Exister légalement et connaitre clairement leurs responsabilités. C’est ce que veulent les agents généraux québécois. C’est ce qui ressort des réponses qu’ils ont soumis au Conseil canadien des responsables de la règlementation d’assurance (CCRRA). Pour s’assurer de ne pas manquer le bateau dans la refonte règlementaire qui suivra, des agents généraux québécois préparent une sortie publique.

Dans un document de discussion publié en février et intitulé Modèle de distribution des produits d’assurance vie fondé sur les agences générales, le CCRRA a posé 26 questions aux agents généraux. L’objectif : mieux cerner leur réalité et les modifications règlementaires à apporter pour en tenir compte.

Pour y répondre, 16 cabinets québécois ont spontanément formé le Groupe de travail des agents généraux du Québec. Plusieurs autres organisations de partout au Canada ont aussi répondu. Le CCRRA a rendu ces réponses publiques en avril. Il entend ensuite formuler des recommandations à l’intention de tous les régulateurs d’assurance au pays.

Vice-président directeur général du Groupe Cloutier, Michel Kirouac représente le Groupe de travail dans ses discussions avec l’industrie. Yves Gosselin en est le porte-parole officiel.

Pourquoi 16 membres? « L’ensemble de nos membres regroupent près de 85 % du volume de primes qui se transige au Québec. Nous ne voulions pas nous battre pour embarquer ceux qui ne veulent pas. Nous avions en tête de répondre aux 26 questions du CCRRA pour pouvoir passer à l’étape suivante, publiciser notre position », dit M. Kirouac.

Les agents généraux québécois veulent ainsi s’assurer de présenter un point de vue cohérent à la table de discussion lorsque seront publiées les propositions de modifications règlementaires. « Le Groupe de travail veut permettre à ses membres de réfléchir sur ce que devrait être le rôle légal de l’agent général. Une décision sera ensuite prise en juin : publier un mémoire ou prendre position publiquement », explique M. Gosselin.

Le Groupe de travail se réunira de nouveau le 8 juin. Il proposera alors quatre modèles d’agent général, et n’en retiendra qu’un seul au terme de la réunion.

Pour arriver à cette vision commune, le regroupement d’agents généraux prépare le terrain. « Nous avons créé des sous-comités ad hoc qui discutent actuellement avec différentes organisations », a révélé Yves Gosselin.

Parmi elles, il a énuméré la Chambre de la sécurité financière, le Regroupement Indépendant des Conseillers de l’Industrie Financière du Québec (RICIFQ), le Comité des dirigeants de vente du Québec et l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP). Le Groupe de travail parle aussi à quelques assureurs.

« Nous recherchons un consensus avec tous nos partenaires avant de prendre publiquement position sur ce que devraient être le rôle et les responsabilités des agents généraux », indique M. Gosselin.

Chose certaine, les agents généraux du Québec ne veulent plus seulement exister commercialement. Ils veulent exister légalement. (NDLR : les agents généraux peuvent s’incorporer, mais n’ont pas de permis d’exercer comme c’est le cas pour les représentants ou les assureurs).

« Nous avons déjà des responsabilités commerciales et il y a de bonnes chances pour que le législateur concrétise cette réalité dans ses futures décisions, croit M. Gosselin. Nous nous retrouverons probablement avec des responsabilités additionnelles. Nous voulons faire partie du débat pour nous assurer que la future règlementation évolue vers un ensemble qui respecte notre structure de couts. »

Un dix-septième agent général avait été invité à se joindre au regroupement, mais a décidé de faire cavalier seul dans ses réponses au CCRRA. Il y a aussi ajouté son mémoire. Il s’agit de MICA Services financiers. « Notre mémoire était déjà en rédaction au moment où le Groupe de travail nous a approché », explique Gino-Sébastian Savard, vice-président de MICA.

Vers le MFDA?

La majorité des membres du regroupement québécois croient que le modèle actuel subsistera, mais que sa règlementation tendra vers celui de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (MFDA). « Nous croyons que le rapport pourrait mener à un modèle qui ressemble à celui des courtiers de fonds mutuels », croit Yves Pelletier, vice-président, distribution, d’Assurances Banque Nationale et président de Cabinet d’assurance Banque Nationale, un des seize membres du Groupe de travail.

À l’image de ce modèle, les représentants de Cabinet d’assurance Banque Nationale sont exclusivement rattachés à l’agent général de la Banque Nationale. M. Pelletier voit ce modèle comme un avantage en matière de conformité.

« L’exclusivité nous protège. Nous évoluons dans une structure éprouvée où il nous est facile de veiller à la gouvernance et l’encadrement de nos représentants », a-t-il précisé, en ajoutant que le cabinet ne recrute pas de représentants sans expérience.

Cabinet d’assurance Banque Nationale a aussi un responsable de conformité,Frédéric Simard, et une vice-présidente aux opérations, Joane Bourdeau. Rencontrés conjointement avec M. Pelletier, M. Simard et Mme Bourdeau ont insisté sur l’importance de la conformité. Ils suivent activement tous les développements dans cette sphère.

