Sur son site, Emploi et Développement social Canada se fonde sur une étude réalisée en 2011 pour dire que 30 % des demandes de prestations d’invalidité sont reliées à des problèmes de santé mentale. Un Canadien sur cinq est confronté à de tels problèmes chaque année, cite l’organisme fédéral au sujet d’une autre étude réalisée de 2011 à 2014. Selon cette deuxième étude, le coût total des problèmes de santé mentale atteint 50 milliards de dollars (G$) par année au Canada.
L’état des lieux continue de se détériorer. « Dès l’âge de 40 ans, près de 50 % de la population aura ou aura eu une maladie mentale », révèle pour sa part une brochure publiée le 19 juillet 2021 par l’Association canadienne pour la santé mentale. Le coût direct des maladies mentales sur le système de santé canadien et le système de services sociaux a été estimé à 79,9 milliards de dollars pour l’année 2021, peut-on lire.
Publié depuis avril 2020, l’Indice de santé mentale de Solutions Mieux-être LifeWorks témoigne des atteintes à la santé mentale des Canadiens depuis le début de la pandémie. Le rapport du consultant en avantages sociaux sur l’Indice de février 2022 révèle que la santé mentale des Canadiens demeure fragile après deux ans de pandémie.
À -10,6, le résultat de l’indice de février du consultant en avantages sociaux a été le 23e score négatif d’affilé, par rapport au score d’avant 2020, fixé à 0. Le score de février 2022 représente une légère amélioration par rapport à celui de -11,3, enregistré en janvier 2022. Il reflète cependant l’état d’esprit des Canadiens avant que le spectre d’une sixième vague entraînée par le sous-variant Omicron BA.2 ne se concrétise. Le score de l’Indice de santé mentale de mars 2022 n’était pas connu au moment de fermer la présente édition.
Porte-parole de Solutions Mieux-être LifeWorks, Josée St-Pierre a dit au Portail de l’assurance que l’entreprise continuera de publier son Indice de santé mentale, « même lorsque la pandémie sera terminée ». « Il est primordial pour notre entreprise que les conversations à ce sujet se poursuivent au-delà de la pandémie, et notre rapport de l’Indice de santé mentale est un élément clé de ces conversations », a ajouté Mme St-Pierre.
Répercussions en invalidité
Lors d’une entrevue précédente axée sur l’accès aux soins sur plateformes numériques, le président et chef de la direction de Green Shield Canada, Zahid Salman, a cité une donnée de la Commission de la santé mentale du Canada selon laquelle deux personnes atteintes sur trois ne chercheront pas à se faire soigner. « Les gens ne vont pas chercher des soins en raison de la stigmatisation, parce qu’ils ne savent pas où aller ou ne savent pas ce qui est disponible ou non (dans leur régime collectif), dit-il. Ils se retrouvent donc coincés. »
Selon une autre statistique de la Commission de la santé mentale du Canada cité par M. Salman, les deux tiers des demandes de prestations d’invalidité surviennent en raison d’un problème de santé mentale ou d’un autre problème dont la santé mentale est une cause secondaire.
Des sources contactées par le Journal de l’assurance dans le cadre de son dossier sur l’assurance invalidité disent que les demandes de prestations (réclamations) entraînées directement par un trouble de santé mentale ont augmenté récemment.
Ainsi, Brian Loewen n’est pas surpris que les demandes de prestations d’invalidité aient augmenté au cours de la pandémie. « Le nombre de demandes a augmenté et nous avons quelques signes que leur durée s’est allongée quelque peu », dit le vice-président, solutions d’assurance sans participation de Canada Vie.
M. Loewen observe chaque mois un indicateur qui lui montre la durée des périodes d’invalidité. Il s’agit du nombre de demandes de prestations qui ont pris fin (claims termination) dans un mois donné. Ce nombre a été moins élevé qu’il ne le prévoyait, explique-t-il quant à l’allongement de la durée. « À peu près tout est allé de travers en réclamations d’invalidité pendant la COVID-19, ajoute-t-il. Mais les choses sont maintenant revenues à la normale », ajoute-t-il.
Les demandes de prestations d’invalidité pour raison de troubles mentaux sont celles qui ont le plus augmenté, observe M. Loewen. « À chaque ralentissement économique, nous observons que les gens peuvent être malades et continuer de travailler. Ensuite, cela les pousse au-delà de leurs limites, et il leur est ensuite un peu plus difficile de revenir au travail », explique Brian Loewen. En revanche, il remarque que le nombre des réclamations liées à un cancer n’a pas beaucoup bougé pendant la COVID-19.
