Un jugement récent de la Cour d’appel du Québec donne raison en partie à l’assureur Desjardins sécurité financière (DSF) dans un litige en assurance invalidité. La Cour supérieure avait jugé que l’assuré avait droit aux prestations que l’assureur avait cessé de payer à partir d’avril 2015. La Cour d’appel estime plutôt que les prestations ne sont plus payables depuis mai 2019 en raison du comportement de l’assuré.
DSF doit néanmoins verser à Denis Hébert quelque 250 768,12 $ en prestations pour la période du 1er avril 2015 au 30 avril 2019, soit 49 mois de prestations. La Cour d’appel maintient le versement de 20 000 $ en dommages-intérêts compensatoires imposé à l’assureur par la juge Janick Perreault de la Cour supérieure.
Cette dernière avait accueilli la réclamation faite par M. Hébert dans un jugement rendu le 17 mai 2022. L’assuré avait adhéré à la police d’assurance collective convenue entre la Fédération des médecins spécialistes du Québec et l’assureur, dont il était membre en tant que dermatologue.
En plus, l’assureur devra aussi payer les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à l’échéance du paiement dû de chaque prestation. Selon l’estimation faite par le Portail de l’assurance, en plus des 49 mois de prestations d’invalidité à verser, la facture des intérêts et de l’indemnité additionnelle est d’environ 96 000 $.
De plus, la Cour d’appel ordonne à l’assureur de faire bénéficier l’assuré de l’exonération des primes pour la période allant du 1er avril 2015 au 30 avril 2019.
L’assureur doit aussi rembourser les frais de justice, incluant les frais d’expertise de 23 318,39 $, associé au jugement de première instance. La Cour d’appel n’impose pas de frais de justice aux parties, vu le résultat limité de l’appel.
L’invalidité
Le jugement de la Cour d’appel a été rédigé par Marie-France Bich au nom de ses collègues Frédéric Bachand et Peter Kalichman.
Le 2 novembre 2014, M. Hébert est victime d’un infarctus du myocarde. Quelques mois plus tard, après avoir tenté un retour progressif, il se résigne à fermer sa clinique privée. Lors de l’audience tenue en mars 2022, il soutient être toujours dans un état d’invalidité totale depuis 2014. Le droit aux prestations prenait fin en août 2023 quand il a eu 65 ans.
Au fil des mois, même si le médecin traitant constate que si M. Hébert s’est remis de son infarctus, « il continue d’éprouver des symptômes qui l’empêchent véritablement d’exercer ses fonctions professionnelles habituelles ». Le médecin de famille de l’assuré constate les mêmes symptômes, mais n’arrive pas non plus à identifier la source du problème.
L’affaire se distingue pour deux raisons, note la Cour d’appel. Premièrement, la véritable cause de l’invalidité a été découverte en cours d’instance, bien après que l’assureur eut cessé le versement des prestations. Deuxièmement, le prestataire refuse les traitements que pourrait nécessiter la condition de santé nouvellement révélée. Le tribunal rappelle que personne n’allègue que l’assuré simule ses symptômes.
Un autre médecin-conseil mandaté par l’assureur lui soumet un rapport en juillet 2015, et ce, sans rencontrer l’assuré ni avoir la totalité de son dossier médical en main. Il estime que M. Hébert était fort probablement en mesure de reprendre le travail à l’hôpital ou dans une clinique en fonction d’un horaire à déterminer.
Poursuite en 2016
Le 7 août 2015, l’assureur écrit au prestataire pour lui confirmer que les prestations ne seront pas rétablies. DSF estime qu’il n’est plus invalide depuis avril 2015. Les échanges qui ont suivi entre l’assureur et les médecins du client n’ont rien changé. L’assureur écrit au client en avril 2016 pour dire que sa décision est maintenue. M. Hébert intente son recours en septembre 2016.
Dans le cadre de l’instance en Cour supérieure, un nouvel expert mandaté par l’assureur examine l’intimé. Ce dernier confirme une invalidité partielle pour la période allant du 1er avril au 7 octobre 2015. L’assureur reconnaît devoir des prestations d’invalidité partielle pour cette période. Dans son mémoire à la Cour d’appel, l’assureur demande qu’il soit donné acte de cette offre, laquelle a été rejetée par l’assuré. Dans son jugement, la Cour d’appel rejette cette demande de l’assureur.
