Exaspérés par les propos diffamants, haineux et les gestes d’intimidation dont ils font de plus en plus l’objet de la part de certains citoyens, les élus et les hauts fonctionnaires de dizaines de villes et municipalités du Québec ont adhéré à une assurance pour la protection de la vie privée et de la réputation qui a été créée à l’initiative de l’Union des municipalités du Québec (UMQ).

Après les assurances collectives des employés, les assurances de dommages pour les bâtiments et les équipements, les assurances contre les cyberattaques, les assurances contre les sinistres naturels, une assurance pour se mettre à l’abri des harceleurs ? « Nous en sommes rendus là », résume Christian Évraire, conseiller aux regroupements d’assurances et aux services à l’UMQ. Devant la montée des attaques, des propos haineux et des menaces physiques à l’égard des élus et des hauts fonctionnaires, l’UMQ a entrepris elle-même des démarches afin de trouver un assureur pour contrer ce fléau croissant. 

Une protection nouvelle au Québec 

Comme cette assurance n’était pas offerte au Québec, ni par un assureur ni par un courtier, il a fallu créer ce nouveau produit pratiquement sur demande. « Ça n’a pas été si facile, car c’était nouveau pour tout le monde, décrit ce conseiller en entrevue avec le Portail de l’assurance. La première étape a été de discuter avec des fournisseurs pour voir ce qui pourrait être fait, et par la suite, nous avons procédé à notre appel d’offres public. Il y a eu de l’intérêt de la part de deux fournisseurs, deux courtiers très connus dans le domaine municipal, BFL Canada et Aon Canada. » C’est le premier qui a obtenu le premier contrat de cinq ans. 

L’UMQ parle de protection unique au pays. « Elle existe en Europe, mais à notre connaissance, dit Christian Évraire, il n’existe aucun groupement d’assurance offrant une couverture de la protection de la vie privée ailleurs au Canada, du moins pour le monde municipal. » 

L’implantation au Québec d’une assurance de la protection de la réputation et de la vie privée marque un signal et une étape majeure face aux campagnes de salissage et d’intimidation dont font l’objet des hauts fonctionnaires et des élus des villes : avec cet outil, on ne mise plus uniquement sur la police pour se protéger des harceleurs, mais sur des avocats payés par un assureur.

Une prime moyenne par ville de 4000 $ 

Depuis sa création en 2020, environ 140 villes à travers le Québec membres de l’UMQ ont adhéré au Regroupement d’assurance protection de vie privée et de réputation. Parmi elles, Québec, Trois-Rivières, Victoriaville, Shawinigan, Valleyfield et plusieurs arrondissements de Montréal. Une campagne est en marche depuis quelques semaines afin de faire connaître davantage cette assurance et susciter plus d’adhésions auprès de la clientèle visée. Me Paul Brunet, directeur par intérim des services aux membres de l’UMQ, espère que 160 autres municipalités vont les imiter pour étendre cette couverture à plus d’élus et plus de hauts fonctionnaires. 

La prime moyenne annuelle versée par les villes membres du regroupement s’est élevée l’an dernier à 4 000 $. La valeur totale du contrat de cinq ans qui a été alloué par appel d’offres au courtier BFL Canada s’élève à environ 550 000 $ annuellement. Il viendra à échéance en 2025.

La couverture et les services offerts 

La police n’assure pas le conseil, mais des individus. Les élus et les directeurs, greffier, secrétaire-trésorier, couverts par l’assurance et qui se sentent menacés en paroles ou en gestes sont invités à contacter un bureau d’avocats mandaté par l’assureur afin d’exposer ce qu’ils vivent. On leur demande de le faire au plus tard dans les 15 jours où les faits surviennent, sans quoi leur demande devient inéligible, mais Me Manon Dagenais, avocate à ce bureau d’assistance juridique, leur conseille de les contacter dès que les événements se produisent, qu’ils surviennent ou non dans l’exercice de leurs fonctions.

Leur cas est étudié pour voir s’ils se qualifient. S’ils satisfont les critères, ils peuvent eux-mêmes prendre l’avocat de leur choix, qui va entreprendre les démarches juridiques auprès de l’harceleur pour faire cesser les attaques. Il va d’abord expédier une mise en demeure, demander une injonction ou présenter une demande de règlement à l’amiable. L’affaire peut aussi être portée devant les tribunaux, 

L’avocat choisi par le plaignant est rétribué par l’assureur au tarif de 200 $ l’heure, des honoraires que l’UMQ souhaite revoir à la hausse. Un délai de carence de 60 jours s’applique. Une franchise de 200 $ est exigée par événement au plaignant. L’assurance offre une couverture limite de 50 000 $ par municipalité, par événement. Un plafond de 1 M$ a été prévu annuellement par l’assureur pour l’ensemble des causes et des réclamations qui lui sont soumises pour l’ensemble des villes et municipalités membres du Regroupement.

La police de frais juridiques est là pour envoyer une mise en demeure à l’harceleur, mais elle n’est pas là pour payer des dommages à la personne diffamée, précise Me Manon Dagenais. Si la victime veut obtenir des dédommagements financiers, elle doit poursuivre le litige avec son avocat pour demander des dommages intérêt, mais c’est l’assuré qui doit assumer les coûts de cette démarche. Les frais associés à cette poursuite ne sont donc pas admissibles en vertu de la police. 

Un instrument de protection de la démocratie 

« C’est un programme que l’on voit comme un instrument de promotion et de protection de la démocratie », commente Christian Évraire. À date, cette couverture aurait donné des résultats. Des gens, dit-il, ont obtenu du succès après avoir fait parvenir une mise-en-demeure pour faire cesser les comportements reprochés. 

Mais peut-on réellement s’attendre à ce qu’une police d’assurance pour la protection de la réputation et de la vie privée obtienne du succès là où d’autres moyens, dont le recours aux tribunaux et à la police, ont échoué ? « Nous, on y croit, répond-il. C’est la raison pour laquelle on en fait fortement la promotion. En bout de piste, on croit que de plus en plus de villes vont chercher à se protéger parce que l’intimidation et le harcèlement sont des phénomènes en croissance. Ce produit peut non seulement avoir un effet dissuasif, mais encourager les gens à poser leur candidature en sachant qu’il existe cette protection. »