« Les technologies dans le domaine automobile ont évolué plus vite que certains assureurs. » C’est le constat qu’a fait au cours des dix dernières années Éric Bernard, le président de L’Expert carrossier Rive-Sud, une entreprise fondée à Lévis en 1973.

Apparition des écrans tactiles, installation de caméras, multiplication de capteurs dans les couverts de pare-chocs ou encore radars, les premières voitures à bénéficier de hautes technologies sont les véhicules de luxe. Pourtant aujourd’hui, des modèles de moyenne gamme, voire bas de gamme, en sont munis, ce qui pose un défi pour les 600 à 800 carrossiers de la province qui obtiennent du référencement des assureurs. 

« Je suis persuadé que la plupart des carrossiers sont en mesure de réparer facilement un véhicule de 2010 à 2015, estime Éric Bernard. Mais présentement, il n’y a pas 50 % des carrossiers qui peuvent le faire pour des véhicules de 2015 à 2025 et à peine 20 % qui ont la capacité de faire pour des voitures de 2020 à 2025. » 

Longtemps, la réparation de carrosserie était considérée comme un travail d’artisanat. Aujourd’hui, c’est de la technologie. Il y a plus de capteurs dans certains modèles BMW que dans des avions de chasse, leur a indiqué le manufacturier allemand lors de ses formations.

En 2024, indique le propriétaire de l’atelier, 80 % des pièces d’un véhicule ne se réparent plus : elles se remplacent. Rebâtir un véhicule de haute technologie peut s’avérer très coûteux. Le professionnel indique qu’un assureur a dû débourser 30 000 $ pour un module radar. Des phares remplacés sur une BMW de luxe coûtaient 10 000 $ chacun et la réparation totale du véhicule, la plus haute jamais faite par son garage, a atteint 80 000 $.

« Les actuaires se sont tirés dans le pied » 

« La problématique que vivent les assureurs aujourd’hui, dit Éric Bernard, c’est que les actuaires se sont tirés dans le pied parce qu’ils ne comprenaient pas l’évolution de la technologie. En 2015, refaire le devant d’un Ford Escape coûtait environ 5 500 $. Aujourd’hui, le même travail en vaut le double, mais des compagnies d’assurance n’ont pas validé ce coût sur un modèle prescrit. »

En plus du prix très élevé des pièces, les coûts de main-d’œuvre jouent un rôle très important dans la hausse de la facture de réparation de carrosserie, indique M. Bernard. Si les techniciens ont longtemps été payés entre 25 et 30 $ par heure, dans son atelier, ils possèdent un très haut niveau de formation et gagnent entre 45 $ et 55 $ par heure.

5 000 véhicules réparés chaque année 

Chaque année plus de 5 000 véhicules, dont un grand nombre de voitures de très grand luxe, sont réparés dans ses installations modernes considérées comme le deuxième plus grand atelier de carrosserie au Canada. Des dizaines de techniciens hautement qualifiés s’y affairent au milieu d’équipements très coûteux exigés par des manufacturiers réputés, notamment Porsche, BMW et Audi

La construction de cet atelier en 2019 a nécessité un investissement de 10 millions de dollars uniquement pour le bâtiment, auquel il faut ajouter la valeur des équipements. Les techniciens ont un grand écran vidéo devant eux avec lequel ils sont en contact direct avec des représentants des différents manufacturiers qui les guident lors de réparations minutieuses. Tous ces procédés se reflètent dans le coût de revient des réparations facturées aux assureurs.

Or, Éric Bernard s’est fait dire par certains : « On ne paiera pas pour ton château en or… ». 

Une industrie à deux vitesses 

En entrevue avec le Portail de l’assurance, ce dernier a brossé le portrait d’une industrie de la réparation automobile qui fonctionne à deux vitesses. D’un côté des ateliers se modernisent au rythme de l’évolution technologique des véhicules et des assureurs s’adaptent à cette transformation majeure. De l’autre, des carrossiers et des compagnies d’assurance vivent encore à une autre ère.

« Nous avons récemment refusé de prendre un véhicule pour lequel la compagnie d’assurance nous offrait 56 $ par heure, grimace le grand patron de l’entreprise. L’assureur tire profit du fait que l’industrie de la carrosserie ne soit pas suffisamment structurée. Il peut se promener d’un atelier à un autre pour faire baisser les prix. » 

Des départements qui ne se parlent pas 

Un des problèmes des assureurs, croit-il, est que le département de la souscription et celui de l’indemnisation ne se parlent pas. L’évaluateur sur le terrain est au courant de la difficulté à réparer des véhicules récents et des coûts liés à la technologie, mais quand le dossier parvient au directeur des sinistres de certaines compagnies l’objectif reste de payer le plus bas montant possible.

L’expert carrossier Rive-Sud, qui possède les certifications de Porsche, Audi, BMW et Tesla, a des ententes de partenariat avec Desjardins, Industrielle Alliance et Promutuel. Ces assureurs sont conscients des coûts de réparation des véhicules à la pointe de la technologie et acceptent de payer en conséquence, mais d’autres ne s’en préoccupent pas. Éric Bernard refuse de nommer ces compagnies, mais il critique sévèrement certains individus au sein de ces organisations. 

« Ils prennent une décision en se préoccupant très peu du véhicule de leur assuré, déplore-t-il. Ils font réparer de sorte que les dommages ne paraissent pas et non pas pour se conformer aux procédures manufacturières. Il faut regarder ce que l’assureur économise en trichant. Le seul qui est bien placé pour dire que le véhicule est réparé selon ses normes, c’est le manufacturier, pas l’assureur », indique-t-il.

Formations des réparateurs 

Éric Bernard ne fait pas que critiquer certains assureurs. Il le fait aussi pour des entreprises de son propre secteur. 

« La problématique que l’on vit dans notre industrie, c’est que les réparateurs ne vont pas chercher les formations nécessaires de façon assez régulière pour être capable de réparer adéquatement les voitures qui roulent sur nos routes », déplore-t-il.

Plusieurs ateliers de carrosserie, dit-il, ont compris que l’avenir passait par la formation des techniciens et la certification, même si c’est très coûteux. 

« Malheureusement, plusieurs assureurs montrent aux carrossiers que ça n’ajoute rien d’avoir des certifications ou des formations, car ils vont tout de même y envoyer des clients. Ils recommandent leurs clients à des ateliers qui ne vont pas réparer selon les normes du manufacturier. Certains font un excellent travail, mais ne répondent pas à ces normes », explique M. Bernard.

Les véhicules électriques, de véritables bombes 

En l’absence de réglementation gouvernementale de l’industrie de la carrosserie, il craint une tragédie.

« Une voiture électrique, c’est une bombe. Mal réparée pour des raisons pécuniaires, elle pourrait provoquer une catastrophe. Si elle prend en feu dans un garage et que l’incendie se propage à la maison, cela pourrait entraîner une perte de vies humaines. C’est malheureusement ce qui va conduire au changement. » 

Éric Bernard entrevoit toutefois l’avenir de façon très positive. D’abord, il croit que l’époque où l’assureur faisait la loi s’achève, car le manufacturier prend de plus en plus position au chapitre de la réparation et l’avenir passe par la distribution de pièces de remplacement. L’atelier qui n’a pas de certificat ne pourra pas les obtenir, ce qui va favoriser des ateliers certifiés comme le sien. 

En outre, il se réjouit que des changements d’organisation des assureurs dans l’indemnisation. « Ça va faire bien du bien à l’industrie », conclut-il.