Si elle a récemment acquis un concurrent, c’est pour répondre à un grand défi, a révélé Sonia Boutin, propriétaire de Pharmacie Sonia Boutin, affiliée à la plateforme de télépharmacie Medzy.
Ce défi, c’est de faire face à un géant numérique, soit Amazon, a-t-elle confié en entrevue au Portail de l’assurance. « Nous savons très bien qu’Amazon prépare son entrée dans l’industrie de la pharmacie au Canada et nous voulons être prêts en offrant une alternative québécoise supérieure », dit-elle.
Mme Boutin il y a peu qu’elle acquérait la plateforme concurrente POSO+ et Pharmacie Martin Gilbert, qui lui est affilié. Le regroupement fait en sorte que 10 000 utilisateurs se retrouvent sur Medzy, soit 5 000 utilisateurs supplémentaires en télépharmacie. La transaction fait aussi passer son équipe de 20 à 25 personnes, ce qui inclut des ingénieurs, des techniciens et des pharmaciens.
L’attrait du numérique
Avec la pandémie, la croissance du commerce numérique a explosé et l’entreprise a dû accélérer son développement technologique, dit Mme Boutin. « Notre plateforme a connu un succès beaucoup plus important que ce que nous avions estimé. »
Elle estime que la COVID-19 a légitimé le service de télépharmacie aux yeux de bien des gens. La venue d’Amazon au Canada l’oblige toutefois à réfléchir sur la meilleure façon de servir ses clients. « Il est aujourd’hui tellement simple et facile d’acheter un produit sur Amazon ! Comment rivaliser avec cela ? »
Pour y parvenir, le modèle de la pharmacie doit évoluer, lance Sonia Boutin. Elle-même issue du réseau de franchisés Pharmacie Jean Coutu, elle rappelle que ce modèle vieux de 50 ans a eu du bon. « On pouvait dorénavant acheter un médicament comme un pot d’olives. Il a amené de belles choses, dont une baisse du prix des médicaments. »
La pharmacie de l’avenir doit toutefois penser au-delà du produit, prévient la pharmacienne. Mme Boutin dénombre au Québec près de 2 000 pharmacies, dont 67 sont indépendantes. Elle croit que le changement viendra des pharmacies indépendantes comme la sienne.
« Tant que nous ramènerons le service de pharmacie à un bien, nous nous mettons dans une position dangereuse, ajoute-t-elle. Si nous ne travaillons pas sur le plus, nous nous comparerons à quelqu’un qui vend juste un produit. Quitte à acheter à une place ou une autre, le client choisira l’endroit où c’est le plus simple », dit-elle, en faisant allusion à Amazon.
Valeur ajoutée de la télépharmacie
Dans le modèle traditionnel, le patient doit renouveler lui-même son ordonnance, se rappeler de prendre ses médicaments et faire le suivi avec son médecin. Le télépharmacien fait tout cela rappelle Mme Boutin. « Il faut redonner une dimension au service du pharmacien, et faire que la relation du client à son pharmacien ne se limite pas à l’achat d’un produit. »
L’automatisation et la robotisation des opérations redonnent aux pharmaciens le temps de s’occuper pleinement de leurs clients. « C’est là la vraie valeur ajoutée pour les clients », dit la pharmacienne propriétaire.
À partir de son application mobile ou de son site web, les clients de Medzy peuvent accéder à des services offerts par la pharmacie affiliée. Parmi eux figurent un service d’urgence par téléphone 24 heures par jour et sept jours sur sept, des alertes de renouvèlement, le tri et l’emballage de médicaments par dose et la livraison à domicile gratuite partout au Québec.
Sonia Boutin croit que l’industrie doit aussi tirer parti des nouvelles activités que peuvent exercer les pharmaciens, dont amorcer un traitement avec le patient sans intervention du médecin. C’est le cas du traitement par anovulant chez la femme, dit-elle.
« Plus besoin de prendre un rendez-vous chez le médecin. Une verticale de services est en train de s’organiser dans laquelle le client reçoit plus qu’un bien. Nous travaillons à une offre de services aux clients en ce sens, incluant des visioconférences. »
Se rendre au participant de régime
Fondée en 2019, la plateforme Medzy a acquis ses premiers clients par l’intermédiaire des régimes d’assurance collective privés. Mme Boutin a depuis élargi ses activités au grand public. Sur ses 10 000 utilisateurs, 70 % sont des clients couverts par une assurance collective privée et 30 % le sont par le régime public d’assurance médicaments de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).