M. Simard est d’ailleurs membre des responsables de conformité du Regroupement des compagnies d’assurance à charte québécoise. Pour sa part, Mme Bourdeau est membre de l’Organisme canadien de règlementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).

« L’aspect de gouvernance a toujours été géré depuis le début chez Cabinet d’assurance Banque Nationale. Il fait partie intégrante de nos activités. L’analyse de besoins financiers, c’est obligatoire chez nous », dit Mme Bourdeau.

Yves Pelletier défend le modèle de rattachement exclusif. Selon lui, ce modèle ne dérange en rien l’indépendance. « Cabinet d’assurance Banque Nationale compte près de 130 représentants de haut calibre, traite avec 15 fournisseurs et produit annuellement un volume de 40 M$ de commission de première année. Nous avons aussi un cabinet de fonds qui traite avec toutes les grandes maisons de fonds », énumère-t-il. Outre l’assurance individuelle et les fonds communs, Cabinet d’assurance Banque Nationale est actif dans les secteurs de l’assurance collective et des régimes de retraites.

L’association canadienne des agents généraux,

Canadian Association of Independent Life Brokerage Agencies (CAILBA), ne souhaite pas ce rapprochement avec l’encadrement du MFDA. Responsable en conformité et règlementation de CAILBA et vice-président du développement des affaires chez Daystar Financial, Casey Brandreth souligne que l’examen du CCRRA semble plus reposer sur des principes que sur des règles.

« D’après les discussions que nous avons eu avec les régulateurs à ce jour, l’approche continuera de progresser en fonction de principes », dit-il.

Les agents généraux se montrent rébarbatifs envers l’approche MFDA basée sur des règles. « À notre avis, cette approche n’a pas réussi, tandis que l’approche basée sur des principes est plus judicieuse et plus conforme à la nature de l’industrie de l’assurance », dit M. Brandreth.

CAILBA reconnait le besoin d’aligner la règlementation actuelle à la réalité des agents généraux. Il croit cependant que « continuer à appliquer à la va-vite une règle après l’autre se terminera par un fouillis ».

Gino-Sébastian Savard croit que le modèle du CCRRA tendra vers celui du MFDA, mais en ce qui touche les règles de conformité uniquement. « Je n’aime pas le modèle du représentant rattaché, à moins qu’il le soit à son propre cabinet et non à l’agent général », tranche-t-il.

Il croit que l’avenir sera difficile pour les agents généraux qui n’ont pas déjà une structure de conformité, car le niveau de conformité qui prévaut chez les cabinets de fonds est nettement plus élevé. Les assureurs prévoient le coup depuis un moment, dit M. Savard.

« Ils ont déjà commencé à nous demander : Comment recrutez-vous? Comment faites-vous le suivi de vos représentants? Comment vérifiez-vous la conformité de leurs actes? », dit-il.

Dans son mémoire remis au CCRRA, le RICIFQ a dit souhaiter que les conseillers indépendants demeurent maitres d’offrir leurs services à l’agent général de leur choix. Le Regroupement ajoute que le modèle de l’agent général et de l’agent général associé est essentiel pour maintenir l’impartialité du service et des conseils pour les consommateurs.

Réponses convergentes

Définir l’étendue des responsabilités apparait crucial aux yeux du Groupe de travail des agents généraux du Québec. Il dit croire que les fonctions de tarification, de réclamation et de gestion des primes devraient toujours être sous la responsabilité de l’assureur. Le Groupe de travail estime aussi que les agents généraux devraient être responsables de signaler les actes « contestables » de leurs conseillers aux assureurs avec lesquels ils ont une entente et aux organismes de règlementation. Les demandes de clarification abondent aussi. Le Groupe de travail dit souhaiter que soient clarifiées, les règles sur les renseignements confidentiels des clients qu’ils peuvent détenir. Ils ajoutent qu’une fois clarifié le rôle et l’étendue de leurs responsabilités, les agents généraux seraient plus à même d’évaluer la couverture d’assurance responsabilité nécessaire pour leurs conseillers et leurs entreprises.

Dans son mémoire, MICA suggère plusieurs pistes qui se recoupent avec celle du « groupe des 16 ». Par exemple, le cabinet souhaite que soit favorisée la standardisation des ententes écrites conclues entre les assureurs et les agents généraux et celles entre les assureurs et les représentants. Il s’agit d’une requête de longue date des agents généraux. MICA souhaite aussi que soit déterminé les rôles respectifs de supervision des assureurs et des MGA. « Il faut aussi définir les responsabilités des agents généraux associés, qu’ils passent par un MGA ou directement par le fournisseur ».

MICA croit aussi qu’il n’est pas nécessaire de requérir des changements règlementaires puisque le modèle de distribution par des agents généraux fonctionne bien, malgré ses lacunes actuelles. Ces lacunes pourraient se résorber si l’ACCAP jouait un rôle plus accru dans la distribution, ajoute MICA. « Des lignes directrices de l’ACCAP encadrent les activités des assureurs. L’association pourrait aussi en édicter pour encadrer la conduite des agents généraux », pense M. Savard.