Dans le sondage mené par le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) auprès de ses membres, le problème de souscription en assurance des entreprises est le sujet le plus souvent mentionné par les courtiers. Pour 26 % d’entre eux, il s’agit du principal enjeu, tandis que 49 % disent que cette préoccupation est l’une des plus importantes. 

Les résultats des assureurs de dommages ont été nettement meilleurs en 2020 et en 2021. Malgré cette embellie, les courtiers ne remarquent pas d’amélioration du côté des capacités de souscription ou de la tarification, souligne Jean-François Béliveau, premier vice-président Québec de Northbridge Assurance.

« On n’a pas beaucoup de marge et la fréquence des sinistres augmente », Jean-François Béliveau.

En 2020, en assurance de dommages des particuliers et en automobile, les assureurs québécois ont dégagé des marges bénéficiaires d’environ 300 millions de dollars (M$). La baisse de la fréquence des sinistres est le principal facteur qui a permis ces résultats. 

Cependant, avec la reprise économique que l’on connaît en 2021, la fréquence des sinistres recommence à monter. « Si le ratio de pertes en automobile monte à 60 %, c’est 100 M$ de moins dans les résultats », précise M. Béliveau. Un autre 100 M$ sera dépensé si le ratio de pertes atteint le même niveau en assurance habitation. La marge de manœuvre que les assureurs ont ainsi dégagée en 2020 est largement due à la conjoncture. 

Jean-François Béliveau

Par ailleurs, la sévérité des sinistres n’a pas été réduite par la pandémie et l’inflation technologique continue en automobile. Si l’on ajoute à cela l’inflation des salaires qui découle de la pénurie de main-d’œuvre, les sinistres climatiques nombreux qui se multiplient et la persistance des taux d’intérêt au plancher, on voit donc que cette marge de manœuvre peut rapidement se volatiliser. « On comprend donc que la situation est fragile en assurance de dommages », insiste Jean-François Béliveau. 

Néanmoins, la reprise économique et l’amélioration des résultats enlèvent un peu de pression dans le système et devraient permettre d’augmenter les capacités en assurance des entreprises, souligne-t-il.

M. Béliveau ajoute que le ratio combiné des risques aux entreprises était à 92 % au Canada à la fin du deuxième trimestre de 2021. « On n’a pas beaucoup de marge, et je vous l’ai dit, la fréquence des sinistres augmente », dit-il.

Les assureurs et les courtiers doivent aider les clients à augmenter leurs efforts de prévention pour réduire les réclamations. Pour augmenter la capacité dans le marché, il faut la payer et les taux de réassurance augmentent. « Ça passe par la tarification », mentionne M. Béliveau, en indiquant que la situation devrait s’améliorer en 2022. 

Jean-François Desautels

De son côté, Jean-François Desautels, premier vice-président, Québec et distribution numérique chez Intact Assurance, rappelle que l’ajustement de la tarification de plusieurs segments d’affaires avait commencé avant la pandémie. « Il faut conserver cette discipline », note-t-il. 

Il rappelle que les problèmes de capacité ont été empirés par la sortie de plusieurs assureurs du marché canadien. Si l’industrie réussit à ramener de l’ordre, les concurrents pourraient revenir, ajoute M. Desautels. 

Il s’est permis un peu d’autopromotion en indiquant qu’Intact aurait de bonnes nouvelles à annoncer au premier trimestre de 2022 et pourra augmenter ses capacités mondiales en assurance des entreprises. 

Aller au bâton 

Yves Gagnon

Selon Yves Gagnon, chef de l’exploitation de L’Unique et d’Unica, les assureurs ont le beau rôle en assurance aux entreprises : ils montent les franchises, réduisent les protections et imposent des hausses de primes. « Les courtiers doivent ensuite prendre le dossier et aller annoncer ça à leurs clients », souligne M. Gagnon.

Ce sont les courtiers qui subissent les reproches des clients, et c’est encore pire si la proposition a été soumise avec un peu de retard. « Là, on fait une plainte contre vous à la Chambre de l’assurance de dommages », dit-il.

Yves Gagnon souligne que sa compagnie n’a pas réduit son appétit en assurance des entreprises, avec des hausses de 37 % en 2019 et de 34 % en 2020. Après trois trimestres en 2021, la hausse est de 26 % en 2021 après trois trimestres. Les primes sont passées de 73 à 163 M$ durant cette période chez L’Unique.

« On élargit notre appétit, on choisit nos risques, on veut développer notre expertise avant d’ouvrir de nouvelles lignes commerciales. On y va prudemment, mais sûrement », note M. Gagnon.

Il rappelle les difficultés de recrutement en souscription. « On a déjà de la misère à répondre à la demande actuelle », dit-il. 

Louise Rivet

Louise Rivet, directrice du développement des affaires de Wawanesa Assurance, reconnaît que l’assureur a encore peu de capacité à offrir en assurance des entreprises au Québec. Il y a trois ans, il n’offrait que de l’assurance de dommages aux particuliers. 

 « Nous avons des objectifs, on est en train de bâtir notre équipe de souscription. On n’a pas fermé ce segment ailleurs au pays, mais notre appétit demeure restreint », dit-elle. Mme Rivet promet que l’assureur augmentera ses capacités en 2022, ce qui devrait soulager les courtiers qui peinent à placer leurs risques commerciaux. 

