour du Québec a toutefois infirmé la décision de la CAI. Le tribunal concluait que la Commission avait commis une erreur de droit et avait occulté la jurisprudence « de longue date et particulièrement constante » associée au critère juridique du privilège relatif au litige. La CAI ne pouvait ordonner la communication même partielle du rapport, soulignait le tribunal.
Dans une autre affaire tranchée en juin 2024, laquelle impliquait un assureur et un client ayant essuyé un refus d’indemnisation, le tribunal avait analysé le refus motivé par le privilège relatif au litige. Durant la procédure, le juge avait ordonné à l’assureur de remettre le rapport de l’expert en sinistre aux assurés, en raison des circonstances particulières du litige et des gestes répréhensibles qui étaient reprochés aux représentants de la compagnie d’assurance.