« Je ne sais pas pourquoi on a besoin d’aller si vite pour faire une réforme que personne n’a demandée », lance Marc Beaudoin, président-directeur général de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD), en entrevue avec le Portail de l’assurance.
Le projet de loi 92 (PL-92), une loi omnibus qui compte 186 articles, comprend 23 articles consacrés au projet de fusion de la ChAD et de la Chambre de la sécurité financière (CSF) pour créer un seul organisme, la Chambre de l’assurance.
Au ministère des Finances du Québec, la porte-parole avait laissé entendre que les deux organismes d’autoréglementation (OAR) « entretiennent des relations privilégiées avec le ministère » et que ceux-ci avaient eu « l’opportunité de participer aux réflexions sur l’avenir de l’encadrement du secteur financier ».
Marc Beaudoin contredit cette affirmation. « Nous n’avons jamais été consultés en amont avant le dépôt du projet de loi 92 », indique-t-il.
Vers un régime privé
Les articles 283.1 à 379 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) encadrent le fonctionnement des deux chambres. L’article 7 du projet de loi prévoit de supprimer les titres V et VI de la LDPSF, qui comprennent justement ces dispositions.
« Une chambre a pour mission d’assurer la protection du public en maintenant la discipline et en veillant à la formation et à la déontologie de ses membres », indique-t-on à l’article 312 de la LDPSF. La mission de protection du public n’apparaît plus dans les articles du PL-92.
Les articles 18 à 40 du PL-92 qui encadrent le projet de fusion énumèrent diverses dispositions transitoires et particulières et les modalités de fonctionnement de la future Chambre de l’assurance.
« L’enjeu majeur qui nous préoccupe actuellement est que la ChAD fonctionne dans un modèle qui est public, donc à l’intérieur d’une loi, depuis plus de 36 ans », rappelle M. Beaudoin. Le fonctionnement des OAR en assurance a été calqué sur le système professionnel mis en place dans les années 1970 à la suite de la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social, la Commission Castonguay-Nepveu. M. Beaudoin connaît le sujet, car il a été directeur général du Conseil interprofessionnel du Québec de 2017 à 2022.
Les codes de déontologie et le règlement sur la formation continue sont adoptés par les élus après un processus de consultation publique. « Il y a tout un mécanisme démocratique et public, participatif et consultatif, qui est présent dans le modèle actuel et qu’on n’est pas certain de retrouver dans le prochain modèle », explique le PDG de la ChAD.
Un futur flou
Pour la suite des choses, Marc Beaudoin observe que le futur est flou. Le modèle privé est prévu dans la Loi sur l’encadrement des services financiers. L’Autorité des marchés financiers rendra une décision de reconnaissance de la future Chambre de l’assurance.
« Ce qu’on interprète, c’est que l’équivalent de nos codes de déontologie et de notre règlement sur la formation continue obligatoire deviendraient des règles de fonctionnement interne », explique M. Beaudoin. En conséquence, ces règles pourraient être changées sans l’intervention des élus ou celle des groupes intéressés via le processus de consultation prévu dans la Gazette officielle du Québec.
« Le modèle actuel d’encadrement est plus transparent et public, et indépendant. On souhaite conserver ce modèle-là », poursuit-il.
« On est en train d’opérer une réforme majeure du modèle d’encadrement, du modèle de la protection du public. On fait une réforme majeure de tout ça et nous nous questionnons sur le pourquoi et sur l’intention », note Marc Beaudoin.
Le système en place depuis 36 ans « fonctionne bien. Il est connu des consommateurs, connu des certifiés, connu des gens de l’industrie ». Il répète que personne n’a levé la main pour demander une telle réforme.
Les préoccupations de la ChAD ont été exprimées aux gens du ministère des Finances et à l’Autorité ces dernières semaines, précise M. Beaudoin en refusant de divulguer la teneur des échanges.
Consultations particulières
La Commission des finances publiques de l’Assemblée nationale entendra divers groupes lors de consultations particulières sur le PL-92 le 20 mai prochain. L’horaire détaillé a été publié le 1er mai dernier. Les organismes invités ont 45 minutes pour présenter leur mémoire et répondre aux questions des députés.
Pour l’instant, une seule plage horaire commune est prévue pour entendre les représentations des deux chambres, tout de suite après les remarques préliminaires. « Ce que nous souhaitons, c’est d’avoir notre plage à nous », mentionne M. Beaudoin.
« Notre choix, c’est d’être dans une plage individuelle pour qu’on puisse bien entendu porter notre message », ajoute-t-il. Les deux chambres ne prépareront pas de mémoire conjoint.
Le PL-92 comporte aussi des modifications à l’exercice du courtage immobilier, lui aussi encadré par un organisme de même nature que les deux chambres en assurance. L’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) verra ses pouvoirs renforcés via sa loi particulière.
Cette comparaison entre l’OACIQ et la future Chambre de l’assurance montre bien le caractère étrange du modèle privé prévu dans le PL-92 pour encadrer l’industrie de l’assurance, selon Marc Beaudoin. Il n’y a à sa connaissance aucun équivalent d’un tel système dans les autres provinces canadiennes.
D’ailleurs, Marc Beaudoin pense que le gouvernement pourrait rapidement faire adopter le PL-92. Le dépôt du projet de loi le 8 avril, sans consultation en amont, de même que la convocation reçue le 1er mai pour la commission parlementaire dès le 20 mai, sont autant d’indices qui lui démontrent que le travail législatif pourrait avancer très rapidement.