Invité par le Cercle canadien de Montréal, le 2 juin 2025, le président-directeur général de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Yves Ouellet, a vanté son plan stratégique 2025-2029, publié le même jour. Il a de nouveau présenté ce plan au Cercle finance du Québec, le 4 juin à Québec.
Il s’agissait de rares apparitions publiques d’Yves Ouellet depuis son allocution au rendez-vous de l’AMF du 12 février 2024. M. Ouellet est entré en fonction en août 2023.
Le PDG du régulateur québécois a mis la table en rappelant que l’AMF veille au grain. « Il ne faut jamais tenir pour acquise la confiance du public, même si nous avons des institutions financières solides et un encadrement réglementaire qui est assez sophistiqué », a-t-il lancé à Montréal, devant un auditoire de 420 personnes.
Dans son plan stratégique 2025-2029, l’AMF énonce les trois grandes orientations qui la guideront durant ces cinq années :
- Renforcer l’expérience consommateur
- Agir pour un secteur financier dynamique et intègre
- Soutenir ses talents et sa performance organisationnelle
Imprévisibilité et recul de l’harmonisation
Le nouveau positionnement aux États-Unis a un impact direct et important pour le secteur financier québécois – Yves Ouellet
Yves Ouellet s’est attardé sur la politique américaine, dans un contexte géopolitique qu’il a qualifié d’exceptionnel et de sans précédent. « La politique américaine crée un climat d’incertitude au Québec, au Canada et à l’international. Surtout, elle remet en question les certitudes à l’égard de nos relations avec nos amis américains », ajoute-t-il.
Le 4 juin, le président américain Donald Trump rehaussait de 25 % ses tarifs sur les importations d’acier et d’aluminium, incluant les produits dérivés, pour les porter à 50 % au total. Un dur coup pour l’économie canadienne.
« On ne parle plus uniquement d’incertitude, mais aussi d’imprévisibilité. Le nouveau positionnement aux États-Unis a un impact direct et important pour le secteur financier québécois. D’abord, plus d’incertitude entraînera le ralentissement de l’économie. Certains experts mentionnent même le mot “récession”. Dans un tel contexte, les institutions financières risquent d’être sous pression. Les consommateurs et investisseurs vivront plus d’anxiété, et certains de la détresse. Les entrepreneurs auront plus de difficultés à lever des capitaux », craint le PDG de l’AMF.
Enfin, il pense que l’environnement réglementaire risque d’être fractionné et instrumentalisé à des fins politiques ou stratégiques. « C’est peut-être l’inversion d’une tendance très forte d’harmonisation des cadres réglementaires observés au cours des dernières années », ajoute M. Ouellet. Pour illustrer les progrès réalisés, il évoque les efforts amorcés dans les années 80 qui ont mené à l’Accord de Bâle, en réglementation bancaire, signé entre autres par les États-Unis et le Canada.
Soigner la détresse des consommateurs
À propos de la première orientation de son plan stratégique 2025-2029, soit de renforcer l’expérience des consommateurs, Yves Ouellet a dit leur accorder une très grande importance, car ils se voient offrir « des produits de plus en plus complexes ».
À l’écoute des conversations à son centre d’information, il entend que les fraudes sont de plus en plus fréquentes et diversifiées, et les montants perdus par les investisseurs de plus en plus considérables. « La détresse est très réelle et la désinformation dans les médias sociaux est un défi de taille », souligne le PDG de l’AMF. Il veut moderniser l’assistance à la protection des consommateurs. « Il est essentiel de mieux les accompagner, ajoute M. Ouellet. Il faut donner les moyens aux consommateurs et aux investisseurs de faire les bons choix financiers. »
Offrir plus de prévisibilité au secteur financier
Le PDG de l’AMF se dit à l’affût des changements climatiques, des cryptoactifs, de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle et des marchés privés (par exemple, les investissements dans la dette privée, l’immobilier et les infrastructures). Il veut identifier les menaces au plus tôt pour les modifier. « Cela implique des échanges constructifs avec nos experts, les intervenants du secteur », lance-t-il.
Nous avons clairement entendu les membres de l’industrie qui souhaitent que l’Autorité offre un plus haut niveau de prévisibilité – Yves Ouellet
Par ces échanges, l’AMF veut se montrer prévisible face à l’industrie financière. « Nous avons clairement entendu les membres de l’industrie qui souhaitent que l’Autorité offre un plus haut niveau de prévisibilité quant à l’évolution des priorités réglementaires. On comprend que c’est particulièrement important dans un contexte de grande incertitude, reconnaît M. Ouellet. Vous serez consultés pour préciser vos attentes et nous exprimer comment y répondre au mieux. ».
« Si nous sommes éventuellement amenés à poser des gestes au niveau de la réglementation, nous voudrons être prévisibles, que vous nous voyez venir », a répété Yves Ouellet au Portail de l’assurance, en marge de son allocution.
L’AMF affirmera encore plus sa volonté de sonder l’industrie en 2025. Le dialogue visera tant les sociétés que leurs représentants inscrits, et au besoin les autres régulateurs canadiens. « Tout le monde est consulté, que ce soit en assurance ou en valeurs mobilières, pour expliquer où nous en sommes. La dernière chose que nous voulons, c’est de réfléchir à nos choses en silo », insiste Yves Ouellet.
Nous aimons beaucoup ce modèle
Durant son entretien avec le Portail de l’assurance, M. Ouellet a loué la fusion de la Chambre de la sécurité financière (CSF) et de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD). Celle-ci ira de l’avant puisque le projet de loi 92 (PL-92) a été adopté le 3 juin et sanctionné le 4 juin.
« Nous aimons beaucoup ce modèle. C’est tellement proche », a-t-il dit en faisant référence au rôle pancanadien de l’Organisme de réglementation des investissements (OCRI), auquel la CSF déléguera ses pouvoirs en épargne collective à la faveur du PL-92. « La fusion vient simplifier la vie, avec moins d’organismes pour le consommateur et les gens du secteur financier », dit-il.
Cette fusion ne changera rien au rôle de l’AMF, ajoute Yves Ouellet. « Nous superviserons la Chambre de l’assurance et l’OCRI comme nous le ferions pour n’importe lequel autre organisme d’autoréglementation », souligne-t-il.
M. Ouellet en appelle à la collaboration pour « s’assurer que ce projet de loi puisse connaître du succès, comme tout le monde semble le souhaiter ». « Je pense que nous trouverons la voie de passage à l’intérieur de ces paramètres », poursuit-il.
Dans un communiqué daté du 4 juin, l'AMF précise que la CSF et la ChAD seront fusionnées au sein de la Chambre de l'assurance 30 jours après la sanction de la loi, à l'exception des responsabilités envers les représentants en épargne collective et en plans de bourses d'études. Le régulateur ajoute qu'elles seront retirées à la Chambre de l'assurance au plus tard 13 mois après la sanction de la loi.