Il y avait du rattrapage à faire, souligne Guy Lecours, vice-président principal de Promutuel Assurance, en reprenant les arguments de M. Béliveau. « Les clients et les courtiers ont besoin de stabilité et de prévisibilité. On ne peut pas baisser la prime de 20 % une année pour la remonter de 40 % l’année suivante, ça ne s’explique pas et ça n’a aucun sens », dit-il. 

Guy Lecours

L’assureur est présent dans toutes les communautés au Québec et il essaie d’avoir une attitude équilibrée dans la souscription des risques d’affaires, ajoute M. Lecours. « On veut éviter de bouleverser l’économie locale. Mais à un moment donné, les pertes doivent être payées », dit-il. 

Chez Promutuel, les revenus de primes en assurance aux entreprises ont augmenté de 15 % en 2020. « De plus en plus souvent, on se fait présenter de nouveaux risques et nous arrivons à les souscrire », dit-il. 

Le message ne descend pas 

Lors des échanges avec les courtiers, il a été question des problèmes entre les courtiers et les souscripteurs en assurance des entreprises. Richard Giroux, directeur de RCCAQ Assurance, cite les confidences des courtiers qu’il a croisés ces dernières années.

Ceux-ci déplorent le fait qu’eux n’ont jamais le droit d’être en retard au moment de renouveler une police, mais se disent victimes du manque de collaboration des assureurs. Ils ont l’impression que les souscripteurs ont toujours une bonne raison pour ne pas avoir traité leur demande, sous prétexte qu’ils sont débordés. 

« Chez nous, on parle de 2 000 transactions par semaine », Jean-François Béliveau.

« On ne nous rappelle pas, on attend trois semaines une réponse à notre soumission pour les nouvelles affaires, ils nous arrivent à la dernière minute avec des conditions qui n’ont aucun sens », rapporte-t-il. 

Il ajoute : « Personne ici ne remet en cause la sincérité des assureurs devant nous, mais est-il possible que votre message ne se rende pas sur le terrain ? » 

Yves Gagnon promet de faire passer le message à ses troupes. Il reconnaît que même si ses employés sont débordés, cela n’est pas une excuse pour être condescendant avec le courtier, qui est le client de l’assureur. 

Jean-François Desautels souligne que cette critique a été rapportée au Bureau d’assurance du Canada. Les assureurs ont pris l’engagement de respecter les délais pour produire les documents demandés par les courtiers. « Le message que j’entends est que ce n’est pas parfaitement exécuté », dit-il. 

De son côté, Jean-François Béliveau insiste sur la nécessité de soutenir les courtiers afin qu’ils respectent leurs obligations déontologiques liées au conseil du client.

« Chez nous, on parle de 2 000 transactions par semaine », dit-il. Il reconnaît qu’il est fort possible que sur ce volume, certains souscripteurs se trompent dans leur analyse de risque.

« Mais je vous encourage à utiliser les procédures d’appel qui existent chez nous, si vous avez l’impression que votre souscripteur a mal fait son travail », mentionne M. Béliveau. 

Le programme Omega 

Une courtière a demandé ce qu’il advenait des grands risques autrefois couverts par le programme Omega chez Intact. Plusieurs clients ont été abandonnés en 2019. La plupart d’entre eux ont par la suite obtenu leur garantie par l’entremise de RSA. « Est-ce que je dois penser à replacer ce compte ailleurs ? », demande cette dame. 

« Les risques qu’on n’avait pas gardés étaient des risques de souscription. Ce n’était pas une question de philosophie de prendre ou pas tel type de risque », précise M. Desautels. Des clients sont partis parce que l’assureur a voulu redresser la tarification dans certains segments d’affaires qui n’étaient pas rentables. 

« J’en ai parlé tantôt, on aura une nouvelle offre de solutions spécialisées pour les risques plus complexes dès le premier trimestre de 2022 », dit-il. Et il promet que le client couvert par RSA verra sa police être renouvelée. Louis Arpin est responsable de la souscription dans ce segment. 

Haute valeur 

L’acquisition du volume de La Garantie pour les biens de haute valeur est maintenant offerte par Intact Prestige. Une courtière souligne que plusieurs courtiers offraient cette police, mais n’ont pas le volume suffisant pour être en mesure de l’offrir via Intact.

« On aime penser que l’expertise vient avec ce type de risque et on connaît les courtiers qui en voient beaucoup », indique M. Desautels. Intact a gardé tous les distributeurs du produit autrefois vendu par La Garantie. « Il reste à voir de quelle manière on va travailler avec ceux qui ont un petit volume, mais qui voudraient développer leur expertise. »

Jean-François Desautels souligne le retour de France St-Louis chez Intact au Québec depuis quelques semaines, après un séjour de trois ans chez OneBeacon aux États-Unis. La nouvelle vice-présidente responsable d’Intact Prestige a demandé à son collègue de lui laisser le soin de faire les annoncer sur la distribution de ce produit lorsque toutes les ficelles seront attachées. 

« On me dit souvent que si le courtier vend de l’assurance aux entreprises, il est capable de vendre ce produit », dit M. Desautels en conclusion du panel. 

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