L’Association canadienne des assureurs de personnes (ACCAP) souscrit aux exigences contenues dans le projet de loi 68 qui vise à réduire la charge administrative des médecins. Son appui s’accompagne toutefois d’une inquiétude quant aux effets très négatifs qu’il pourrait avoir sur l’assurance invalidité.  

Responsable du projet de loi, le ministre du Travail, Jean Boulet, explique qu’il vise à interdire à un assureur ou à un administrateur de régime de requérir un service médical afin d’obtenir le remboursement de services dispensés par d’autres professionnels (psychologue, physiothérapeute, etc.). Les assureurs ne pourront non plus exiger un billet de médecin pour obtenir le remboursement d’une aide technique, comme une canne. 

Ils ne pourront non plus réclamer à un assuré qui reçoit des prestations d’assurance maladie de longue durée d’aller voir un médecin à des fréquences prédéterminées. Le rythme des consultations sera déterminé par le médecin. 

Enfin, dans certaines circonstances, les employeurs ne pourront exiger un certificat médical pour des absences de trois jours et moins.  

Le gouvernement a déposé ce projet de loi afin que les médecins puissent prendre plus de patients ou leur consacrer plus de temps clinique. Les formulaires d’assurance à remplir forment un irritant majeur dans le milieu médical. Un sondage de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a démontré qu’environ 25 % de la charge du médecin de famille moyen est occupé à remplir des documents et des formulaires. 

Les assureurs qui se risqueront à se soustraire à ce projet de loi risquent d’en payer chèrement le prix. 

Les pouvoirs de surveillance à Santé Québec 

Le gouvernement confie à sa nouvelle créature, Santé Québec, les pouvoirs de surveiller l’application de la loi. L’organisme pourra exiger des assureurs qu’il lui fournisse un rapport d’un auditeur portant sur la conformité de leurs pratiques.  

Un enquêteur disposant des pouvoirs de commissions d’enquête pourra pénétrer, à toute heure raisonnable, dans tout lieu où un assureur ou un administrateur de régime exerce ses activités aux fins de contrôle de l’observation de la loi. 

Sanctions financières sévères 

Des sanctions administratives et pénales costaudes sont prévues dans le projet de loi pour les contrevenants. 

Un manquement pourrait donner lieu au recouvrement du coût des services médicaux en cause et/ou une amende de 5 000 $ à l’assureur ou à l’administrateur de régime qui exige une consultation médicale.  

L’assureur ou l’administrateur de régime sera en plus passible de sanctions pénales extrêmement sévères allant de 10 000 $ à 1 000 000 $. Et quiconque entrave ou tente d’entraver le travail d’un inspecteur ou d’un enquêteur, notamment en le trompant par réticence ou par fausse déclaration, sera passible d’une amende de 5 000 $ à 50 000 $ dans le cas d’une personne physique ou d’une amende de 15 000 $ à 150 000 $ dans les autres cas. 

Appui de l’ACCAP aux objectifs du projet de loi 

Mercredi en commission parlementaire, trois ténors de l’ACCAP-Québec, sa présidente Lyne Duhaime, Denis Dubois, président et chef de l’exploitation chez Desjardins Sécurité financière et Martin Roussel, vice-président Prestations santé et du service aux assurés chez Beneva, sont venus apporter leur soutien aux objectifs du projet de loi 68. Ils ont cependant exprimé de sérieuses craintes sur ses effets en assurance invalidité. 

« Les assureurs de personnes estiment que l’une des solutions pour améliorer la performance du réseau de la santé repose sur une réduction de la charge administrative des médecins, a déclaré Martin Roussel. C’est pour cette raison que les assureurs appuient les orientations du projet de loi, ce qu’avait fait notre association le printemps dernier. » 

Après avoir analysé les articles du projet de loi, les représentants de l’industrie de l’assurance ont souscrit aux engagements suivants :

  • Les assureurs n’exigeront plus de références du médecin pour couvrir des frais d’autres intervenants de la santé comme les psychologues.
  • Ils ne demanderont plus de références d’un médecin pour la majorité des aides techniques et accepteront les références provenant d’autres professionnels qualifiés. Par exemple, un ergothérapeute pourra valider la nécessité d’une aide à la mobilité sans que la demande soit entérinée par un médecin.
  • En assurance invalidité, les assureurs ne dicteront pas la fréquence des rendez-vous avec le médecin. 

Malheureusement, a déploré Martin Roussel, le projet de loi pourrait involontairement compromettre la viabilité des régimes d’assurance invalidité à long terme au Québec. 

Le contact avec les médecins 

Approfondissant cet aspect, Denis Dubois a dit que les assureurs étaient conscients que les formulaires d’invalidité représentent une charge administrative pour les médecins et qu’ils étaient prêts à réduire, simplifier et numériser ces formulaires.   

Il a toutefois insisté sur le fait qu’il n’était pas possible d’éliminer complètement les demandes d’informations auprès des médecins pour l’assurance invalidité. « Il est indispensable, a-t-il dit, que les assureurs puissent continuer à avoir accès à toutes les informations médicales nécessaires pour évaluer la situation de l’assuré et gérer correctement ses demandes de prestations d’invalidité. » 

« Le projet de loi, a-t-il ajouté, ne peut avoir comme conséquences d’augmenter la durée des versements des prestations d’invalidité en raison du manque d’informations. » 

Les conséquences seraient lourdes et coûteuses, a-t-il indiqué. À titre d’exemple, si elles devaient augmenter de deux semaines en raison du projet de loi 68, elle se traduirait par des augmentations de 23,6 % des prestations payées pour les invalidités de courte durée et de 4,3 % pour les invalidités de longue durée. Ce sont les employeurs et les employés qui devraient absorber ces hausses. 

Des amendements demandés 

Les assureurs se disent convaincus que quelques amendements assureraient l’atteinte de ses objectifs ainsi que le maintien de mesures de contrôle afin de limiter une hausse des coûts de l’assurance collective et individuelle. 

Comme ces deux protections sont de nature complètement différentes, Lyne Duhaime a demandé la création d’un nouvel article qui toucherait exclusivement l’assurance invalidité.  

L’ACCAP dit être d’accord avec le fait que la fréquence des suivis médicaux soit établie uniquement par le médecin et non pas un tiers comme un employeur, un assureur ou un administrateur de régime. Elle recommande d’ailleurs que le libellé porte clairement sur l’interdiction d’imposer une fréquence de rendez-vous. Cela enverrait un message clair que cette pratique est désormais interdite. 

Toutefois, l’association trouve essentiel d’introduire dans le projet de loi un paragraphe qui reconnaît qu’un assureur peut, dans certains moments clefs, exiger un rendez-vous médical. Notamment quand la couverture invalidité de l’assuré sera affectée si un tel suivi n’a pas lieu. 

« Le suivi médical, a rappelé l’ACCAP aux élus, vise à permettre une analyse et une évaluation adéquate de la demande de prestations d’invalidité de l’assuré et se fait en collaboration avec son médecin traitant. Cela est fondamental afin que les régimes d’invalidité demeurent viables afin de protéger le plus de Québécois possible. » 

Le ministre Boulet a précisé à ses trois interlocuteurs que rien dans le projet de loi n’empêchait les assureurs de continuer à communiquer avec les médecins pour gérer l’absentéisme et de réclamer certains rendez-vous ponctuels. Il leur a rappelé que des règlements futurs vont préciser des cas d’exception, sans toutefois s’engager à souscrire à leurs demandes.