En 2007, l’usine de fabrication de pâte kraft d’une importante compagnie de transformation du bois achète un appareil auprès d’un équipementier spécialisé dans la gestion des installations électriques industrielles. Le mauvais fonctionnement entraîne des dommages estimés à près de 20 millions de dollars (M$). Les assureurs des installations poursuivent le fournisseur, et ils obtiennent gain de cause quant à la juridiction où le litige sera tranché.
Les compagnies d’assurance et leur cliente, la société Produits forestiers Résolu, ont eu deux fois gain de cause devant les tribunaux contre la société General Electric Canada International (GE). Le litige sera entendu au Québec et en fonction de la législation applicable au Québec.
L’usine est située à Saint-Félicien, dans le district judiciaire de Roberval, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Le 27 août 2025 en Cour supérieure à Montréal, le juge Éric Dufour a entendu la demande en exception déclinatoire soumise par GE.
Le fabricant souligne l’existence d’une clause d’élection de for contenue au contrat de vente de la pièce et qui confère tout litige aux autorités judiciaires de l’Ontario. Selon le fournisseur, la société Résolu a accepté la proposition transmise. En conséquence, tout différend doit être tranché par les tribunaux ontariens.
Les demandeurs contestent l’existence de la clause en faisant plutôt valoir que le contrat contient une disposition qui astreint tout litige aux tribunaux québécois.
Dans ce litige, outre deux filiales associées à l’entreprise forestière, les demandeurs sont Marc Lipman, fondé de pouvoir des Souscripteurs du Lloyd’s, de même que les assureurs AIG, Swiss Re, Zurich, XL Specialty et Intact.
Dans une décision rendue en cour d’instance avant d’être publiée le 4 septembre 2025, le juge Dufour a rejeté la demande de GE. Il a fixé au 4 mars 2026 la date limite pour déposer la demande d’inscription pour instruction et jugement.
Le contexte
La pièce achetée auprès de GE est un relais de puissance. La défaillance de l’équipement aurait entraîné l’interruption des activités de l’usine de Saint-Félicien, provoquant la réclamation de l’exploitant auprès de ses assureurs.
Résolu soutient ne jamais avoir reçu la partie de la proposition du contrat où apparaît la clause d’élection de for. Qui plus est, le bon de commande qu’elle a elle-même mis après avoir reçu la proposition inclut une précision allant dans le sens contraire. Cette condition était imposée systématiquement aux entreprises avec lesquelles elle faisait affaire à l’époque.
Le juge Dufour indique que les tribunaux québécois n’ont pas compétence à l’égard d’un litige impliquant des parties qui ont convenu par contrat, au moyen d’une clause d’élection de for, de le soumettre à une autorité étrangère. La primauté de la volonté des parties est reconnue à l’article 3148 du Code civil du Québec.
La partie défenderesse, poursuivie au Québec, peut plaider une exception déclinatoire fondée sur la clause d’élection de for. Il appartient alors à la partie demanderesse de soumettre une preuve contraire.
Le télécopieur
GE allègue que la clause d’élection de for est comprise dans une annexe de trois pages faisant partie de la documentation échangée entre les parties. Au moment de l’achat en 2007, ces échanges ont eu lieu par télécopieur, précise le tribunal de première instance. Les déclarations sous serment des représentants actuels de Résolu et déposées en preuve montrent que les trois pages que GE prétend avoir expédiées n’ont pas été retracées.
Résolu ajoute que dans sa pratique de l’époque, elle ne concluait pas de contrat si la transaction incluait la clause renvoyant à l’étranger un différend contractuel. Michael Downey, qui était responsable des achats jusqu’en 2008, confirme que tous les bons de commande de la compagnie de transformation des produits du bois incluaient des conditions qui écartaient tout renvoi aux tribunaux hors Québec. Rien dans la preuve n’indique que cette procédure ait été mise à l’écart pour consentir à la clause invoquée par GE.
André Bernier, directeur de l’usine de 1999 à 2002, puis président de SFK Pâte qui opérait l’usine jusqu’en 2008, va dans le même sens dans sa déclaration assermentée en précisant que la clause 22 indique que les bons de commande de l’acheteur sont régis par les lois québécoises et canadiennes.
Sans aller jusqu’à prétendre à la mauvaise foi des parties demanderesses, GE s’indigne du fait que les trois pages de l’annexe soient les seules qui manquent au contrat envoyé par télécopie en 2007.
Le tribunal constate que les ratés des moyens technologiques employés à l’époque favorisent les demanderesses, mais il souligne que les déclarations assermentées des représentants de Résolu confirment la procédure de la société. La valeur probante de la preuve soumise par les demanderesses suffit à en faire la démonstration. La Cour supérieure refuse donc d’accorder l’exception déclinatoire.
L’appel n’est pas autorisé
Le 6 novembre 2025, la juge Marie-Josée Hogue de la Cour d’appel du Québec a refusé la requête pour permission d’en appeler soumise par le fournisseur GE. Les demanderesses, qui sont les parties intimées lors de la procédure en Cour d’appel, reconnaissent avec raison que le jugement de la Cour supérieure décide en partie du litige ou cause à GE un préjudice irrémédiable.
Néanmoins, les intimées soutiennent que la demande pour permission d’en appeler doit « être refusée puisque l’appel envisagé ne présente aucune chance de succès ».
Les motifs du juge de première instance sont basés sur la preuve soumise, note la juge Hogue. Or, GE n’a pas été en mesure de prouver qu’elle avait transmis l’annexe où la clause d’élection de for est mentionnée, et elle n’a pas prouvé que cette clause avait été acceptée par Résolu.
L’appréciation de la preuve relève du juge d’instance et la Cour d’appel ne peut intervenir en l’absence d’une erreur manifeste et déterminante. GE ne mentionne aucune erreur.
« En l’absence d’une conclusion différente quant à la preuve administrée, l’appel envisagé ne présente pas de chance raisonnable de succès et ainsi il n’est pas dans l’intérêt de la justice de l’autoriser », conclut la Cour d’appel.