Le concept d’agence hybride proposé par l’Autorité des marchés financiers ne fait pas l’unanimité dans l’industrie.

Le régulateur a reçu 53 mémoires dans le cadre de sa consultation sur le courtage, a appris le Journal de l’assurance. De ce nombre, 47 ont été rendus publics. La grande majorité des intervenants s’oppose au concept d’agence hybride, qui permettrait à un cabinet de s’afficher comme agent en assurance des particuliers, donc ne faisant affaire qu’avec un seul assureur, et courtier en assurance des entreprises.

Parmi ceux qui soutiennent le projet, on retrouve un assureur : Intact Assurance. On retrouve aussi des courtiers qui concentrent leur volume auprès de cet assureur et qui font partie de ses cabinets regroupés sous l’appellation Virage.

Pourquoi empêcher l’un par rapport à l’autre, demande Intact ?

Chez Intact Assurance, on croit que l’introduction de l’agence hybride évitera à des cabinets d’envisager « la complexe et couteuses scission de leur organisation, en plus de devoir composer avec les impacts opérationnels importants qui y sont associés dans la règlementation actuelle » écrit son premier vice-président au Québec, Jean-François Desautels. Toutefois, l’assureur se demande pourquoi l’Autorité souhaite interdire aux agents des agences hybrides de pouvoir agir comme courtiers en assurance aux entreprises, et vice-versa.

M. Desautels, dans le mémoire d’Intact, fait remarquer qu’il n’y a aucune disposition de la Loi sur la distribution des produits et services financiers qui interdit à une personne physique d’être à la fois un courtier et un agent. L’article 7 du Règlement sur l’exercice des activités des représentants l’interdisait, mais celui-ci a été abrogé le 22 octobre 2013, note-t-il.

« Cette interdiction amplifiera les enjeux de main-d’œuvre, surtout dans les petits cabinets, où les représentants ne sont pas spécialisés dans l’une des deux catégories de discipline. Cela semble être encore plus problématique en région », écrit M. Desautels.

Intact demande donc à l’Autorité d’autoriser qu’un même représentant rattaché à une agence hybride en assurance de dommages puisse utiliser les titres d’agent en assurance des particuliers et de courtier en assurance des entreprises. L’assureur précise toutefois que ce représentant devra détenir les compétences requises et respecter les obligations propres à chaque titre.

« Dans la mesure où ces catégories sont distinctes, il n’y a aucune raison de penser que le double permis crée de la confusion auprès du public qui justifierait cette lourdeur additionnelle en termes d’efficacité ou de couts. Le représentant devra divulguer ses titres au consommateur, comme prévu par la règlementation. À notre avis, cela n’aura aucun impact négatif sur le consommateur », ajoute M. Desautels.

Mandataire du client

Les cabinets PMT Roy, La turquoise, Harmonia Assurance et Groupe DPJL ont aussi fait cette remarque dans leur mémoire. Ils souhaitent aussi pouvoir avoir des employés à double permis, en plus d’appuyer le concept d’agence hybride, comme l’ont aussi fait AccèsConseil et Courtika.

André Roy, PDG de PMT Roy, rappelle que malgré le fait qu’il concentre son volume auprès d’un assureur, il est aussi le mandataire de son client en tant que courtier, pouvoir que confère le Code civil du Québec au courtier.

« Cette notion est importante, écrit-il dans son mémoire. Il arrive que le courtier doive, de son propre chef, entreprendre des démarches en faveur de son client, que ce soit au moment de souscrire une police ou encore lors du règlement d’une réclamation. Le courtier a ce pouvoir et il s’en sert depuis toujours dans le but de bien servir son client, même lorsque celui-ci n’est pas en mesure de prendre des décisions éclairées. En lui retirant ce titre pour en faire un agent, l’Autorité lui enlèverait cette possibilité. Le niveau de service au client risque d’en souffrir. »

Un choix déchirant

Rachelle Maltais, PDG de Tremblay Assurance/Assurance 5 000, fait partie des courtiers Virage. Dans son mémoire, elle illustre à quel point le choix de devenir une agence hybride est difficile. Elle dit craindre que des clients qui assurent aussi leur moto, leur VTT, leur motoneige ou leur caravane risquent d’être perdants au change puisqu’elle peut leur offrir des marchés spécialisés qu’elle ne pourra pas offrir si ses représentants deviennent des agents en assurance des particuliers.

