À partir de septembre 2018, la direction de l’Union des producteurs agricoles (UPA) a commencé à recevoir des appels de producteurs qui peinaient à s’assurer.

« Au début, c’était un producteur de temps à autre. Et à un moment donné, on a constaté qu’il y avait là un vrai phénomène », indique Marie-André Hotte, directrice des affaires juridiques de l’UPA.

L’avocate travaille à l’UPA depuis 19 ans, et ce problème n’était jamais apparu sur son radar auparavant. En 2019, la hausse des primes variait de 10 à 20 % en 2019 et les assureurs se montraient plus exigeants au renouvèlement. Fin 2019, la direction générale de l’UPA a mis le dossier des assurances dans sa liste des priorités.

Un sur 17

En 2020, un sondage maison a été mené sur l’assurabilité des fermes. Le questionnaire a été expédié à près de 1800 administrateurs au sein des différentes sections régionales de l’UPA et des structures affiliées. L’UPA a reçu 510 réponses. Quelque 6 % des répondants ont indiqué qu’une partie ou la totalité de leurs biens n’étaient pas couvertes par un assureur.

Pour certains autres, leur prime d’assurance a doublé ou pire encore. « Je leur recommande de prendre le contrat quand même, et de payer la prime. Dans un an, ils seront en meilleure position pour discuter », indique Marie-André Hotte.

Plus de 200 feux par année

Au ministère de la Sécurité publique du Québec (MSP), on compile les données de la déclaration d’incendie d’un bâtiment. Celle-ci est exigée par l’article 24 de la Loi sur les incendies. Le bilan statistique le plus récent sur les incendies dans les bâtiments d’usage agricole est daté du 21 septembre 2017.

Sur une période de sept ans, soit de 2010 à 2016, quelque 1462 incendies ayant entrainé des pertes matérielles ont touché des bâtiments agricoles, pour des pertes matérielles estimées à 254, 9 millions de dollars (M$). Pour 438 de ces incendies, ou 30 % du total, la cause probable est reliée à une défaillance ou une défectuosité mécanique ou électrique.

En moyenne chaque année, le secteur agricole subit 209 sinistres et des pertes matérielles de 36,4 M$, pour un cout moyen de 174 163 $ (voir tableau ci-dessous).

Si les immeubles agricoles ne représentent que 3,7 % de l’ensemble des incendies de bâtiments durant cette période, les dommages de ce secteur représentent 6,7 % des pertes matérielles. La perte des animaux est comptabilisée dans les pertes en contenu.

Pour les deux années suivant ce bilan, la moyenne de plus de 200 feux par an a été maintenue. Selon la relationniste du MSP, Marie-Josée Montminy, quelque 611 incendies de bâtiments à usage agricole ont été déclarés par les services de sécurité incendie au Québec entre 2016 et 2018.

Le cheptel

Selon le courtier Serge Gosselin, président de Gosselin Assurances, les assureurs seraient devenus plus frileux envers les activités agricoles qui comprennent l’élevage animal. Il donne l’exemple de l’assureur Economical.

« Ils ont gardé quelques risques avec un très petit nombre de courtiers, qui font de la ferme maraichère, des grandes cultures, mais ils n’en font plus dans la ferme animale », explique M. Gosselin.

Le vice-président du groupe Promutuel, Guy Lecours, confirme que les résultats des assureurs sont décevants dans certaines productions. « Je ne vous cacherai pas que c’est très élevé, entre autres dans la production laitière. On a un taux de sinistre de 90 % juste pour ce segment ces dernières années. Les fermes porcines, les fermes de volailles, ce sont aussi nos activités les plus couteuses en termes de réclamations. Les taux de sinistre sont plus élevés dans ces activités », dit-il.

Le climat

Les changements climatiques provoquent une fréquence plus forte des évènements extrêmes. En février 2019, les précipitations abondantes ont provoqué une vague de réclamations pour des bâtiments dont la toiture a croulé sous le poids de la neige et de la glace, particulièrement dans les régions de Lanaudière et de la Mauricie.

Chez l’assureur Estrie-Richelieu, la mutuelle spécialisée dans l’assurance des biens agricoles, près d’une centaine de bâtiments agricoles se sont effondrés dans un rayon de 60 km. Pour l’assureur, les couts reliés à ces sinistres se sont élevés à 10 M$, lisait-on dans son rapport annuel.

En 2019 chez Estrie-Richelieu, la moitié des clients dont le bâtiment avait croulé sous le poids de la neige n’avaient pas voulu payer pour cette protection, selon le président et chef de la direction Stéphane Bibeau.

En temps normal, la Chambre de l’assurance de dommages et l’Autorité des marchés financiers reçoivent une ou deux plaintes par année envers la mutuelle ou son réseau de courtage. En 2019, il y a eu 14 plaintes et elles étaient toutes reliées à cet épisode de toitures effondrées et non couvertes par l’assureur.

Capacité réduite

Selon Benoit Hénault, président de Hénault Assurance, une part de plus en plus importante de la prime des agriculteurs vient des besoins de réassurance. Les couts à cet égard ont augmenté en raison des sinistres liés au climat.

Chez les assureurs présents dans le marché agricole au Québec, « la capacité locale n’a pas suivi l’inflation des couts et les besoins d’assurance. Si on ajoute l’effet de la consolidation avec la hausse du cout des matériaux, la capacité n’a pas suivi. On l’a maintenue avec la réassurance, mais pas grâce à la capacité interne », précise-t-il.