À la suggestion de son propre avocat, M. Hébert accepte de rencontrer un psychiatre, lequel remet son rapport en juillet 2018. Ce dernier conclut que les symptômes de l’assuré sont bien invalidants, mais qu’ils ne relèvent pas de sa condition physique, mais d’un « trouble symptomatologique somatique d’évolution chronique » qui découle de l’impact psychique de l’infarctus subi en novembre 2014.
L’anxiété d’avoir à revivre un nouvel épisode cardiovasculaire a un effet paralysant qui le mène à restreindre fortement toutes ses activités. La Cour d’appel souligne que ce rapport n’a pas été transmis aux médecins traitants.
Dans un rapport soumis en février 2019, un autre psychiatre mandaté par l’assureur affirme que les troubles divers ne sont pas invalidants et que l’intimé souffre surtout d’une tendance à la dramatisation. Il note aussi que l’intimé n’a reçu aucun traitement pour ce trouble psychologique et qu’il ne voit pas l’intérêt de demander un tel suivi. Le dossier du médecin traitant confirme que dès mars 2017, M. Hébert a refusé de voir un psychologue en disant qu’il n’était pas déprimé.
Au procès, l’assuré est interrogé concernant l’absence de suivi psychologique. M. Hébert indique être bien conscient qu’une grosse partie de ses problèmes psychologiques provient du conflit qui l’oppose à l’assureur. Dans son jugement, la Cour supérieure souligne d’ailleurs que le refus de l’assureur de verser des prestations à partir de mai 2015 « a empoisonné » la vie de M. Hébert.
En appel
La Cour d’appel accueille un des moyens d’appel de l’assureur qui estime que l’incapacité de M. Hébert ne peut être considérée comme invalidité au sens de la police d’assurance, car il « n’a jamais été sous les soins d’un professionnel pour la condition psychologique invalidante alléguée et n’a fait aucune démarche en ce sens ». Les clauses 1 (9) et 7 (4) de la police réitèrent cette exigence en subordonnant le versement des prestations au traitement médical ou au suivi régulier de la condition invalidante, sauf si cette condition est stationnaire.
La juge Bich indique que comme l’assuré a choisi de ne pas faire traiter sa condition psychologique, la juge Perreault a commis une erreur révisable en statuant autrement. La Cour d’appel affirme que le jugement de première instance n’a pas tenu compte de « l’obligation de mitigation » qui incombe à l’assuré en vertu de l’article 1479 du Code civil.
L’assureur est tenu « de verser des prestations lorsque cette invalidité se manifeste, mais peut — et c’est le corollaire de la clause 1 (9) — cesser de le faire lorsque l’assuré n’est pas sous traitement médical et sous les soins réguliers d’un médecin », lit-on au paragraphe 48 du plus récent jugement.
L’assureur a le droit de vérifier périodiquement que l’assuré remplit bien et continue de remplir les conditions du versement des prestations. L’exigence d’un suivi médical continu est l’un des moyens envisageables. Cette exigence « contractualise, en quelque sorte, et adapte au contexte de l’assurance l’obligation de mitigation qui incombe à l’assuré », ajoute la cour. Dans ce cas-ci, l’assuré doit se faire soigner.
La jurisprudence citée par la juge Bich ne parle pas expressément de mitigation, « mais l’on comprend que celle-ci en est implicitement le fondement ». Si l’assuré peut subir un traitement de nature à favoriser sa réadaptation, il ne peut s’en abstenir, sauf si le traitement est peu utile, expérimental, risqué, disproportionné ou déraisonnable.
Cependant, l’assureur devait prouver que l’assuré ne remplit pas les conditions d’octroi et de maintien de la prestation. La juge de première instance avait raison de conclure en ce sens, indique la Cour d’appel. Après avoir reconnu l’invalidité, l’assureur doit justifier sa décision en établissant que la situation a changé. La juge Bich conclut que l’assureur ne s’est pas déchargé de ce fardeau pour la période se terminant à la fin avril 2019.
