Deux études récemment publiées par le groupe World Weather Attribution (WWA) tentent de mesurer l’effet du réchauffement climatique sur l’intensité des catastrophes naturelles. Les chercheurs rappellent que la température moyenne mondiale a augmenté de 1,3 degré par rapport à l’ère préindustrielle. 

La première étude a été publiée à la fin du mois de septembre et concernait les inondations majeures qui ont frappé une très large partie de l’Europe centrale du 12 au 16 septembre 2024 lors du passage de la tempête Boris.

Des communautés de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie, de l’Autriche, de la Hongrie, de la Roumanie et de l’Allemagne ont reçu des quantités exceptionnelles de précipitations durant quatre journées consécutives. Plus de deux millions de personnes ont été touchées. Au moins 28 personnes ont perdu la vie, selon l’estimation faite à la fin de septembre. 

Plusieurs des régions inondées avaient déjà subi des inondations similaires en 1997 (100 décès en Allemagne seulement) et en 2002 (232 décès). Le nombre moins élevé de morts attribuables aux inondations de 2024 est attribué à plusieurs facteurs : les prévisions météorologiques sont plus précises, les alertes ont été nombreuses et faites suffisamment à temps pour que les évacuations aient lieu de manière préalable. De plus, dans plusieurs régions, les infrastructures ont été modifiées pour mieux supporter le volume de pluie. 

Le sinistre a été créé par une dépression du type « Vb ». Ces systèmes de basse pression se forment lorsque le froid polaire de l’air circule du nord au-dessus des Alpes, dévie vers le sud, amorçant un système cyclonique du côté des Alpes et de l’Italie du Nord, qui se développe ensuite et se dirige vers l’Europe centrale et orientale. Des masses d’air exceptionnellement froides se sont déplacées sur la Méditerranée et la mer Adriatique quelques jours avant l’événement pluvieux et se sont rechargées en humidité avant de se déplacer vers l’intérieur des terres. 

L’histoire se répète

En Pologne, ce sont plus de 400 mm de pluie qui sont tombés durant cet aléa climatique. Lors d’un webinaire où plusieurs des auteurs de l’étude étaient présents, le professeur Bogdan Chojnicki, du département de l’agrométéorologie de l’Université des sciences de la vie de Poznan, a insisté sur la nécessité de revoir les programmes d’indemnisation.

« Reconstruire à l’identique n’est vraiment pas une bonne idée et les gouvernements doivent arrêter de le faire. En 1997, on a eu des inondations qu’on estimait arriver une fois par millénaire. Ça n’a pas pris 27 ans, et on a eu une autre inondation historique », dit-il. Il ajoute que les systèmes météorologiques accumulent une plus grande quantité d’énergie en raison du réchauffement et que cela provoquera très probablement une augmentation des événements extrêmes. 

De son côté, Friederike Otto, de l’Institut Grantham sur le changement climatique et l’environnement à l’Imperial College de Londres, indique qu’avec le scénario d’un réchauffement global de 2 °C d’ici 2060, la probabilité d’un événement semblable de quatre journées intenses de pluie sera 50 % plus élevée qu’à l’heure actuelle, et que le volume de pluie sera 5 % plus élevé. 

La facture des dommages assurés sera de 2 à 3 milliards d’euros (G€), selon l’estimation de Gallagher Re rapportée dans l’étude du WWA. À propos de la vulnérabilité de certains États au risque d’inondation, la Banque mondiale estime que l’Allemagne subit déjà en moyenne 7,9 G€ par année en dommages assurés liés aux inondations fluviales et pluviales. À cet égard, le pays pourrait voir une hausse de 25 % par année des pertes assurées d’ici 2050.

Ouragan Helene 

World Weather Attribution a publié une étude similaire dans la foulée de l’ouragan Helene, qui a dévasté le sud-est des États-Unis le 26 septembre dernier. La tempête a causé d’énormes dégâts, avec des dommages assurés de plusieurs dizaines de milliards de dollars, et causé au moins 227 décès. Helene est devenue l’un des ouragans les plus meurtriers depuis 50 ans, devancée seulement par l’ouragan Katrina en 2005. 

L’onde de tempête a atteint 15 pieds (4,5 mètres) dans la région du Big Bend en Floride, qui n’avait jamais été frappée par un ouragan de catégorie 4 auparavant. On note que cette même région du Big Bend a été touchée par trois ouragans en 13 mois, après Idalia en août 2023 et Beryl en juillet 2024. 

Les vents de 225 km/h et les quantités énormes de pluie qui accompagnaient l’ouragan ont dévasté un vaste territoire qui s’étend sur plus de 800 km, de la Floride au nord-ouest de la Caroline du Nord, en passant par la Géorgie, le Tennessee et la Virginie.