La situation est devenue plus difficile pour les exploitations agricoles de plus grande taille. « Avant cela, un assureur seul était prêt à prendre une ferme, parfois un deuxième assureur prenait une partie du risque. Maintenant, ça prend pratiquement toujours un deuxième assureur pour avoir les couvertures adéquates », ajoute M. Hénault.

Nadine Hudon-Paquette, directrice principale distribution stratégique et communications chez Intact Assurance, confirme que la fréquence en hausse des sinistres climatiques et l’augmentation importante des couts de sinistres posent des défis à tous les assureurs de dommages, tous secteurs confondus.

Selon elle, l’équipement agricole est de plus en plus sophistiqué et coute de plus en plus cher à réparer. « Si un agriculteur acquiert un nouvel équipement ou qu’il décide de modifier sa machinerie actuelle, on lui recommande de communiquer avec son assureur ou son courtier afin de les informer. Cela permet de prendre en compte la valeur des modifications apportées et d’évaluer si des changements sont requis dans la police », ajoute Mme Hudon-Paquette dans un courriel.

Agrotourisme et démarrage

Outre la production animale, d’autres reportages ont rapporté les problèmes d’assurabilité des nouveaux exploitants ou des fermes qui font de l’agrotourisme, une tendance remarquée aussi par Serge Gosselin. Selon lui, le producteur a parfois plein de projets, et il faut lui dire de prendre les bouchées une à la fois. Il cite le cas d’un entrepreneur qui accueille des visiteurs à sa ferme depuis 2014.

« Il n’avait jamais couvert le risque lié à l’agrotourisme, et là, il veut de l’assurance. Je lui souhaite bonne chance, car aucun assureur ne prendra ce risque. S’il avait couvert le risque dès 2014, il aurait pu se faire accompagner dans ses projets », note M. Gosselin.

Les risques sont très variables d’une production à l’autre, constate Maxime Poulin, du cabinet Ostiguy Gendron. Selon lui, un couvoir de construction récente situé dans un secteur protégé et doté de gicleurs ne représente pas le même risque et ne sera pas tarifé comme une ferme porcine plus éloignée du service de protection des incendies.

Primes à ajuster

Tant chez les assureurs que chez les courtiers contactés par Le Journal de l’assurance, on reconnait que la tarification avait besoin d’ajustement pour mieux couvrir les risques agricoles. Guy Lecours pense même que Promutuel a peut-être tardé à ajuster la tarification dans le segment agricole en raison de sa nature mutualiste.

« Oui, on a été fondé par des agriculteurs et ils sont nombreux parmi nos membres, ils en forment une bonne partie. C’est une question d’équité pour nos autres membres qui souscrivent de l’assurance auto ou habitation et de l’assurance commerciale. Si l’on tolère que la ligne agricole ne soit pas rentable, ce sont tous les autres membres qui paient pour ça », dit-il.

Le réajustement en cours permet ainsi de revenir au principe de la mutualité. « Chaque client qui apporte son risque à la mutuelle doit savoir qu’il paie la prime juste par rapport à ce risque. Cela s’applique aux agriculteurs comme aux autres », ajoute-t-il.

Quatre critères

De son côté, Stéphane Bibeau refuse de commenter les cas particuliers des agriculteurs qui témoignent de leurs problèmes d’assurance. « Nous ne sommes pas dans le marché du refus d’assurer. C’est notre marché, on veut prendre de l’expansion et assurer le plus de clients possible », dit-il.

Le conseil d’administration d’Estrie-Richelieu est composé d’agriculteurs ou des gens qui sont fortement reliés à ce secteur. L’assureur est prêt à assurer toutes les exploitations, peu importe leur taille ou leur affectation. « On veut toutes les faire », dit-il.

Selon M. Bibeau, chaque client qui reçoit un refus de l’assureur ne respecte pas l’un des quatre critères généraux communs à tous les assureurs. Le premier est la qualité des biens et du cheptel à assurer et leur entretien. Le deuxième critère est l’absence de dossier criminel de l’exploitant et de ses partenaires.

Troisièmement, le niveau de risque en responsabilité civile ne doit pas être anormal. « Si dans votre contrat, c’est marqué : “usuel”, mais que vous recevez 12 autobus par jour et que vous faites visiter vos installations où il y a des vaches et des chevaux, il y a un risque rattaché à cela, et ça ne fait pas partie de nos affaires. On ne vous empêche pas de tenir une telle activité, mais vous devrez trouver un produit d’assurance distinct », explique M. Bibeau.

Quatrièmement, la qualité de la gestion de l’exploitation est analysée. « Si le producteur a un long historique de réclamations, il se peut qu’il soit très malchanceux, mais cela peut aussi être le signal d’un problème d’entretien ou de gestion du risque », note-t-il.

Un redressement requis

Le redressement de la tarification était dû depuis longtemps, reconnait M. Bibeau, après un marché mou qui durait depuis 15 ans. Le montant des primes grimpait, mais en suivant l’expansion des exploitations.

« Dans les sept dernières années, de 2013 à 2020, mon taux de tarification a augmenté de 0 %. Le tarif reste le même après sept ans. Les gens ne me croient pas quand je leur en parle », insiste M. Bibeau.

En temps normal, la mutuelle indexe les valeurs assurables d’environ 3 % par année. En 2021, l’indexation sera de 5 %, en raison de la hausse des couts de reconstruction.