Le ministre des Finances du Québec reconnaît que le retour à l’équilibre budgétaire exigera des efforts de la part du gouvernement et de la société, notamment du côté des dépenses. À cet égard, la révision des mesures fiscales sera à l’ordre du jour en 2024-2025.
Éric Girard a fait ce constat lors d’un webinaire offert par le Cercle finance du Québec et l’Association des économistes du Québec, le 18 mars dernier. Selon les organisateurs, près de 1 000 personnes ont assisté à la discussion. Le même jour, le ministre a d’ailleurs présenté son budget lors d’un déjeuner présenté par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
Après avoir subi des critiques abondantes en lien avec l’annonce d’un déficit de 11 milliards de dollars (G$) dans son budget 2024-2025 rendu public le 12 mars dernier, Éric Girard a immédiatement mis les pendules à l’heure en commençant sa présentation. « C’est certain que le déficit que nous avons divulgué est plus important que prévu », dit-il.
Certes, la hausse des dépenses salariales consenties dans le secteur public a été plus élevée que ce qu’il prévoyait le 23 octobre dernier, deux semaines avant sa mise à jour économique. Mais M. Girard rappelle que son gouvernement a aussi haussé de 53 % les sommes prévues au Plan québécois des infrastructures depuis le premier budget déposé en 2019.
« Notre engagement envers nos secteurs de l’éducation et de la santé va bien au-delà des conditions de travail, mais c’est impossible de réussir ce qu’on veut faire sans la collaboration de nos employés », ajoute-t-il.
Le report du plan de retour à l’équilibre budgétaire d’un an permettra à l’ensemble des analystes de faire valoir ce point de vue, fait valoir Éric Girard. Même si le ratio de la dette sur le produit intérieur brut (PIB) sera maintenu à 39 ou 40 % d’ici cinq ans, le gouvernement maintient sa cible de réduction de la dette nette à 30 % du PIB d’ici 2037-2038.
« Certains ont dit que j’aurais dû démissionner, que j’ai perdu toute crédibilité après avoir prévu un déficit de 3 G$ pour l’année qui vient en novembre dernier, pour finir à un déficit de 11 G$ », dit-il.
Le ministre Girard prend soin d’expliquer que depuis cinq mois, les dépenses ont augmenté de 3 G$ en raison des nouvelles conventions collectives, tandis que les revenus ont chuté de 1,7 G$, essentiellement en raison de la baisse des ventes d’électricité par Hydro-Québec et des profits en baisse dans les entreprises.
En plus, la provision pour éventualités avait été utilisée en novembre pour maintenir le déficit anticipé à 3 G$ en 2024-2025. « Je n’aurais pas eu plus de félicitations pour avoir prévu un déficit de 4,5 G$ en novembre », dit-il.
Le taux d’intérêt
Le taux directeur de la Banque du Canada a été haussé de 450 points de base depuis l’été 2022. « Et malheureusement, ça fonctionne. L’économie du Québec n’est plus en croissance depuis le deuxième trimestre de 2023 », indique M. Girard.
Le produit intérieur brut réel a grimpé de 0,2 % en 2023 et la croissance sera encore limitée à 0,6 % en 2024, avant de remonter à 1,6 % en 2025.
En conséquence, le ralentissement de l’inflation devrait permettre bientôt un assouplissement de la politique monétaire. Le gouvernement Legault espère cette détente pour le deuxième semestre de 2024 et il prévoit que le taux directeur devrait baisser de 5 % à 4 % d’ici la fin de l’année.
Éric Girard souligne que la part des dépenses du gouvernement dans l’économie représente 24,3 % du PIB du Québec en 2018-2019. Ce taux a atteint 28 % durant la pandémie en 2020-2021.
« Malheureusement, plusieurs des dépenses temporaires durant la COVID sont devenues permanentes », déplore-t-il. Il donne les exemples des subventions salariales pour les employés des résidences privées pour aînés (RPA), des centres de dépistage, de l’aide au transport en commun, etc.
Pour limiter la part des dépenses dans le PIB à 25,6 % en 2028-2029, comme il le prévoit dans son budget, le Québec devra limiter cette croissance à 3 % par année. Cela signifie 4 % par année en santé, 3 % en éducation et 2 % pour toutes les autres missions de l’État.
Le travail de limitation des dépenses est déjà commencé en 2024-2025, affirme-t-il. Les nouvelles mesures annoncées dans le budget totalisent 5,9 G$ sur six ans, alors que durant les cinq années précédentes, Éric Girard prévoyait environ 15 G$ en nouvelles mesures sur une période de six ans.
Les dépenses fiscales
Le ministre Girard annonce la révision de certaines aides fiscales aux entreprises, qui passera par l’évaluation de la performance de ces crédits d’impôt, dont certains ont certainement perdu de leur pertinence, reconnaît-il. En page E27 du budget 2024-2025, le gouvernement estime que les quelque 277 mesures fiscales représentaient un coût estimé à 49 G$ en 2023.
Les crédits d’impôt accordés aux secteurs des affaires électroniques, de la production de titres multimédias et de la production cinématographique coûtaient moins de 500 millions de dollars (M$) en 2012-2014. À la fin de mars 2023, ce coût a plus que doublé pour atteindre 1,15 G$.
Ces crédits ont été créés à l’époque où le taux de chômage était à 10 %. « Depuis 2019, les chercheurs nous avisent que ces crédits d’impôt n’étaient plus adaptés à la réalité québécoise », dit-il.
Les modifications apportées réduiront le coût de l’aide fiscale aux entreprises sera d’un peu plus du milliard de dollars pour la période du 1er avril 2024 au 31 mars 2029. Cependant, l’essentiel de cet impact se mesurera à partir de 2026-2027. La baisse des crédits totalise à peine 55 M$ dans les deux prochaines années.
Réaction des chercheurs
Il y a quelques semaines, le Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) de l’École des HÉC Montréal remettait en question la pertinence de la politique industrielle du Québec des 25 dernières années. Il y était notamment question de l’utilisation des crédits d’impôt accordés à certains secteurs économiques.
Selon le Centre, les milliards de dollars dont se prive le gouvernement chaque année n’ont que très modestement contribué à améliorer la productivité au Québec.
Le Portail de l’assurance a demandé aux auteurs du Bilan annuel sur la productivité et la prospérité s’ils désiraient commenter le budget déposé soumis par le ministre Girard. Jonathan Deslauriers, directeur exécutif du Centre, indique que l’organisme ne commente généralement pas l’actualité.
« Cela étant dit, j’ai lu le budget hier. De jure, le gouvernement reconnaît l’urgence d’agir. De facto, la portée de ses actions est limitée », écrit M. Deslauriers.
Selon lui, le gouvernement « reconnaît l’importance de réformer la structure de son aide fiscale, mais les changements proposés demeurent embryonnaires. La réforme limitera à la marge la portion remboursable des crédits aux jeux vidéo et aux affaires électroniques ».
Il ajoute : « Autrement dit, les économies seront à terme marginales. La seule réforme effective concerne l’harmonisation des taux de ces deux crédits, la structure actuelle tendant à interférer dans l’équilibre de la concurrence. »
Le gouvernement reconnaît par ailleurs l’importance de réviser ses programmes, comme le réclamaient les chercheurs du Centre, mais l’exercice sera fait à l’interne par le ministère des Finances et par le Conseil du Trésor. « Tout porte à croire que notre message est effectivement passé », conclut M. Deslauriers.