« Je devrai alors lui dire d’aller chez un concurrent. Je ne pourrai plus le servir correctement. Par le fait même, je subirai une perte financière et devrai réduire mes opérations, ce qui n’est pas favorable pour notre avenir. Que gagnera le consommateur dans cela ? »

Mme Maltais dit ne pas avoir l’intention de migrer vers le modèle d’agence. Toutefois, les exigences de l’Autorité feront en sorte qu’elle devra modifier ses opérations. Elle demande ainsi au régulateur de considérer accorder un délai additionnel à l’industrie quant à cette question.

Davantage de confusion selon le plus grand courtier au Québec

Chez Lussier Dale Parizeau, plus grand courtier en assurance de dommages au Québec, on craint avant tout la confusion qu’engendrera le concept d’agence hybride. « Les consommateurs ont déjà peine à s’y retrouver. Avons-nous bien pris le temps de mesurer les impacts auprès des consommateurs ? Nous pensons que cette idée mériterait plus ample analyse tant pour les consommateurs que pour l’industrie », écrit Michel Laurin, président et chef de l’exploitation du cabinet.

Il indique toutefois que le concept d’agence hybride est un effort louable de la part de l’Autorité, notamment pour faciliter la transition des cabinets qui ne seront pas en mesure de se conformer aux exigences de la loi.

La divulgation demandée par l’Autorité préoccupe aussi Lussier Dale Parizeau. « Pour le client, les couches successives de divulgation pourraient engendrer davantage de confusion et même susciter leur suspicion. Par expérience, nous pouvons assurer l’Autorité que le client se demande pour quelle raison nous lui donnons cette information, alors qu’il veut simplement qu’on s’occupe de ses besoins d’assurance », dit M. Laurin.

Le président et chef de l’exploitation de Lussier Dale Parizeau ajoute qu’un tel processus est du temps perdu pour le client. « Pour notre cabinet, cela signifie un fardeau administratif et opérationnel supplémentaire. Ce temps précieux devrait, à notre avis, être consacré davantage à l’analyse des besoins du client et à la recherche de solutions adéquates pour les combler. »

Un agent en entreprises ?

Un autre cabinet indépendant se questionne sur la confusion que pourrait entrainer l’agence hybride. Sylvain Racine, président de Racine & Chamberland, croit que ce concept entrainera plus de confusion qu’autre chose. Il donne en exemple un cas qui pourrait survenir en assurance des entreprises.

« Une personne œuvrant pour une agence concentrée avec un seul assureur en assurance des entreprises pourrait être considérée comme un courtier. J’aimerais bien qu’on m’explique cette logique qui va dans le sens contraire de la nouvelle loi. De plus, comment sera considérée une personne qui a un permis dans les deux segments d’affaires ? Il sera courtier ou agent ou les deux ? Pour notre part, nous tentons d’offrir le plus d’options possible tant à nos assurés en assurance des particuliers que des entreprises. Pourquoi faire une règlementation différente entre les deux ? Les assurés en entreprises n’ont pas droit au même traitement et à la même transparence ? », écrit-il dans ses commentaires transmis à l’Autorité.

Des assureurs silencieux

Outre Intact Assurance, un seul assureur a rendu public son mémoire dans le cadre de la consultation : Aviva Canada. Celui-ci ne prend pas position quant au concept d’agence hybride. Dans son ensemble, l’assureur se dit en faveur des propositions de l’Autorité.

« Nous nous réjouissons du rôle moteur joué par le gouvernement et des mesures énergiques qu’il prend à l’égard de cette importante question d’intérêt public. Nous croyons que la loi et le projet de règlement remédient aux mauvaises tendances observées dans l’industrie et qu’ils favorisent l’équité, la transparence et une plus grande confiance des clients sous la conduite des autorités compétentes et que leur application sera adéquatement encadrée par l’Autorité », peut-on lire dans le mémoire d’Aviva.