À Humania Assurance, Nathalia Wosik a de son côté découvert que le nombre total de nouvelles demandes en assurance invalidité individuelle et collective avait diminué en 2020 et en 2021, par rapport à 2019. Directrice, réclamations et sélection des risques d’Humania, elle signale être responsable de la tarification de l’assurance invalidité individuelle et des réclamations d’assurance invalidité individuelle et collective.
Mme Wosik révèle que 2020 a été pour Humania l’année la plus creuse en termes du nombre de demandes de prestations d’invalidité. Les raisons de cette baisse ? « Les gens ont été moins actifs pendant ces deux années, dit la directrice. Ils ont eu moins d’aventures et donc moins d’accidents. » Elle ajoute que les gens voyaient moins souvent leur médecin. Il y a donc eu moins d’examens, de tests de dépistage et de mise en arrêt de travail, énumère-t-elle.
Les deux dernières années ont aussi été celles des remises en question, selon Nathalia Wosik. « De mois en mois, on ne savait pas ce qu’il adviendrait. On parlait d’incertitude économique. Ce qui a probablement eu un impact sur le nombre d’invalidités. Les gens voulaient se maintenir à l’emploi. Nous sommes en plein emploi depuis la fin de 2021 et il y a une reprise économique. Cela contribue aussi à garder le nombre d’invalidités moindre que ce que l’on voyait de façon prépandémique. »
Mme Wosik signale toutefois qu’en 2020 et 2021, les nouvelles demandes de prestations d’invalidité liée à un diagnostic en santé mentale ont représenté un pourcentage plus élevé des demandes totales que celles liées à un diagnostic musculosquelettique. Ce pourcentage des nouvelles demandes liées à des facteurs psychologiques s’est porté à 30 %. « L’impact de la COVID-19 sur la composante psychologique et sociale s’est reflété dans le type d’invalidité déclarée », commente-t-elle.
Or, la durée de ces invalidités a été plus courte chez Humania, selon l’analyse qu’en fait Nathalia Wosik. Elle arrive à cette conclusion en observant les périodes d’invalidité en cours, plutôt que les nouvelles demandes de prestations d’invalidité. Alors que les invalidités liées à la santé mentale représentaient 28 % de toutes les invalidités en cours en 2019, elles n’en représentaient plus que 26 % en 2021. Au cours de la même période, les invalidités en cours causées par des problèmes musculosquelettiques sont passées de 27 % à 31 %.
« Même s’il y a plus de gens aux prises avec des problèmes de santé mentale, ceux qui sont aux prises avec des problèmes musculosquelettiques ont plus de difficulté à retourner au travail », explique Mme Wosik. Pour expliquer cette différence, elle signale qu’Humania Assurance a développé une expertise pour soutenir les personnes aux prises avec un problème de santé mentale, et est rapidement passée aux soins virtuels en santé mentale lorsque la pandémie a débuté.
Ce passage a été moins évident en ce qui touche les problèmes physiques, poursuit-elle. « Nous croyons que la difficulté d’accéder à des soins comme la physiothérapie a eu un impact sur le pourcentage d’invalidité en cours pour des problèmes musculosquelettiques », conclut Mme Wosik.
D’après Philippe Cleary, le nombre de réclamations en assurance invalidité individuelle n’est pas à la hausse chez iA Groupe financier. « Il y en a même moins pour certaines causes d’invalidité », ajoute le directeur principal des produits, assurance, épargne et retraite individuelles d’iA.
M. Cleary note qu’il y a eu un moins grand nombre d’accidents depuis le début de la pandémie. Il observe en revanche que les invalidités liées aux troubles de santé mentale et à l’abus de substances se sont accentuées. M. Cleary ajoute que la durée des invalidités a en général augmenté dans les deux dernières années. « Il est plus long de recevoir des traitements chirurgicaux, par exemple. Il a aussi fallu attendre plus longtemps pour recevoir des traitements paramédicaux. »
La COVID longue sur le radar des assureurs
Philippe Cleary convient que 2020 et 2021 n’ont pas nécessairement été de bonnes années en termes d’expérience en assurance invalidité individuelle. Il hésite toutefois à conclure qu’il faut changer la tarification des produits, en réponse à ce qu’il qualifie de volatilité dans les résultats. « Les deux dernières années ont été des années particulières, avec une expérience particulière », rappelle M. Cleary. Il lui semble incertain que la tendance à des invalidités plus longues perdure après la pandémie.