L’étude du WWA a été rendue publique lors d’un webinaire tenu le 8 octobre dernier, auquel le Portail de l’assurance a participé. Un autre ouragan majeur, Milton, approchait alors de la Floride.

Les installations du National Centers for Environmental Information, situées à Asheville en Caroline du Nord, ont été durement touchées par cet ouragan. Ce laboratoire, qui relève de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), est une ressource essentielle pour l’analyse du climat, indique Bernadette Woods Placky, cheffe de la météorologie de l’organisme Climate Central

Cette dernière souligne que l’ouragan Helene est passé de la catégorie 2 à la catégorie 4 sur l’échelle de Saffir-Simpson en seulement 10 heures. « Cette accélération de l’intensité des tempêtes tropicales devient plus fréquente avec les changements climatiques. Si l’activité humaine continue de réchauffer le climat, nous verrons de plus en plus souvent des tempêtes se transformer en ouragans monstrueux qui feront encore plus de dommages », indique-t-elle. Elle ajoute que les émissions de combustibles fossiles ajoutent de la chaleur dans l’atmosphère et les océans et ces éléments « sont des stéroïdes pour les ouragans ». 

La température très élevée de l’océan dans le golfe du Mexique a été plusieurs fois mentionnée comme ayant contribué à l’intensification de l’ouragan. À partir de la catégorie 3, on parle d’ouragan majeur. L’ouragan Milton a frappé près de Sarasota vers 20 h le mercredi 9 octobre.

Pas une première 

Y a-t-il déjà eu deux ouragans majeurs frappant la Floride en moins de deux semaines auparavant, a demandé le Portail de l’assurance ? Mme Woods Placky précise que l’on ne savait pas encore à ce moment-là quelle serait la force de Milton au moment de toucher terre ; il était de catégorie 3 en fin de compte.

Les données fournies par le Florida Climate Center qu’elle rapporte montrent qu’en 2004, la Floride avait subi quatre ouragans en six semaines, dont trois majeurs : Charley (catégorie 4, 13 août), Ivan (catégorie 3, 16 septembre) et Jeanne (catégorie 3, 26 septembre). L’ouragan Frances avait perdu de la puissance et avait été rétrogradé à la catégorie 2 lorsqu’il a frappé la Floride le 2 septembre 2004. 

Cependant, le signal de la pression atmosphérique ayant chuté à 897 millibars au centre de l’ouragan, enregistrée alors que Milton prenait de l’intensité dans le golfe, était très inquiétant. Selon Mme Woods Placky, si la tempête avait touché terre dans la péninsule du Yucatan, au lieu de la contourner, les dommages auraient été considérables. 

L’étude de WWA, qui combine plusieurs modèles climatiques sur les extrêmes météorologiques et la vulnérabilité, révèle que les ouragans de même intensité que celle atteinte par Helene surviendront dans cette région selon une probabilité 2,5 fois plus élevée. Alors que leur récurrence était d’un tel événement était aux 130 ans, celle-ci est désormais d’une fois aux 53 ans. 

Par ailleurs, les vents atteints par Helene ont été 21 km/h plus forts, ou 11 %, qu’ils ne l’auraient été sans réchauffement climatique. Le volume de pluie a été haussé de 10 %. La température de l’eau dans le golfe du Mexique, qui a contribué à l’intensité de l’ouragan, est nettement attribuable au réchauffement du climat.

Pas juste sur les côtes

Enfin, les chercheurs estiment que les autorités américaines doivent désormais se préparer à des inondations catastrophiques liées à ces ouragans non seulement dans les États côtiers, mais aussi dans les États voisins, comme on l’a vu dans le nord-ouest de la Caroline du Nord.

À certains endroits dans cette région, ce sont plus de 30 pouces de pluie (ou 762 mm) qui ont été enregistrés sur une période de quatre jours, un événement qu’on voit une fois par millénaire.

Là où le bassin versant de nombreux cours d’eau démarre de la chaîne montagneuse des Appalaches, le débit et la hauteur ont atteint des records. À Asheville notamment, le niveau de la rivière French Broad est monté à un sommet de 24,7 pieds (7,5 mètres), battant le record établi lors d’une inondation tristement célèbre survenue en 1916. 

Le 11 octobre, après analyse de l’ouragan Milton, le WWA confirmait que les mêmes effets notés pour l’ouragan Helene étaient à l’origine de la vigueur exceptionnelle du deuxième ouragan ayant frappé la côte ouest de la Floride en moins de deux semaines. 

Cet article est un Complément au magazine de l'édition de novembre 2024 du Journal de l'assurance.