Malgré la baisse des taux d’intérêt à long terme, le prix des rentes collectives demeure alléchant aux yeux des promoteurs de régimes de retraite à prestations déterminées. Plusieurs en profitent pour acheter ces produits afin de réduire les risques auxquels s’expose leur caisse de retraite.
Le marché du transfert des risques de retraite en bénéficie largement. Firmes de conseillers en actuariat et compagnie d’assurance de personnes orchestrent de plus en plus de transactions de grande taille que les initiés qualifient de « jumbo ». Elles représentent des achats de rentes collectives de 750 millions de dollars (M$) ou plus.
Produit d’assurance qui verse un revenu de rente mensuel garanti à son bénéficiaire, la rente permet d’éloigner des risques comme celui de la longévité. En raison de l’augmentation de l’espérance de vie, des régimes craignent en effet de devoir verser des prestations aux retraités plus longtemps que prévu. La rente permet aussi aux promoteurs de régime de se délester des risques de taux d’intérêt et des marchés financiers, ainsi que du risque d’inflation, lorsqu’il s’agit d’un régime qui offre des prestations de retraite indexées.
Parmi les plus récents mouvements dans ce marché, WTW rapporte qu’IBM Canada Limitée a finalisé au mois d’octobre 2024 une transaction de rachat de 1,5 milliard de dollars (G$). Cette transaction vise 6 000 membres du régime d’IBM Canada. Une transaction de rachat signifie que les assureurs rachètent les engagements du promoteur du régime envers ses participants. Au terme d’une telle transaction, les assureurs deviennent administrateurs et responsables de verser les rentes aux participants du régime.
Deuxième plus grande transaction
« Il s’agit de la deuxième plus grande transaction de rente jamais réalisée sur le marché canadien », commente WTW dans son bulletin Le pouls du marché des rentes collectives — Troisième trimestre de 2024. Le conseiller révèle que la transaction a été réalisée avec Compagnie de Rentes Brookfield et RBC Assurances.
Les communiqués publiés le 31 octobre par chacun des assureurs affirment que RBC Assurance et Compagnie de rentes Brookfield « assureront respectivement 25 % et 75 % des versements de rente de chacun des quelque 6 000 participants au régime ». Les deux mentionnent que RBC Assurances agira en tant qu’administrateur principal et versera les revenus de retraite protégés à tous les retraités et à leurs bénéficiaires, à compter du 1er mai 2025.
Ce n’est pas fini
WTW a dominé le marché canadien du transfert des risques de retraite en 2023, avec une part de 29 % (par rapport à 20 % pour son plus proche rival, Aon). Il dit s’attendre à une année record en 2024. « Nous estimons que les souscriptions de rentes collectives progresseront de 5 G$ au quatrième trimestre, ce qui portera le volume total des souscriptions en 2024 à plus de 10 G$ », écrit WTW. Le volume total a atteint 7,8 G$ en 2023, ainsi qu’en 2022.
Il faudrait que tout s’arrête vraiment rapidement d’ici à la fin de l’année pour qu’on ne parvienne pas à battre le record de 7,8 G$ — Mathieu Tessier
Vice-président des relations clients et de l’innovation, solutions prestations déterminées, à Sun Life, Mathieu Tessier voit mal comment le marché pourrait faire autrement que surpasser les résultats de 2023. « Il faudrait que tout s’arrête vraiment rapidement d’ici à la fin de l’année pour qu’on ne parvienne pas à battre le record de 7,8 G$ », a commenté M. Tessier, en entrevue avec le Portail de l’assurance.
M. Tessier dit plutôt voir de nombreux signes d’une autre année record pour le marché en 2024, dont plusieurs transactions prévues d’ici la fin de l’année. Il convient cependant que certaines d’entre elles pourraient être reportées au premier trimestre de 2025, faute de temps pour les compléter.
Parmi les transactions rendues publiques en 2024, RBC Assurances, Sun Life et Desjardins Assurances ont souscrit des rentes collectives avec rachat des engagements d’une valeur de 923 M$ pour les membres d’un régime de retraite de Ford Canada. WTW a agi comme conseiller dans cette transaction. M. Tessier a précisé que cette transaction a été rendue publique en 2024, mais réalisée en 2023.
D’autres transactions réalisées en 2024 n’ont pas été rendues publiques. Parmi elles, M. Tessier révèle que Sun Life a réalisé seul une transaction de 1,2 G$ de rentes avec un promoteur de régime au deuxième trimestre de 2024. En 2023, Sun Life occupait la tête du classement du marché, avec 28 % des parts. Plus proche rival de Sun Life en 2023, RBC Assurances en réclamait 19 %.
De petit à grand
Mathieu Tessier observe que les transactions de rentes collectives réalisées de 2008 à 2024 dans le marché du transfert des risques liés aux régimes de retraite à prestations déterminées canadiens ont atteint plus de 60 G$. « Avant 2013, le marché des rentes collectives était relativement petit. Les transactions qui s’y concluaient totalisaient environ un milliard de dollars par année », a-t-il rappelé.
Ce qui a selon lui propulsé le marché des rentes collectives, c’est le nombre important de régimes de retraite qui se maintiennent depuis longtemps à un niveau de capitalisation des plus élevés.
Baisse des taux : pas un enjeu
Mathieu Tessier estime en outre que la tarification des rentes demeure très avantageuse. De nombreux promoteurs de régimes en profitent pour réduire les risques de leurs régimes de retraite, note-t-il.
M. Tessier ne s’inquiète pas de la baisse du taux directeur, que la Banque du Canada a ramené de 5,00 % le 10 avril à 3,75 % le 23 octobre. Il explique que la durée du contrat de rente collective repose sur un point milieu qui oscille entre 10 à 15 années. « Nous regarderons plus les obligations d’une durée de 10 à 30 ans que le taux directeur d’une journée », explique-t-il.
Il porte aussi attention aux écarts de crédit des obligations fédérales et provinciales. Il observe aussi les écarts de crédit des obligations de sociétés (souvent appelées obligations corporatives), dont le rendement est généralement plus élevé que celui des obligations gouvernementales.
La baisse des taux de plus longue durée ne l’inquiète pas non plus. Selon les statistiques de la Banque du Canada, le rendement moyen des obligations négociables du gouvernement canadien de plus de 10 ans s’est établi à 3,34 % le 1er novembre 2024, après avoir connu un sommet de 4,07 % le 3 octobre 2023.
Actuellement, le rendement des rentes est supérieur à celui d’un portefeuille obligataire composé de titres de sociétés, « surtout quand on tient compte des risques qui seront transférés avec la rente ». « Il y a 5 ou 6 ans, le rendement des rentes était plus près de celui d’un portefeuille d’obligations gouvernementales », dit-il.
À rendement égal entre une classe d’actifs et une rente collective, le bénéfice additionnel de transférer du risque peut suffire à convaincre les promoteurs de passer d’un portefeuille de placement à gestion passive à une rente collective, croit Mathieu Tessier.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition de novembre 2024 du Journal de l'assurance.