L’utilisation croissante des piles et batteries aux ions de lithium (ou lithium-ion), tant dans les milieux résidentiels que commerciaux, conjuguée à leur vulnérabilité accrue aux risques d’incendie, a un impact concret sur l’industrie de l’assurance. Des assureurs partout à travers le monde sont de plus en plus préoccupés par leur propension de ces batteries à causer des blessures graves et des dommages matériels considérables.

« Les incendies de batteries lithium-ion sont en augmentation partout au Canada, alimentés par leur présence croissante dans les foyers, les véhicules et les lieux de travail », a déclaré le gouvernement du Canada cet automne. Il souligne que ces piles et batteries sont désormais la source « qui alimentent bon nombre de nos appareils du quotidien comme les téléphones, ordinateurs portables, vélos électriques, outils électriques et jouets pour enfants ».

Selon un rapport publié en 2024 par Gallagher Re, l’un des plus importants courtiers en réassurance au monde, basé à Londres au Royaume-Uni, « les incidents liés à des incendies de batteries lithium-ion augmentent à l’échelle mondiale, causant des dommages matériels et des pertes humaines. Les réclamations et les sinistres qui en résultent amènent les assureurs à réévaluer leurs responsabilités, tandis que les entreprises et les décideurs tentent de comprendre cette tendance et de mettre en place des mesures d’atténuation du risque. »

Michael Nituda

Michael Nituda, courtier principal chez Wilson M. Beck Insurance Services (Specialty) Inc., un cabinet de courtage d’assurance à Toronto, indique que son entreprise constate une hausse des réclamations où les batteries lithium-ion sont soit la cause principale du sinistre, soit un facteur aggravant important.

« De notre point de vue, la fréquence des sinistres demeure encore faible comparativement aux incendies de cuisson ou aux défaillances électriques traditionnelles. Mais leur gravité peut être démesurée en cas de défaillance, en raison de l’emballement thermique, de la propagation très rapide du feu et du manque de préparation des services d’incendie face aux feux de batteries au lithium », explique-t-il.

Un usage omniprésent, un risque généralisé

 Nous avons observé une augmentation des réclamations impliquant des batteries lithium-ion, notamment dans les cas de véhicules électriques, de trottinettes, de vélos électriques et d’aspirateurs sans fil.
– Aviva Canada

Le rapport de Gallagher Re mentionne plus de 25 000 incidents d’incendie ou de surchauffe liés aux batteries aux ions de lithium survenus aux États-Unis entre 2017 et 2022. Ces incidents ont particulièrement touché les milieux urbains, où ces batteries sont de plus en plus utilisées à des fins de transport.

Le risque est amplifié dans les quartiers densément peuplés et dans les immeubles à logements multiples, où le feu peut se propager plus facilement, ajoute le rapport.

Le Service de sécurité incendie de Montréal, au Québec, a rapporté en octobre 2025 une augmentation de 195% des incendies liés aux batteries lithium-ion depuis 2022, passant de 24 cas à 71 en 2024.

Le Service d’incendie de Toronto (TFS, pour Toronto Fire Service) a quant à lui déclaré en juillet 2025 une hausse de 162% entre 2022 (29 incendies signalés) et 2024 (76 incendies). À mi-parcours de 2025, Toronto avait déjà recensé 43 incendies attribuables aux batteries lithium-ion.

L’un de ces incendies impliquait « un important sinistre dans une tour d’habitation, avec plusieurs blessés parmi les occupants et les premiers intervenants », indique le TFS. L’enquête subséquente a révélé que le logement concerné contenait une grande quantité de batteries lithium-ion, ce qui aurait « considérablement contribué à l’ampleur du feu et à la propagation de la fumée dans l’immeuble ».

« Nous avons observé une augmentation des réclamations impliquant des batteries lithium-ion, notamment dans les cas de véhicules électriques, de trottinettes, de vélos électriques et d’aspirateurs sans fil », affirme un porte-parole d’Aviva Canada.

« Parfois, cela entraîne des indemnisations importantes », ajoute-t-il.

Wilson M. Beck Insurance Services constate une variété d’objets et de produits à l’origine de ces risques. Du côté résidentiel, les risques proviennent surtout des vélos et trottinettes électriques, notamment lorsque les batteries sont chargées dans des appartements, des condos ou des garages, explique Michael Nituda.

Parmi les autres causes domestiques figurent : les scooters de mobilité et fauteuils roulants motorisés, les outils électriques et équipements de jardin sans fil, les ordinateurs portables, tablettes et téléphones (souvent dans des scénarios d’incendies liés à une recharge sur un canapé ou un lit), les systèmes résidentiels de stockage d’énergie, et la recharge de véhicules électriques (VE) dans des garages attenants.