Mme Boutin a décidé d’élargir ses activités au grand public lorsqu’elle a constaté la longueur de ce qu’elle appelle le « cycle de vente » dans les régimes privés. « Il faut convaincre beaucoup de monde avant d’arriver au client. L’offre de télépharmacie peut plaire à l’assureur, au courtier, à l’entreprise… mais il faut aussi convaincre le client. »
Au Québec, un assureur ne peut privilégier une pharmacie au sein des régimes collectifs qu’il offre aux employeurs, rappelle Mme Boutin. La solution passe selon elle par la relation entre l’employeur et ses employés. Or, proposer une pharmacie ne suffit pas.
« L’employé ne sait pas toujours qu’il peut obtenir un meilleur prix dans une autre pharmacie. Il ne voit pas de raison d’en changer, observe-t-elle. Il faut l’en convaincre autrement. »
L’approche fonctionne lorsque l’entreprise explique à ses employés les économies qu’elle pourra réaliser et réinvestir plutôt que de couper dans les avantages du régime, s’il y a une volonté de chacun de magasiner ses médicaments. Medzy a-t-il atteint la limite avec 7 000 clients assurés dans des régimes privés ? Le potentiel est beaucoup plus grand, estime Sonia Boutin.
2 enjeux en collectif
Les clients qui adhèrent à la télépharmacie le font par souci de commodité, remarque Sonia Boutin. « Nos clients nous ont choisis pour le service, la facilité et le fait de ne pas avoir à se déplacer. »
Ces facteurs priment sur le prix, dit-elle. Si elle ne cible pas ses clients avec un prix, la pharmacienne y prête toutefois attention. « Nous renouvelons les médicaments pour une période de trois mois. » Une ordonnance de trois mois permet de retrancher par trois les honoraires du pharmacien.
Elle croit que son modèle répond ainsi aux deux principaux enjeux des assureurs en assurance collective : l’économie et l’adhérence au traitement. « Le renouvèlement aux trois mois permet de réaliser des économies, et servir les médicaments en sachet permet de s’assurer que chaque dose soit bien prise », dit Mme Boutin.
L’adhérence au traitement est selon elle le nerf de la guerre pour les régimes collectifs. « À quoi sert le médicament le moins cher, s’il n’est pas bien pris ? »
La pharmacienne nourrit d’ailleurs le projet de développer à l’intention des assureurs un outil de suivi de l’adhérence au traitement dans un régime collectif « qui donnerait en quelque sorte une note de performance sur la prise des médicaments », explique-t-elle.
Mme Boutin veut aussi développer un outil de suivi de thérapie. Un tel outil comblerait selon elle une lacune de la pharmacie traditionnelle : le manque de service après-vente.
Le monde à conquérir
Après son acquisition, celle qui se décrit comme « une fille de projets » veut aller de l’avant. « À ce jour, l’entreprise a pu compter sur un investissement de près de trois millions de dollars (M$), qui servira majoritairement à poursuivre le développement de la technologie, dont l’entreprise est propriétaire à 100 % », a-t-elle annoncé au moment où Medzy a acheté POSO+.
Pharmacienne indépendante depuis cinq ans, Sonia Boutin dit s’être beaucoup intéressée aux autres modèles dans le monde. « C’est aux États-Unis que le modèle de la pharmacie en ligne est le plus avancé. En Angleterre, en Australie, en Inde et en Nouvelle-Zélande, il est aussi très avancé. Nous voulons lancer un projet en Australie, en Inde et en Nouvelle-Zélande », ajoute-t-elle.
L’ADN de Medzy se prête bien à l’exportation, estime sa présidente. « Elle est une compagnie technologique dont la mission est de développer des solutions pour permettre à des pharmaciens de servir en ligne leurs patients », précise Mme Boutin.
« La transformation incontournable et inévitable du modèle d’affaires des pharmaciens nous motive. Nos principaux concurrents viennent d’ailleurs. » Sonia Boutin nomme entre autres PocketPills de Vancouver et l’Américaine Pill Pack. Autre joueur actif aux États-Unis, Ro Pharmacy affiche sur son site « Là où chaque médicament coute 5 $ par mois » (Where every medication is 5 $ per month). Plus près d’ici, Pharmacie Picard & Desjardins pratique aussi la télépharmacie auprès des participants de régimes collectifs privés.
Cet article est un Complément au magazine de l'édition d'avril 2021 du Journal de l'assurance.