Dans un jugement majeur qui a été porté à l’attention de tous les membres de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), la Cour d’appel vient de confirmer la décision rendue par la Cour supérieure. Celle-ci concerne la ville de Trois-Rivières au sujet d’un feu qui avait détruit un bâtiment commercial il y a dix ans. Le juge de première instance avait rejeté la défense d’immunité inscrite dans la Loi sur la sécurité incendie (L.s.i). et trouvé la ville responsable du dommage à hauteur de 25 % en raison du retard des pompiers à intervenir sur les lieux. 

La Cour supérieure s’était déjà rangée aux arguments de Royal & Sun Alliance du Canada, Société d’assurances (L’Union Canadienne). L’assureur reprochait à Trois-Rivières de ne pas avoir envoyé sur place les effectifs nécessaires en cas d’incendie tel que prévu dans son schéma de couverture de risques adopté en 2006 et son plan de mise en œuvre qui avait été approuvé par le ministre de la Sécurité publique. La ville en avait appelé de ce jugement, mais il vient d’être validé par la Cour d’appel qui a reproché à la ville de ne pas avoir rempli ses engagements. 

L’immunité des villes en cas d’incendie 

En 2000, rappelle l’UMQ, le législateur québécois a adopté la Loi sur la sécurité incendie à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans la cause Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville de). Le plus haut tribunal du pays y avait retenu la responsabilité civile d’une municipalité pour des omissions commises par son service de sécurité incendie.

Devant la portée de cet arrêt, plusieurs villes avaient renoncé à mettre sur pied leur propre service afin de ne pas engager leur responsabilité civile en cas de feu sur leur territoire. Pour les encourager à créer leur propre unité de protection contre les incendies, le gouvernement leur avait accordé une immunité dans la L.s.i. Lors d’une intervention de ses pompiers, une municipalité est exonérée de toute responsabilité à condition qu’elle ait adopté un plan de mise en œuvre du schéma et qu’elle ait pris ou réalisé les mesures prévues dans le plan. Cette immunité ne peut toutefois l’exonérer pour le préjudice dû à sa faute lourde ou intentionnelle, ont toutefois rappelé les tribunaux. 

Chaque seconde compte lors d’un feu 

Le plan adopté par Trois-Rivières imposait une obligation de déployer 10 pompiers en 10 minutes à l’époque où se sont déroulés les évènements. Or, selon Royal & Sun Alliance, ce scénario d’intervention n’avait pas été respecté lors de ce feu qui avait complètement détruit un bâtiment appartenant à un déneigeur. Il ressort de l’enquête qu’il n’y avait que six pompiers arrivés sur place dix minutes après la transmission de l’alerte. 

Douze minutes après l’alarme, 11 pompiers étaient arrivés sur place. Il en résulte, avait dit à ce propos le juge de la Cour supérieure, qu’il pourrait être perçu comme excessif de priver la ville du bénéfice de l’article 47 de la L.s.i pour deux minutes de retard. Or, une analyse effectuée aux États-Unis sur près de 500 incendies de bâtiments a permis d’observer que dans un scénario typique, l’embrasement général d’une pièce survient presque toujours dans les dix minutes après l’apparition d’une flamme vive. 

« Le ratio de 10 pompiers en 10 minutes n’a donc rien d’arbitraire, avait commenté le juge. Lorsqu’il s’agit de combattre un incendie, chaque seconde compte. » 

Le plan d’intervention non respecté 

L’assureur avait donc plaidé que les mesures prévues dans son plan de mise en œuvre et liées aux actes reprochés n’avaient pas été suivies, de sorte que la ville ne saurait bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue à la Loi sur la sécurité incendie. Trois-Rivières a invoqué cette immunité dont elle jouirait aux termes de la Loi sur la sécurité incendie, mais la Cour supérieure avait rejeté cette prétention compte tenu des circonstances précises de ce sinistre. 

Deux de ses trois juges ont maintenu les conclusions du juge de première instance selon lesquelles la Ville était responsable du quart des dommages, car elle n’avait pas acheminé 10 pompiers sur les lieux dans les 10 minutes de la première alarme tel que le prescrivait son schéma d’intervention et son plan de mise en œuvre du schéma. 

 Le juge dissident a estimé pour sa part que ce scénario était prévu seulement en 2015, soit trois ans après les évènements, lorsque toutes les mesures pour atteindre cet objectif seraient réalisées. Pour ce motif, selon lui, Trois-Rivières devait bénéficier de l’immunité et être exonérée de toute responsabilité, un point de vue qui n’a pas été partagé par ses deux collègues du banc d’appel. 

L’importance du plan de mise en œuvre du schéma 

Dans leur décision, les trois juges de la Cour d’appel se sont toutefois entendus pour souligner une erreur commise par le juge de la Cour supérieure, précise l’UMQ.

« Ce qui importe pour l’immunité, ce n’est pas le respect du schéma, mais bien le respect du plan de mise en œuvre du schéma, écrit-elle à ses membres. Le schéma prévoit des objectifs de protection optimale et non pas des obligations inflexibles. Toutefois, pour les juges majoritaires, cela ne change pas le résultat puisqu’ils considèrent que le plan de mise en œuvre imposait une obligation de déployer 10 personnes en 10 minutes à l’époque où se sont déroulés les évènements, ce que la ville n’a pas fait. »

Pas une faute civile 

Une fois qu’ils ont établi que Trois-Rivières ne pouvait pas jouir de l’immunité prévue par la loi, les juges de la Cour d’appel devaient analyser si selon le régime de responsabilité civile, la ville avait commis une faute qui la rendait responsable des dommages. Contrairement au juge de première instance, la Cour d’appel ne considère pas que l’omission de respecter le schéma et plan de mise en œuvre équivaut automatiquement à une faute civile, écrit à ce propos l’UMQ. Ce sont les circonstances particulières de ce sinistre qui amènent la Cour d’appel à conclure que la Ville a commis une faute. « Il faut donc retenir que ce n’est pas chaque cas de non-respect du plan de mise en œuvre qui sera considéré comme une faute génératrice de responsabilité civile. » 

Au final toutefois, pour cet incendie, la responsabilité de la ville a été retenue à hauteur de 25 % pour non-respect de son plan.