On les retrouve aussi dans les vaporisateurs et dispositifs portatifs de vapotage, comme les cigarettes électroniques ou autres « stylos de vapotage ».

Sur le plan commercial, les risques incluent les flottes de livraison utilisant vélos ou trottinettes électriques, souvent avec plusieurs batteries en charge simultanément; les entrepôts, centres logistiques et détaillants qui entreposent ou livrent de l’électronique en vrac, des VE ou des batteries de rechange; les ateliers de fabrication légère ou de réparation de dispositifs de mobilité électrique; ainsi que les bâtiments possédant des installations de stockage d’énergie sur place, comme des salles de batteries, ou de nombreux VE stationnés dans des garages souterrains, selon M. Nituda.

Répercussions sur les protections d’assurance

Wilson M. Beck a ajusté ses couvertures en lien avec l’utilisation de batteries lithium-ion, principalement sur les plans de la sélection des risques et de la souscription, indique-t-il.

Il souligne que des difficultés sont apparues dans la recherche d’assureurs pour certaines entreprises exposées à ces risques, telles que les centres de recyclage, compagnies de transport, entreprises d’entreposage ou fabricants de batteries lithium-ion.

« Les entreprises dont les services ou produits incluent le lithium doivent prévoir des provisions pour indemnisation afin de maintenir une réserve de liquidités suffisante en cas de pertes non assurables liées au lithium », explique-t-il.

Les polices d’assurance comportent désormais des clauses spécifiques aux pertes liées au lithium, y compris le marché de la responsabilité civile excédentaire, précise M. Nituda.

« L’une des caractéristiques d’une police d'assurance responsabilité civile excédentaire est d’offrir une couverture complémentaire [“drop-down” en aglais] à la police primaire dite “différence dans les conditions” ou DLC. Ce libellé permettrait normalement de couvrir une perte exclue dans la police de base, mais on constate aujourd’hui l’ajout d’exclusions pour le lithium même dans les polices DLC. »

« On peut parfois “racheter” une garantie exclue, mais dans le cas du lithium, il n’y a pas encore un volume suffisant pour que les assureurs puissent tarifer adéquatement le risque et offrir cette couverture à l’achat », ajoute-t-il.

Cependant, tous les assureurs n’ont pas encore modifié leurs protections en fonction de cette menace croissante.

« À l’heure actuelle, les batteries lithium-ion sont toujours couvertes par nos polices standards, sans ajustement de primes ni de garanties », affirme le porte-parole d’Aviva Canada. « C’est une tendance que nos équipes suivent de près pour en évaluer l’impact global, notamment en étudiant des stratégies de réduction du risque à partir des données recueillies. »

Michel Rosset, directeur des communications d’entreprise et des relations médias chez Wawanesa Assurance, dont le siège social est à Winnipeg, affirme : « Wawanesa surveille de près les risques émergents pour s’assurer que ses produits d’assurance demeurent pertinents. [Mais] pour l’instant, nous n’avons pas apporté de modifications à nos garanties en assurance de dommages, tant personnelles que commerciales, concernant l’usage des batteries lithium-ion. »

Une vigilance constante s’impose

 Peu de services d’incendie sont équipés pour gérer les feux de batteries au lithium, alors que tenter de les éteindre avec de l’eau ne fait qu’aggraver les dégâts.
– Michael Nituda

Pourquoi ces batteries sont-elles si dangereuses? Le gouvernement du Canada évoque plusieurs facteurs de risque. Si les batteries lithium-ion ne sont pas rechargées de façon sécuritaire, par exemple, sur un canapé ou un lit, si elles sont surchargées, laissées près de matériaux inflammables ou branchées à un chargeur inadapté, elles peuvent prendre feu.

Le mode d’élimination est aussi critique : jeter une batterie au lithium à la poubelle ou dans un bac de recyclage ordinaire, plutôt que de la confier à un centre de recyclage spécialisé ou un point de dépôt de déchets dangereux, accroît aussi le risque d’incendie.

« Même quand l’inflammation initiale est faible, la combinaison d’une haute densité énergétique, de fumée toxique et de la difficulté à éteindre ces incendies transforme souvent ce qui devrait être un incident mineur en une perte majeure », explique Michael Nituda. « Peu de services d’incendie sont équipés pour gérer les feux de batteries au lithium, alors que tenter de les éteindre avec de l’eau ne fait qu’aggraver les dégâts », ajoute-t-il.

La vigilance constante exigée aujourd’hui face aux batteries lithium-ion et à leurs risques devra s’intensifier dans les années à venir, alors que plusieurs sources, dont Gallagher Re, prévoient une forte hausse de leur utilisation d’ici la fin de la décennie.