Parmi les facteurs qui pourront jouer sur la tarification des produits d’assurance invalidité, M. Cleary signale que la COVID-19 longue (COVID longue) et le délestage sont les grands inconnus. Il faut voir selon lui quels seront leurs effets sur les résultats, à court et à long terme.
« La COVID longue est l’une des choses que nous surveillons », affirme pour sa part Nathalia Wosik. Elle croit que l’industrie ne peut que spéculer à ce sujet pour l’instant, ainsi qu’au sujet des conséquences du délestage dans le système de santé et des difficultés économiques entraînées par l’inflation. « L’Organisation mondiale de la santé (OMS) nous parlait d’une vague de COVID longue. Pour l’instant, nous ne la voyons pas », dit Mme Wosik.
Encore mal connue
Selon un dossier sur la COVID longue paru dans l’édition d’avril 2022 du Insurance Journal, publication sœur du Journal de l’assurance, l’Organisation mondiale de la santé n’a pas encore arrêté une définition formelle de cette nouvelle maladie. L’OMS explique toutefois que l’expression « COVID longue » est attribuée à ceux qui manifestent des signes de COVID-19 depuis des semaines voire des mois après la première infection.
La COVID longue n’est pas contagieuse. Environ 10 % de ceux qui contractent la COVID-19 courent le risque de développer des symptômes de COVID longue. « Une partie du problème est que nous en sommes encore à apprendre ce que c’est, dit le Dr Neil Maharaj, président de la section des maladies respiratoires de l’Ontario Medical Association. Il y a une meilleure reconnaissance de la COVID longue, mais nous en étudions toujours les critères et développons des façons de l’aborder. »
Association de professionnels en ressources humaines basée à Londres, la Chartered Institute of Personnel and Development a effectué en Grande-Bretagne un sondage selon lequel 26 % des employeurs incluent dorénavant la COVID longue parmi les principales causes d’absence de longue durée en raison d’une maladie.
Jusqu’à maintenant, les chercheurs ont cerné les principaux symptômes de ceux qui ont développé la COVID longue après avoir été infectés par la COVID-19 :
- Fatigue
- Essoufflement ou difficulté à respirer
- Toux
- Douleurs articulaires
- Douleur à la poitrine
- Problèmes de mémoire ou de concentration (également connus sous le nom de brouillard cérébral)
- Insomnie
- Douleurs musculaires ou maux de tête
- Rythme cardiaque rapide ou intense
- Problèmes gastro-intestinaux
- Dépression ou anxiété
- Perte du goût ou de l’odorat
- Aggravation des symptômes après un stress physique ou mental
L’Ontario COVID-19 Science Advisory Table, un groupe de scientifiques qui informent régulièrement la santé publique de la province, estime à 150 000 le nombre de Canadiens qui présentent des symptômes de COVID longue. Seulement en Ontario, 57 000 à 78 000 en souffriraient, selon l’organisme.
Directrice mondiale et première vice-présidente, recherche et mieux-être global de Solutions Mieux-être LifeWorks, Paula Allen avance que la COVID longue est en quelque sorte similaire à la fibromyalgie : « Plusieurs symptômes doivent être traités ». Elle croit qu’une approche multidisciplinaire de ce type d’invalidité est la thérapie idéale. Sans avoir encore suffisamment de statistiques pour se prononcer sur les réclamations en COVID longue, Mme Allen rapporte que certains s’en sortent et prennent du mieux.
« Les assureurs soutiennent les réclamations d’invalidité de courte durée liées à la COVID depuis le début de la pandémie », signale pour sa part Meredith Weldon, directrice, assurance collective vie et invalidité d’Assurance vie Équitable du Canada. Elle dit que la majorité des cas de COVID-19 se résorbent dans les deux premières semaines. Il lui est toutefois plus difficile d’avancer des chiffres sur la prévalence de la COVID longue.
Des réclamations sont survenues, mais la difficulté est de déterminer si la COVID longue entraîne une invalidité totale. Mme Weldon dit connaître des personnes qui ont eu des symptômes persistants, et qui sont toujours capables de travailler. Ces personnes ne font donc pas de demande de prestations d’invalidité.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition d'avril 2022 du Journal de l'assurance.