Nouveau diagnostic
Jusqu’au 24 juillet 2018, à l’occasion de l’expertise du premier psychiatre rencontré par M. Hébert, le tribunal estime que ce dernier était bel et bien incapable d’exercer ses fonctions principales. Pour la période qui suit, la juge Perreault « règle sommairement cet aspect crucial de l’affaire en concluant que l’intimé fait l’objet d’un suivi médical constant depuis son infarctus et que son état est effectivement stationnaire », selon la Cour d’appel. La lecture du contrat d’assurance faite par la juge de première instance est limitative et comporte une double erreur révisable. Le suivi médical est bien constant, mais insuffisant au sens de la police, qui exige le suivi de la condition médicale invalidante.
La Cour d’appel reconnaît que le cas de l’assuré est particulier. En juillet 2018, un peu plus de trois ans et demi après l’infarctus, l’assuré a 60 ans et n’exerce aucune activité professionnelle depuis mars 2015. Selon l’expertise du premier psychiatre, les possibilités de réhabilitation de l’assuré ne sont pas supérieures à 50 %.
« La preuve au dossier n’établit pas l’état stationnaire de la condition de l’intimé à partir de 2018 et il est impossible de conclure qu’il l’est, tout comme il est impossible de conclure qu’à cette date, un traitement aurait été inutile », écrit la Cour d’appel.
La juge Bich établit qu’après avril 2019, l’assureur avait mis dans sa défense l’absence de suivi ou de traitement comme un obstacle au versement des prestations. À partir de là, l’intimé savait que son refus de traitement était contraire aux conditions de la police.
Dans ces circonstances exceptionnelles, la juge Bich indique qu’il est raisonnable et équitable de déclarer que l’assuré, faute de se conformer à son obligation contractuelle, a perdu le droit aux prestations qu’il réclame de l’assureur à partir du mois de mai 2019.
Il ne relevait pas de la responsabilité de l’assureur de découvrir lui-même la source de l’invalidité de l’assuré, souligne la Cour d’appel. Cependant, le traitement de la réclamation initiale de 2015-2016 contribue à la faute de l’assureur qui est traitée dans le jugement concernant l’attribution de dommages moraux.
Dommages moraux
Au Québec, les tribunaux doivent déterminer si l’assureur a commis une faute dans le traitement de la réclamation ou s’il y a absence de preuve du préjudice moral allégué par l’assuré.
La juge Bich détermine que l’assureur a commis une faute qui justifie l’octroi de dommages-intérêts, lorsqu’il a abruptement décidé de mettre fin aux prestations en avril 2015. Lorsque l’assuré a contesté cette décision, sa demande a été traitée « de manière cavalière », en s’en remettant aux notes expéditives d’un expert à qui l’on n’a pas fourni toute l’information médicale pertinente.
De l’autre côté, les rapports du médecin traitant étaient minutieux, solides et détaillés. L’assureur ne pouvait pas fermer les yeux et ne pouvait conclure que la source des symptômes de l’assuré n’ayant pas été identifiée, l’invalidité était inexistante.
En analysant le dossier, la juge Bich conclut que très tôt dans le processus de réclamation, l’assureur a considéré que son client s’était lui-même « mis en invalidité » en fermant sa clinique. Cette opinion est basée sur la première expertise du médecin qu’il a mandaté, dont l’opinion était préliminaire. En conséquence, la juge de première instance avait raison de conclure que le comportement de l’assureur ne satisfait pas à ses obligations contractuelles.
La mitigation
Le jugement de première instance et celui de la Cour d’appel nous ont été transmis par Me Maurice Charbonneau, du cabinet Trivium. Le Portail de l’assurance n’a pas traité le premier jugement, comme l’assureur a rapidement demandé la permission d’en appeler.
Une semaine après avoir fait parvenir son résumé de la décision de la Cour d’appel, Me Maurice Charbonneau a réexpédié le jugement en ajoutant un commentaire critique. Ses réserves sont reliées à l’application du principe de mitigation en assurance de personnes. Nous y reviendrons dans un prochain article.